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En juillet nous étions
restés dans les îles. Nous avions commencé par faire escale aux Testigos : ne
cherchez pas ce minuscule archipel sur la mappemonde, il est trop petit pour
être noté. Il est situé entre Grenade, la dernière île au sud de l’arc
antillais, et Margarita, la plus grande et la plus peuplée des îles
venezueliennes. Quelques familles de pêcheurs y vivent loin de tout. Par contre
les tortues connaissent bien le coin et elles y viennent pour pondre sur les
plages!
Aux Testigos nous nous étions regroupés en
convoi de plusieurs voiliers. La réputation du Venezuela en matière d’insécurité
n’est plus à faire. Il suffit de lire les « conseils aux voyageurs » sur le site
Internet de diplomatie.gouv.fr pour se demander s’il est bien raisonnable de
s’aventurer dans un pays où les agressions et les crimes sont légion. D’après
les habitués, on ne craint rien dans les îles excepté à Margarita. Ils passent
tous les ans plusieurs mois au Venezuela pendant la saison des cyclones. Ils ont
l’habitude. Ensuite ils retournent avec leur voilier aux Antilles et rebelote
l’année d’après. Pour limiter les risques au « Venez », comme ils disent, il
suffit de prendre quelques précautions, comme ne pas voyager seul par exemple,
éviter le continent et ses villes, n’arborer aucun bijou de valeur et ne pas se
promener avec un sac à dos ni un sac « banane ».
Après les Testigos, nous avons fait un arrêt à
Margarita, l’île incontournable pour les voiliers. Pour des prix défiant toute
concurrence, on trouve de tout. C’est génial pour refaire l’avitaillement mais
aussi pour acheter du tissu, des outils et tout un tas de bricoles
bien utiles sur un bateau. Au Venezuela, la vie est incroyablement bon marché
pour un européen et Margarita est une zone franche, c’est donc encore moins
cher.
Dans ce pays sud-américain, l’opulence côtoie la misère.
Les puissants vivent dans un luxe inouï et les autres survivent en multipliant
les petits boulots. Leur monnaie, le Bolivar, ne vaut rien à l’étranger et les
Venezueliens n’ont pas le droit d’acheter des devises étrangères. Pour les
riches, c’est un problème car l’euro et le dollar sont des bons placements. Un
marché noir du change est donc organisé. Il est deux fois plus intéressant pour
nous, les européens, que le change officiel. Pour eux c’est la seule possibilité
d’obtenir des billets verts ou des euros. En ce moment, l’inflation est
galopante et la dévaluation du Bolivar suit. Nous, on récupère davantage de
bolivars pour 1 euro mais on se demande combien de temps la situation va être
tenable pour le peuple vénézuélien.
Après
l’escale technique de Margarita, nous avons flâné dans les îles quelques
semaines et nous voici sur le continent dans une marina gardée par des vigiles
en armes et protégée de la rue par des murs surmontés de fils barbelés et
électrifiés. Dans la journée, nous pouvons aller dans le centre-ville à
condition de se faire charger par un taxi à la porte de la marina. Pas question
de sortir le soir. Sur la route on longe des immeubles de quelques étages aussi
bien protégés que la marina. C’est inquiétant tous ces murs, ces barbelés et ces
fenêtres
grillagées même dans les
étages !
Nous
voulons faire un périple de deux semaines à l’intérieur des terres avec des
amis, c’est pourquoi nous nous adressons à l’agence de voyage installée à
l’intérieur de la marina. Côté sécurité il semblerait que les zones indiennes où
nous projetons d’aller ne posent aucun problème. Ce qui craint, c’est la côte et
les grandes villes. On nous a proposé un guide avec un 4x4 et un vague programme
il y a quelques jours et depuis pas moyen d’obtenir des précisions sur le
trajet, les étapes et le prix. Pourtant le départ est prévu samedi matin et nous
sommes déjà mercredi.
Enfin
! Nous faisons connaissance de Matthias, notre guide. José, le directeur de
l’agence TRANSPACIFIC, nous donne le programme du voyage. Il est temps ! Nous
partons dans quelques heures !
Matthias est
allemand et cela fait vingt ans qu’il vit au Venezuela. Comme il parle un peu
anglais, nous devrions réussir à nous comprendre. Il possède un 4x4 Toyota dans
lequel nos bagages seront à l’abri et nous, confortablement installés avec la
clim pour ce périple de 3000 km. Matthias est un vrai pro du raid « aventure ».
Il a tout prévu : les glacières avec les boissons et la nourriture et les hamacs
avec moustiquaires. Il connaît bien le circuit, maîtrise parfaitement son
véhicule, parle couramment l’espagnol et a des contacts
partout.
Au programme : le delta de
l’Orénoque et ses indiens, et Saut
Angel.
Il
est 8h.
Nous
partons pour le delta de l’Orénoque via Maturin.

10h30
– On crève le pneu arrière-droit dans Maturin. Quelle chance ! A proximité d’un
garage ! D’après le mécano qui est venu changer la roue, il ne faut pas rester
sur ce parking car le coin n’est pas sûr. Pendant que l’on répare le pneu de son
4x4, Matthias nous emmène dans un restaurant typique des bords de route. On y
commande un certain poids de viande qui est cuite à la broche sur un énorme
barbecue enterré. Elle est servie découpée, avec des patates ou du riz, de la
sauce et des crudités.

14h –
Moins de 100 km plus loin nous sommes à San Jose de Buja. Nous chargeons les
bagages dans une pirogue et notre guide met la voiture dans un garage. Deux
indiens Waraos profitent du bateau pour rentrer chez eux.
Ils habitent à Yabinoco et c’est justement notre destination.
Il pleut et il faut protéger nos valises dans des grands sacs poubelles. Sous
les averses nous prenons des canaux de plus en plus larges dans le delta. Avec
la vitesse, les gouttes d’eau nous piquent telles de petites aiguilles.
Une bonne heure plus tard nous arrivons au
village indien. Le dépaysement est total!
Les
huttes en bois, couvertes de palmes et sans murs longent la rive.

Juste derrière,
c’est la jungle que l’on pénètre à coup de machette.
Les huttes
sont sur pilotis tout comme l’unique chemin du village.
Des hamacs sont suspendus à l’intérieur et toute
la famille vit sur le plancher de rondins sans aucun confort au vu et au su des
voisins.
Les Waraos étaient des nomades.
Ce mode de vie était essentiel pour leur survie. Cela évitait entre autres
l’épuisement des ressources. Pour mieux les contrôler, le gouvernement tente de
les sédentariser. Quelques indiens ont donc construit une cabane en dur et deux
ou trois familles ont la télé. Elle peut fonctionner du coucher du soleil
jusqu’à 23h pendant que le générateur fournit du courant pour les rares frigos
et congélateurs.
Plongeon dans
les eaux marrons de l’Orénoque qui doit sa couleur à des oxydes de fer. Pour
leur toilette, les indiens y descendent avec le gel-douche.
Dans leur
hutte il n’y a pas d’eau courante et ils font leur cuisine au feu de
bois.
Pour nous c’est à peine moins spartiate !
Nos hamacs sont dans une grande hutte dont le sol est fait de planches et,
comble du luxe, nous avons des murs en bois avec des ouvertures équipées de
moustiquaires.
Pour les douches,
c’est comme pour les toilettes, il faut aller dans des cabanons extérieurs. Nous
y avons l’eau courante … mais elle est directement pompée dans le fleuve et
n’est donc pas potable.
Pour se laver les dents on prendra
l’eau en bouteille.
18h30 – Le soleil est
couché. Pour l’apéro, Matthias nous propose un CUBA LIBRE. C’est le Ti’Punch
vénézuélien : du rhum, du coca et une rondelle de citron, le tout servi bien
frais. Fini le rhum agricole AOC dont les Martiniquais sont si fiers. Ici il est
fabriqué à partir de la mélasse et non du jus de canne. C’est beaucoup moins bon
mais noyé dans du coca ça passe très bien ! Les moustiques nous épargnent, nous
sommes habillés des pieds à la tête et nous nous sommes aspergés de
répulsif.
Bien fatigués nous allons dans nos
hamacs de bonne heure, bercés … désagréablement …
par le
ronronnement du groupe électrogène qui ne s’arrêtera que vers
minuit!
Réveillés
en fanfare par les coqs avant l’aube
nous nous rendormons quand même jusqu’à 6h30. Après un petit
déjeuner copieux, nous montons dans le bateau de Freddy, un habitant du village
qui nous promènera pendant les deux jours.
Julio, un copain
indien de Matthias, sera notre guide dans la jungle et sur le
fleuve.
Le débit de l’Orénoque le classe au 4e
rang mondial. Son delta couvre une surface équivalant à 75% de celle de la
Belgique. Nous sommes dans la partie nord, celle qui se jette dans le Golfe de
Paria et nous allons passer toute la journée sur l’eau dans la région de la Boca
de Tigre. Nous sommes impressionnés par l’immensité du site. Des centaines de
canaux forment un labyrinthe inextricable dans la forêt vierge. Des jacinthes
d’eau dérivent au gré des marées qui se font ressentir très loin dans
l’intérieur du delta.

Nous
empruntons un bras encombré par des roseaux. Les rives se resserrent et nous
devons baisser la tête pour éviter les branches. Plus nous avançons, plus la
végétation aquatique est dense et le moteur de 48 CH ne réussit plus à pousser
la pirogue. Nous sommes pris dans les jacinthes d’eau. Julio dégage le passage
avec sa machette mais bientôt cela ne suffit plus. Du coup, Matthias et lui
saisissent alors les planches qui nous servaient de repose-pieds et nous sortent
de là en prenant appui sur le fond pour extraire la barque du piège où elle
s’est mise!.
La Morena, un autre village Warao,
est à une demi-heure de bateau de Yabinoco. Une trentaine de famille y vit. Un
chemin sur pilotis passe entre la forêt et les huttes. Des troncs couchés
perpendiculairement au chemin tracent un sentier vers la végétation luxuriante à
partir de chaque habitation. Julio nous explique qu’ils conduisent aux « baňos »
et que lorsqu’on y pose culotte, les moustiques en profitent méchamment
!
Une multitude d’enfants se précipite sur
Matthias. Ils le connaissent car il n’oublie jamais d’apporter bonbons et
sucettes. Nous achetons des colliers de graines colorées et des corbeilles
tressées avec les joncs du delta.


Tous
les Waraos ne vivent pas groupés en villages. Nous avons vu beaucoup de huttes
isolées et habitées au bord du fleuve. Une pirogue avec un moteur est un luxe
que peu d’entre eux peuvent se permettre.
Pour
pêcher le piranha, Julio abat un palmito. C’est un petit palmier. Les palmes
effeuillées serviront de cannes à pêche. Il nous donne à goûter le cœur de la
partie haute du tronc. Tendre et croquant, c’est délicieux ! Rien à voir avec le
cœur de palmier des conserves ! Le reste du tronc est employé pour les planchers
des huttes. L’enveloppe du cœur sert de « papier ». On peut y graver des signes
en le rayant avec un objet pointu. Il cherche ensuite le coin idéal pour que
nous rapportions de quoi faire une bonne friture. Nous n’aurons pas de touche !
C’est Freddy qui attrapera un piranha dans l’après-midi en nous attendant
pendant que nous sommes en « promenade écologique » dans la jungle.
Pour
cette balade un peu particulière nous sommes équipés !
Chaussures ne craignant rien car nous allons
marcher dans l’eau et dans la boue nous enfonçant jusqu’au chevilles. Rien n’est
sec et rien ne sèche ici.
Manches longues, col
fermé et grosses doses de répulsif anti-moustique. Dès que nous quittons la rive
pour pénétrer dans la forêt des nuées de ces affreux insectes attaquent. En
marche cela va encore mais quand nous nous arrêtons écouter les explications de
Julio c’est carrément insupportable.
Il y a
tant de choses à découvrir … Julio nous montre des arbres et des plantes
permettant de survivre dans ce milieu hostile.
Il
coupe une liane et des gouttes d’eau savoureuse s’en écoulent.
Il pose la main sur une termitière suspendue dans
un arbre. Quelques secondes plus tard il la retire couverte de termites qu’il
écrase entre ses paumes. Il s’en couvre le visage et le voilà protégé des
moustiques !
Le balsa est un arbre dont on utilise
le bois pour l’aéromodélisme tellement il est léger. Sa sève épaisse et rouge
est un colorant naturel. Ce qui est surtout impressionnant, c’est le bruit que
l’on peut faire en frappant son tronc à contreforts avec une masse. Le son émis
est grave et sourd. Il s’entend de très loin. Un téléphone sans fil en quelque
sorte ! Impeccable pour communiquer dans la jungle et pas de risque d’être en
panne de réseau !
Un des palmiers qu’il nous montre
est particulièrement intéressant. Avec ses palmes on couvre les toits des
huttes. Ses fruits ressemblent à des petites noix de coco dans lesquelles on
trouve un peu d’eau et de la pulpe comestible. On en extrait aussi une sorte de
fibre végétale tissée et très « stretch » dont on faisait des pagnes. Je préfère
le mettre sur ma tête pour me protéger des moustiques qui ne cessent de nous
tourner autour. En découpant l’extrémité de l’enveloppe de la fleur, on obtient
un verre. Avec son bois séché, on fait du feu en frottant deux morceaux l’un
contre l’autre. Bref !
L’arbre à tout faire
!
J’ai gardé le meilleur pour la fin
…
Dans les arbres morts en décomposition sur le sol
détrempé, se développent des vers blancs à tête rouge. Ils sont gros comme un
pouce. C’est une source de protéines nous affirme Julio et il nous montre
comment le manger. On ôte la tête d’un coup de dents et on la recrache. On vide
ensuite le ver de sa substance liquide et on le mange cru ou cuit.
Comme dans « Khô
Lanta »!!
Il tente l’expérience et réussit l’exploit. Nous
avons la preuve : j’ai filmé !
Il avouera après que ce n’est
pas très bon, plutôt amère et très caoutchouteux. Julio admet que c’est bien
meilleur quand c’est cuit.
Nous décidons de le croire sur
parole.
Au cours de nos trajets sur le fleuve,
nous avons vu des dauphins d’eau douce au ventre rose et des singes. On les
qualifie de « hurleurs » tellement ils font du vacarme !
Tous les jours, les perroquets
arrivent du continent par milliers à la tombée de la nuit pour dormir au sommet
des arbres dans la forêt du delta. Nous regardons le soleil se coucher en
écoutant leur chant.

Dès
8h nous montons dans la pirogue de Freddy qui nous ramène à San Jose de Buja. Il
ne pleut pas et la lumière est magnifique.
Nous profitons mieux
du trajet qu’à l’aller où il avait tant
plu.
Nous reprenons la voiture pour une longue
route vers le sud et la Gran Sabana. Nous passons l’Orénoque sur le tout nouveau
pont de San Felix. C’est ensuite Upata, Guasipati, El Dorado et le fameux km88
au pied de la montée vers le plateau.
Au
sud-est du Venezuela, la Gran Sabana est un tepui très étendu (1/10 de la France
environ) : « Tepuyes » est le nom indien donné aux mesas, ces montagnes
tabulaires à la silhouette si caractéristique. La Gran Sabana, autrement dit «
La Grande Savane » en français, est un plateau de 1400 m d’altitude en moyenne
sur lequel, de loin en loin, se dressent d’autres tepuyes.
Le plus élevé d’entre eux, le Roraima,
culmine à 2800 m et il est très isolé du reste de la région. Une faune et une
flore endémiques s’y sont développées tout comme aux Galapagos. « Un monde perdu
» ! Il est d’un accès difficile et est réservé aux bons treckeurs … à moins de
s’y faire déposer en hélicoptère comme des Japonais que nous avons
rencontrés.
17h – Nous sommes au pied de la
Gran Sabana et nous avons le temps d’y monter. Nous dormirons dans la posada de
San Rafaele à côté des rapides de
Kamoiran.
Nous
suivons la seule route goudronnée. Elle mène au sud à Santa Elena
de Uairén à la frontière avec le Brésil.
Si on la continue on parvient
à Boa Vista.
Un paysage de savane s’étend de
part et d’autre. On s’attend à voir des girafes, des lions … mais rien ! Peu
d’animaux ici. Nous verrons quand même quelques oiseaux, des lézards, un
scorpion, des chenilles, des papillons et beaucoup
d’insectes.
Nous quittons l’asphalte pour des
pistes menant à des « Saltos ». C’est comme ça qu’on appelle les cascades en
espagnol. La Gran Sabana fait partie du bassin versant de l’Orénoque. Il peut
pleuvoir jusqu’à 3000 mm par an à certains endroits. Toute cette eau alimente de
nombreuses rivières et cascades.
Quelques unes sont
spectaculaires
et
ont contribué à la réputation de cette région unique au
monde.
Nous déjeunons en haut des chutes de
Kama qui tombent 110 m plus bas. Des indiens y vendent leur artisanat. Ils font
de très beaux bijoux. Nous craquons !
Un arrêt
rapide à la Quebrada de Jaspe : l’eau court sur le jaspe le polissant sans
trêve. Ici la roche siliceuse est rouge vif et noire. Superbe!
Une fois nos bagages déposés à la posada
Yakoo de Santa Elena, il nous reste assez de temps pour passer la frontière du
Brésil et faire les boutiques brésiliennes de La Linea. Nous réalisons que nous
sommes à moins de 400 km de l’équateur. Je ne suis jamais allée autant au
sud.
Au lever, il pleut. La visibilité
est nulle et Matthias revient bredouille de la pompe à essence. Dans ce pays
producteur de pétrole, ils ne sont pas capables de s’organiser pour remplir les
citernes des stations.
Vers 10h la couverture
nuageuse se lève et nous partons. La piste vers le Salto Yuruani est détrempée
et en très mauvais état. Matthias nous donne un aperçu de ses talents de
conducteur et des capacités de son 4x4.

Baignade
et déjeuner à Balenario Suruape puis pause « artisanat » dans la seule ville de
cette longue route : San Francisco de Yuruani et nous voici de retour à la
posada pour un farniente bien agréable dans le joli cadre de Yakoo. Pendant ce
temps Matthias retourne à la station-service. Le camion-citerne est venu et il
lui faut faire la queue … Nous ne le reverrons que 3h1/2 plus tard, complètement
épuisé. La Gran Sabana est un lieu de villégiature pour les vénézuéliens pendant
leurs congés d’été et il paraît que les pénuries de carburant sont courantes
pendant la saison touristique.
Jeudi
Nous prenons la
route de bonne heure pour remonter vers le nord. En passant devant les stations
essence, je compte les voitures qui attendent : 80 à l’une et 60 à l’autre.
Déjeuner à Kamoiran où nous avions dormi à l’arrivée dans la Gran Sabana. Des
voitures font la queue à la pompe … qui est fermée. Personne ne peut dire quand
le camion-citerne arrivera … quel pays !
Nous
repartons pour 3h de piste vers l’ouest. Le paysage est grandiose et désert sur
les 70 km qui nous séparent de Kavanayen, ce grand village indien au fin fond de
la savane. Les maisons sont en pierre taillée sur les deux faces. Aucune posada
n’a été réservée ici. L’idée de bivouaquer à 5 dans le 4x4 ne nous enchante
guère ! Matthias demande à la Mission Catholique mais c’est complet. Il finit
par trouver des chambres au confort minimaliste. Nous serons quand même dans un
lit à l’abri de la pluie qui n’a pas
cessé.
Vendredi
Matthias est malade depuis hier soir,
grippé et pas en forme. Nous faisons un petit tour dans Kavanayen avant de se
diriger en 4x4 vers le Salto Aponwao.
Faute d’avoir pu remplir le
réservoir d’essence hier à Kamoiran, nous ne pourrons pas faire autre chose
aujourd’hui. La piste principale était déjà assez sportive mais là cela devient
super ! Matthias oublie sa fièvre tellement il s’amuse à conduire sur la piste
noyée d’eau. Boue, ornières, gués … rien ne manque
!
Arrivés au petit village sur la rive de
l’Aponwao, nous prenons une curiara, cette pirogue indienne équipée d’un gros
moteur hors-bord. En 1/2h nous sommes en haut du Salto Aponwao. La rivière
bouillonne et des câbles sont tendus en travers. Sans doute pour se rattraper
avant la chute en cas de panne de
moteur…
Impressionnant ! Le bruit de l’eau tombant
100m plus bas est assourdissant. Nous descendons par un petit chemin à travers
la jungle au pied de la chute.
C’est la saison
des pluies et nous avons du mal à passer entre les gouttes depuis notre départ.
Les cours d’eau débordent et le débit des cascades est énorme. Nous n’avons pas
en Europe des spectacles pareils. C’est à couper le souffle, au propre comme au
figuré. Lorsqu’on s’approche du pied du salto, la violence des embruns et du
vent est à la hauteur d’une bonne tempête en
mer.
Retour vers Chivaton, une posada perdue au
milieu de nulle part mais un peu mieux que celle d’hier. Comme le ciel s’est
dégagé, on aperçoit enfin quelques tepuyes à
l’horizon.
Samedi
Journée fatigante de voiture
jusqu’à Ciudad Bolivar.
Le pneu qui avait été
réparé à Maturin au début du séjour, éclate. Cette fois-ci, il est mort.
Matthias met la roue de secours et on croise les doigts car il ne compte pas
faire l’achat d’un nouveau pneu avant Puerto La Cruz, terminus du
voyage.
La posada Don Carlos est dans le centre
de la vieille ville, à quelques pas des rives de l’Orénoque. Cette vieille
demeure datant de la colonisation espagnole est superbement restaurée et
confortable, mais nous dormirons mal car des chiens ne cesseront de hurler et
d’aboyer toute la nuit dans la rue. En plus j’ai de la fièvre. J’ai du attraper
le virus de Matthias et puis, ce soir, j’ai eu très froid dans la pizzeria où
nous avons dîné. La climatisation était réglée beaucoup trop
bas.
Dimanche
7h30 – Matthias nous dépose à l’aéroport de
Ciudad Bolivar avant de repartir en 4x4 pour Puerto La Cruz. Pendant une heure,
dans un petit coucou à six places, nous survolons vers le sud de grandes
étendues désertes et parfois inondées.
Les premiers tepuyes
apparaissent et l’avion se prépare à atterrir sur la modeste piste de Canaïma.
Le spectacle des chutes de Canaïma est extraordinaire. Nous sommes dans un parc
national inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1994 et géré par les
indiens qui seront nos guides pendant ces deux jours. Le nôtre nous conduit à la
posada Wey Tepuy où nous dormirons une nuit. L’autre nuit nous la passerons dans
un hamac au campement du Salto Angel.
Il faut
laisser notre gros sac à la posada et ne prendre avec nous que le strict minimum
pour le voyage en pirogue vers le campement de base du Salto Angel. La remontée
des rios Carrao et Churun dure plus de 4h. Il faut franchir plusieurs rapides et
nous serons même obligés de passer à terre pour l’un d’entre eux. La pirogue
doit être délestée du poids de ses seize passagers pour parvenir à passer sans
trop de risques la zone dangereuse des rapides de Mayupa. La majesté des tepuyes
que nous longeons nous stupéfie. Des dizaines de cascades coulent le long des
parois verticales. A leurs pieds c’est la forêt, luxuriante et gorgée
d’humidité. L’eau est rouge, chargée en minéraux et oxydes de fer, le sable et
les galets sont roses.
Le campement fait face au
Salto Angel. Nous voici devant la mythique « plus haute chute d’eau du monde » :
presque 1 km en chute libre. Jimmy Angel, un aviateur américain, l’a découverte
par hasard en 1937et on a donné son nom à cette cascade unique. Elle est
grandiose !
Les indiens organisent le camp, coupent
du bois pour un énorme barbecue capable de cuire les vingt-cinq poulets du dîner
et installent les hamacs sous l’abri de tôles.
Nous partons à pied dans la jungle
pour nous rapprocher du Salto Angel. La végétation est exubérante et la
promenade très agréable.
Arrivés au mirador de
la chute nous en prenons plein les yeux. Imaginez un brumisateur colossal !
L’eau qui tombe en chute libre sur presque 1 km s’éparpille en gouttes sur une
très large surface en arrivant au sol.
Nous sommes
loin et pourtant nous sentons les embruns qui nous rafraîchissent le visage.
Il est
l’heure de rentrer. Après un repas au campement de base, nous remontons dans la
cariara pour 3 h de descente sur les rivières jusqu’à Canaima et sa lagune. Il
pleut pendant presque tout le trajet. En plus, à chaque fois que nous passons
des rapides, nous embarquons de gros paquets d’eau.
Malgré les ponchos en plastique nous sommes
trempés et nous finissons par grelotter. Un comble sous ces latitudes !
Une balade au Salto El Sapo est
prévue ce matin. C’est le nom de l’une des cascades de Canaima. Pour cela une
pirogue nous fait traverser la lagune. Nous continuons à pied sur l’autre
rive.
Le sentier passe derrière la chute d’eau et
la longe pendant une bonne centaine de mètres. C’est impressionnant ! Le rideau
d’eau qui tombe est tellement épais qu’il fait presque nuit dans l’étroit
passage glissant qui longe la paroi. Le vacarme de la cascade nous rend sourd et
les trombes
d’eau
qui nous arrosent, nous aveuglent. Impossible d’y échapper … nous voilà à
nouveau trempés jusqu’aux os par l’eau rouge venue des
tepuyes.
A la sortie nous nous
réchauffons vite au soleil en montant en haut de la chute dominant ainsi la
lagune et la plaine de Canaïma où des palmiers poussent les pieds dans l’eau.
Que c’est beau ! On resterait là, contemplatifs, si le guide nous laissait
faire.
Pour revenir, nous reprenons le même
chemin avec un nouveau passage toujours aussi rafraîchissant derrière El Sapo.
Nous nous changeons et vite, nous allons à l’aéroport. Le terme est un peu
pompeux pour désigner l’endroit mais c’est comme
ça.
Nous sommes dans les premiers à arriver
pour s’inscrire sur les listes de départ et nous partons avec les premiers vols
… dans deux avions différents. Dommage ! J’aurais bien aimé partager avec Jean
mon émerveillement en voyant les averses se déverser sur le sol. L’avion
effectue les zigzag nécessaires pour contourner les grains. Le spectacle est
génial !
A l’aéroport de Ciudad Bolivar, nous
trouvons un taxi qui nous emmène à la gare routière. Comme beaucoup de voitures
dans ce pays, c’est une vieille grosse américaine rafistolée avec du fil de fer.
Elle roule … nous n’en demandons pas plus.
Il reste
des places pour le bus de 16h30. En ville, l’air est étouffant et la chaleur à
peine supportable. Nous attendons au frais dans la minuscule salle d’attente
climatisée de la compagnie. Un homme y dort, assis, la tête appuyée sur un
tabouret de bar. Rien ne perturbe ses ronflements, même pas les portes qui
claquent !
Le trajet dure plus de 4h. Les bus
vénézuéliens sont extrêmement confortables. On peut faire des kilomètres sans
peiner. Il fait nuit depuis bien longtemps lorsque nous rentrons chez « nous »,
des images, des sons, des odeurs, des goûts et des sensations plein la
tête.