Au fil des années, la Saint-Valentin semble de plus en plus souffrir d’une image négative…
C’est tout à fait exact. La Saint-Valentin est en effet devenue ce qu’il y a de plus conformiste. En l’espace de deux-trois ans, cette fête des amoureux et devenue ringarde, trop commerciale, ennuyeuse, normative, stigmatisante pour les célibataires qui rasent les murs. Il faudrait presque s’en débarrasser. D’ailleurs, en voulant sortir mon livre sur l’histoire de la Saint-Valentin, je me suis heurté à des refus dédaigneux, ricaneurs, méprisants. D’un seul coup, sort d’un chapeau l’idée d’un contre-pied qui consisterait à ne pas la fêter.
Pendant 2 000 ans, l’histoire de la Saint-Valentin, c’est l’histoire de fêtes un peu folles et de la répression des autorités morales et de l’Église pour essayer de l’interdire. Au XIXe siècle, il y a des amendes pour les jeunes qui la célèbrent. Elle finit par disparaître. Au même moment, elle va apparaître aux États-Unis et se transforme rapidement en brusque explosion commerciale. Les Américains ont cru l’inventer.
En France, elle réapparaît dans l’après-guerre avec les soldats américains qui essaient de draguer les Françaises qui ne connaissent pas la Saint-Valentin. Ils leur offrent des fleurs. Des commerçants flairent le coup commercial mais au départ, ça ne marche pas parce qu’ils ciblent les célibataires. Mais les célibataires n’ont pas trop de liberté de mouvement dans les années 1950. Ça a commencé à marcher quand on a ciblé le couple, parce que les femmes mariées étaient dans l’attente et les mecs étaient dans une forme de rattrapage… À la Saint-Valentin, ils s’excusent de ne pas avoir été à la hauteur des attentes romantiques de leurs femmes. Le mécanisme était enclenché.
L’année suivante, ils ne pouvaient pas faire moins que l’année précédente. La fête s’est installée. Depuis, ça retombe chez nous. Et elle est totalement interdite dans plusieurs pays du monde.

Qui a envie de s’en débarrasser ?
Ce sont surtout les hommes parce qu’ils ont le sentiment d’avoir mis le doigt dans une espèce de piège. Dans les arguments, il y a effectivement l’aspect commercial. Mais ça peut être aussi l’occasion de dire son amour, d’exprimer ses sentiments. Et puis il y a ceux qui déclarent que l’amour, ce n’est pas sur ordre, sur une seule journée, cela doit se traduire tout au long de l’année. Généralement, on constate que ceux qui utilisent cet argument ne le font pas plus le reste de l’année. Pour les célibataires, cette journée est également devenue très pénible.
Les affaires de harcèlement sexuel, le constat d’inégalités entre les hommes et les femmes, ne contribuent-ils pas à créer un malaise autour de cette fête aujourd’hui ?
Non. L’histoire a même démontré que la Saint-Valentin a été un apprentissage du respect des femmes. Au Moyen-Âge, ces fêtes étaient assez violentes vis-à-vis des femmes avant que l’on n’observe, au fil du temps, un adoucissement des mœurs amoureuses avec un tournant poétique au XVe siècle, où les hommes apprennent à déclarer leur amour. Mais le fait d’exprimer le sentiment dans un respect absolu de la femme, au contraire, c’est très actuel. Cela a une conséquence très importante dans les mouvements #metoo et#balancetonporc.
(Photo : Fotolia)
Ces mouvements doivent-ils impliquer les hommes selon vous ?
Oui, de toute évidence. Le pire du pire serait de déboucher sur une guerre des femmes contre les hommes. Et l’histoire de la Saint-Valentin montre qu’ils ont été impliqués pour changer leur comportement dans leur rapport avec les femmes. C’est pour cela qu’il ne faut pas banaliser la Saint-Valentin. Encore moins la laisser mourir.
Comment s’y prendre ?
Nous devons inventer un nouveau monde amoureux. Hommes et femmes, ensemble. Imaginer tout un univers de relations libres, respectueuses et créatives. Cela fait des années que je constate deux points de blocage extrêmement importants dans l’inégalité des rapports entre hommes et femmes au-delà des différences de rémunération : le partage des tâches ménagères et le rapport à la sexualité. Il faut continuer à avancer, que la parole des femmes continue à se libérer, mais il ne faut pas que ça tombe sur une suspicion globalisante à l’égard des hommes. L’histoire de la Saint-Valentin nous éclaire à la fois sur le pire, la culture du viol, et sur le meilleur, la magie amoureuse qui ensorcelle, dans la communion intime et le consentement mutuel.
Question plus légère : que conseilleriez-vous à ceux qui hésitent ce mercredi soir entre chandelles et crampons en ce jour de fête des amoureux et d’affiche de Ligue des Champions entre le PSG et le Real ?
Il n’y a aucun problème. Aujourd’hui, certains ont leur passion personnelle. Il faut que le conjoint ou la conjointe l’accepte. Si le match de foot barbe, eh bien on fait autre chose en attendant ! Fêter l’amour peut aussi se faire à une autre date. Le couple a toujours moyen de bricoler une solution qui contente les deux.