C’est indéniable. Le réchauffement climatique a un impact sur notre environnement. Et l’excès de dioxyde de carbone (CO2) n’épargne pas nos océans. Ce gaz carbonique rend l’eau plus chaude mais surtout plus acide. Un phénomène qui pourrait avoir des effets très négatifs sur les écosystèmes marins.
Le GIEC, groupe d’experts intergouvernements sur l’évolution du climat, prévoit une augmentation de l’acidité de nos océans d’ici 2100. Alors que le pH (unité de mesure de l’acidité) est actuellement de 8,1 pour les océans, il pourrait descendre à 7,8 en 2100. Plus le pH est bas et plus l’eau est acide.
Une étude sur l’huître et le bar
Face à ce constat, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a cherché à déterminer les changements liés à l’acidité, chez les vertébrés et les mollusques.
Mesure de respirométrie sur larve de bar exposée à l’acidification
Pour cela, José Zambonino, directeur de recherche à l’Ifremer et son équipe travaillent, depuis 2013 sur le bar (poisson carnassier). « On est partis du début, donc de l’œuf. On a placé ces poissons dès éclosions, dans une eau au pH 7 donc plus acide. Et on les a ensuite comparés avec des bars évoluant actuellement dans nos océans »,explique José Zambonino.
De son côté, Fabrice Pernet, chercheur en physiologie des organismes marins à l’Ifremer s’intéresse depuis janvier à l’évolution de l’huître creuse, dans les mêmes conditions et utilisant le même procédé.
Des changements significatifs
Cinq ans après, les résultats sur le bar « interpellent » les scientifiques. S’il est encore trop tôt pour dire si les poissons s’adaptent à une eau plus acide, il est en revanche possible de dire que le bar n’évolue pas de la même manière. « Quand on abaisse le pH de l’eau, il y a toute une série d’effets sur les perceptions sensorielles de l’animal, avance Guy Claireaux, professeur de écophysiologie au laboratoire des sciences de l’environnement marin (LEMAR). Les poissons soumis à l’acidité ont beaucoup moins peur de leurs prédateurs. Ils ne perçoivent plus le danger de la même façon. Cela peut avoir des conséquences au niveau de l’écologie. Et si un animal ne fuit plus son prédateur, il va être mangé plus rapidement. »
Une qualité de reproduction moindre
Les chercheurs se sont également rendu compte que ces bars rentraient en maturité sexuelle plus tôt par rapport aux autres bars, servant de témoins pendant l’étude. Ce vertébré, dans la nature, entre en maturité vers le mois de mars voire avril.
Prélèvements de tissus d’huître perlière à la station Ifremer de Tahiti
Les bars soumis à l’acidification commencent leur reproduction vers janvier. « Et ça pose un problème, car les animaux dont se nourrissent les larves, ne sont pas encore là, puisqu’ils apparaissent vers le mois de mars/avril. Donc si on modifie ce cycle normal de reproduction, on risque d’avoir des animaux qui vont être pondus, qui vont éclore et qui vont se retrouver sans rien à se mettre sous la dent », détaille José Zambonino.
De plus, leur qualité de reproduction est moins bonne. Leur sperme a plus de mal à se déplacer dans l’eau. « Donc, ça diminue les chances de reproduction. »
Des mollusques impactés
Fabrice Pernet s’inquiète de l’évolution des coquillages. Un pH plus bas diminue considérablement l’équilibre des bicarbonates dans l’océan. Ces molécules à base de carbone, et surtout essentielles à la fabrication des coquilles, sont modifiées au contact du CO2. Elles se retrouvent alors moins disponibles pour les mollusques.
S’ils sont en effet capable de former eux-mêmes cette molécule, ces coquillages risquent de manquer d’énergie. « Avec l’augmentation de l’acidité, ces animaux vont devoir consommer de l’énergie. Et cette dernière ne sera donc plus disponible pour faire autre chose comme grandir, se reproduire, lutter contre des agents pathogènes », s’inquiète le scientifique. Si ces animaux ne s’adaptent pas, ils seront fragilisés donc plus vulnérables à des maladies.
Pour l’instant, les chercheurs restent prudents. Il est encore trop tôt pour évaluer les effets de l’acidification sur les coquillages et les poissons. Une nouvelle étude va être menée sur trois ans. « L’idée est de voir si ces animaux sont capables de s’acclimater aux conditions acidifiées et de s’adapter. Autrement dit, vont-ils être en mesure de développer un gène qui se transmettra de génération en génération ».

traduit du "National Geographic"