mardi 16 octobre 2007

VENEZUELA CONTINENTAL

 



En juillet nous étions restés dans les îles. Nous avions commencé par faire escale aux Testigos : ne cherchez pas ce minuscule archipel sur la mappemonde, il est trop petit pour être noté. Il est situé entre Grenade, la dernière île au sud de l’arc antillais, et Margarita, la plus grande et la plus peuplée des îles venezueliennes. Quelques familles de pêcheurs y vivent loin de tout. Par contre les tortues connaissent bien le coin et elles y viennent pour pondre sur les plages!
Aux Testigos nous nous étions regroupés en convoi de plusieurs voiliers. La réputation du Venezuela en matière d’insécurité n’est plus à faire. Il suffit de lire les « conseils aux voyageurs » sur le site Internet de diplomatie.gouv.fr pour se demander s’il est bien raisonnable de s’aventurer dans un pays où les agressions et les crimes sont légion. D’après les habitués, on ne craint rien dans les îles excepté à Margarita. Ils passent tous les ans plusieurs mois au Venezuela pendant la saison des cyclones. Ils ont l’habitude. Ensuite ils retournent avec leur voilier aux Antilles et rebelote l’année d’après. Pour limiter les risques au « Venez », comme ils disent, il suffit de prendre quelques précautions, comme ne pas voyager seul par exemple, éviter le continent et ses villes, n’arborer aucun bijou de valeur et ne pas se promener avec un sac à dos ni un sac « banane ».


Après les Testigos, nous avons fait un arrêt à Margarita, l’île incontournable pour les voiliers. Pour des prix défiant toute concurrence, on trouve de tout. C’est génial pour refaire l’avitaillement mais aussi pour acheter du tissu, des outils et tout un tas de bricoles bien utiles sur un bateau. Au Venezuela, la vie est incroyablement bon marché pour un européen et Margarita est une zone franche, c’est donc encore moins cher.
Dans ce pays sud-américain, l’opulence côtoie la misère. Les puissants vivent dans un luxe inouï et les autres survivent en multipliant les petits boulots. Leur monnaie, le Bolivar, ne vaut rien à l’étranger et les Venezueliens n’ont pas le droit d’acheter des devises étrangères. Pour les riches, c’est un problème car l’euro et le dollar sont des bons placements. Un marché noir du change est donc organisé. Il est deux fois plus intéressant pour nous, les européens, que le change officiel. Pour eux c’est la seule possibilité d’obtenir des billets verts ou des euros. En ce moment, l’inflation est galopante et la dévaluation du Bolivar suit. Nous, on récupère davantage de bolivars pour 1 euro mais on se demande combien de temps la situation va être tenable pour le peuple vénézuélien.
Après l’escale technique de Margarita, nous avons flâné dans les îles quelques semaines et nous voici sur le continent dans une marina gardée par des vigiles en armes et protégée de la rue par des murs surmontés de fils barbelés et électrifiés. Dans la journée, nous pouvons aller dans le centre-ville à condition de se faire charger par un taxi à la porte de la marina. Pas question de sortir le soir. Sur la route on longe des immeubles de quelques étages aussi bien protégés que la marina. C’est inquiétant tous ces murs, ces barbelés et ces fenêtres grillagées même dans les étages !


Nous voulons faire un périple de deux semaines à l’intérieur des terres avec des amis, c’est pourquoi nous nous adressons à l’agence de voyage installée à l’intérieur de la marina. Côté sécurité il semblerait que les zones indiennes où nous projetons d’aller ne posent aucun problème. Ce qui craint, c’est la côte et les grandes villes. On nous a proposé un guide avec un 4x4 et un vague programme il y a quelques jours et depuis pas moyen d’obtenir des précisions sur le trajet, les étapes et le prix. Pourtant le départ est prévu samedi matin et nous sommes déjà mercredi.

Enfin ! Nous faisons connaissance de Matthias, notre guide. José, le directeur de l’agence TRANSPACIFIC, nous donne le programme du voyage. Il est temps ! Nous partons dans quelques heures !
Matthias est allemand et cela fait vingt ans qu’il vit au Venezuela. Comme il parle un peu anglais, nous devrions réussir à nous comprendre. Il possède un 4x4 Toyota dans lequel nos bagages seront à l’abri et nous, confortablement installés avec la clim pour ce périple de 3000 km. Matthias est un vrai pro du raid « aventure ». Il a tout prévu : les glacières avec les boissons et la nourriture et les hamacs avec moustiquaires. Il connaît bien le circuit, maîtrise parfaitement son véhicule, parle couramment l’espagnol et a des contacts partout.
Au programme : le delta de l’Orénoque et ses indiens, et Saut Angel.


Il est 8h.
Nous partons pour le delta de l’Orénoque via Maturin.

10h30 – On crève le pneu arrière-droit dans Maturin. Quelle chance ! A proximité d’un garage ! D’après le mécano qui est venu changer la roue, il ne faut pas rester sur ce parking car le coin n’est pas sûr. Pendant que l’on répare le pneu de son 4x4, Matthias nous emmène dans un restaurant typique des bords de route. On y commande un certain poids de viande qui est cuite à la broche sur un énorme barbecue enterré. Elle est servie découpée, avec des patates ou du riz, de la sauce et des crudités.


14h – Moins de 100 km plus loin nous sommes à San Jose de Buja. Nous chargeons les bagages dans une pirogue et notre guide met la voiture dans un garage. Deux indiens Waraos profitent du bateau pour rentrer chez eux.




Ils habitent à Yabinoco et c’est justement notre destination. Il pleut et il faut protéger nos valises dans des grands sacs poubelles. Sous les averses nous prenons des canaux de plus en plus larges dans le delta. Avec la vitesse, les gouttes d’eau nous piquent telles de petites aiguilles.
Une bonne heure plus tard nous arrivons au village indien. Le dépaysement est total!
Les huttes en bois, couvertes de palmes et sans murs longent la rive.


Juste derrière, c’est la jungle que l’on pénètre à coup de machette.
Les huttes sont sur pilotis tout comme l’unique chemin du village.
Des hamacs sont suspendus à l’intérieur et toute la famille vit sur le plancher de rondins sans aucun confort au vu et au su des voisins.

Les Waraos étaient des nomades. Ce mode de vie était essentiel pour leur survie. Cela évitait entre autres l’épuisement des ressources. Pour mieux les contrôler, le gouvernement tente de les sédentariser. Quelques indiens ont donc construit une cabane en dur et deux ou trois familles ont la télé. Elle peut fonctionner du coucher du soleil jusqu’à 23h pendant que le générateur fournit du courant pour les rares frigos et congélateurs.
Plongeon dans les eaux marrons de l’Orénoque qui doit sa couleur à des oxydes de fer. Pour leur toilette, les indiens y descendent avec le gel-douche.

Dans leur hutte il n’y a pas d’eau courante et ils font leur cuisine au feu de bois.
Pour nous c’est à peine moins spartiate ! Nos hamacs sont dans une grande hutte dont le sol est fait de planches et, comble du luxe, nous avons des murs en bois avec des ouvertures équipées de moustiquaires. Pour les douches, c’est comme pour les toilettes, il faut aller dans des cabanons extérieurs. Nous y avons l’eau courante … mais elle est directement pompée dans le fleuve et n’est donc pas potable.

Pour se laver les dents on prendra l’eau en bouteille.
18h30 – Le soleil est couché. Pour l’apéro, Matthias nous propose un CUBA LIBRE. C’est le Ti’Punch vénézuélien : du rhum, du coca et une rondelle de citron, le tout servi bien frais. Fini le rhum agricole AOC dont les Martiniquais sont si fiers. Ici il est fabriqué à partir de la mélasse et non du jus de canne. C’est beaucoup moins bon mais noyé dans du coca ça passe très bien ! Les moustiques nous épargnent, nous sommes habillés des pieds à la tête et nous nous sommes aspergés de répulsif.
Bien fatigués nous allons dans nos hamacs de bonne heure, bercés … désagréablement …

par le ronronnement du groupe électrogène qui ne s’arrêtera que vers minuit!

Réveillés en fanfare par les coqs avant l’aube


nous nous rendormons quand même jusqu’à 6h30. Après un petit déjeuner copieux, nous montons dans le bateau de Freddy, un habitant du village qui nous promènera pendant les deux jours.
Julio, un copain indien de Matthias, sera notre guide dans la jungle et sur le fleuve.
Le débit de l’Orénoque le classe au 4e rang mondial. Son delta couvre une surface équivalant à 75% de celle de la Belgique. Nous sommes dans la partie nord, celle qui se jette dans le Golfe de Paria et nous allons passer toute la journée sur l’eau dans la région de la Boca de Tigre. Nous sommes impressionnés par l’immensité du site. Des centaines de canaux forment un labyrinthe inextricable dans la forêt vierge. Des jacinthes d’eau dérivent au gré des marées qui se font ressentir très loin dans l’intérieur du delta.



Nous empruntons un bras encombré par des roseaux. Les rives se resserrent et nous devons baisser la tête pour éviter les branches. Plus nous avançons, plus la végétation aquatique est dense et le moteur de 48 CH ne réussit plus à pousser la pirogue. Nous sommes pris dans les jacinthes d’eau. Julio dégage le passage avec sa machette mais bientôt cela ne suffit plus. Du coup, Matthias et lui saisissent alors les planches qui nous servaient de repose-pieds et nous sortent de là en prenant appui sur le fond pour extraire la barque du piège où elle s’est mise!.
La Morena, un autre village Warao, est à une demi-heure de bateau de Yabinoco. Une trentaine de famille y vit. Un chemin sur pilotis passe entre la forêt et les huttes. Des troncs couchés perpendiculairement au chemin tracent un sentier vers la végétation luxuriante à partir de chaque habitation. Julio nous explique qu’ils conduisent aux « baňos » et que lorsqu’on y pose culotte, les moustiques en profitent méchamment !
Une multitude d’enfants se précipite sur Matthias. Ils le connaissent car il n’oublie jamais d’apporter bonbons et sucettes. Nous achetons des colliers de graines colorées et des corbeilles tressées avec les joncs du delta.


Tous les Waraos ne vivent pas groupés en villages. Nous avons vu beaucoup de huttes isolées et habitées au bord du fleuve. Une pirogue avec un moteur est un luxe que peu d’entre eux peuvent se permettre.
Pour pêcher le piranha, Julio abat un palmito. C’est un petit palmier. Les palmes effeuillées serviront de cannes à pêche. Il nous donne à goûter le cœur de la partie haute du tronc. Tendre et croquant, c’est délicieux ! Rien à voir avec le cœur de palmier des conserves ! Le reste du tronc est employé pour les planchers des huttes. L’enveloppe du cœur sert de « papier ». On peut y graver des signes en le rayant avec un objet pointu. Il cherche ensuite le coin idéal pour que nous rapportions de quoi faire une bonne friture. Nous n’aurons pas de touche ! C’est Freddy qui attrapera un piranha dans l’après-midi en nous attendant pendant que nous sommes en « promenade écologique » dans la jungle.
Pour cette balade un peu particulière nous sommes équipés !
Chaussures ne craignant rien car nous allons marcher dans l’eau et dans la boue nous enfonçant jusqu’au chevilles. Rien n’est sec et rien ne sèche ici.
Manches longues, col fermé et grosses doses de répulsif anti-moustique. Dès que nous quittons la rive pour pénétrer dans la forêt des nuées de ces affreux insectes attaquent. En marche cela va encore mais quand nous nous arrêtons écouter les explications de Julio c’est carrément insupportable.
Il y a tant de choses à découvrir … Julio nous montre des arbres et des plantes permettant de survivre dans ce milieu hostile.
Il coupe une liane et des gouttes d’eau savoureuse s’en écoulent.
Il pose la main sur une termitière suspendue dans un arbre. Quelques secondes plus tard il la retire couverte de termites qu’il écrase entre ses paumes. Il s’en couvre le visage et le voilà protégé des moustiques !
Le balsa est un arbre dont on utilise le bois pour l’aéromodélisme tellement il est léger. Sa sève épaisse et rouge est un colorant naturel. Ce qui est surtout impressionnant, c’est le bruit que l’on peut faire en frappant son tronc à contreforts avec une masse. Le son émis est grave et sourd. Il s’entend de très loin. Un téléphone sans fil en quelque sorte ! Impeccable pour communiquer dans la jungle et pas de risque d’être en panne de réseau !
Un des palmiers qu’il nous montre est particulièrement intéressant. Avec ses palmes on couvre les toits des huttes. Ses fruits ressemblent à des petites noix de coco dans lesquelles on trouve un peu d’eau et de la pulpe comestible. On en extrait aussi une sorte de fibre végétale tissée et très « stretch » dont on faisait des pagnes. Je préfère le mettre sur ma tête pour me protéger des moustiques qui ne cessent de nous tourner autour. En découpant l’extrémité de l’enveloppe de la fleur, on obtient un verre. Avec son bois séché, on fait du feu en frottant deux morceaux l’un contre l’autre. Bref !

L’arbre à tout faire !
J’ai gardé le meilleur pour la fin …
Dans les arbres morts en décomposition sur le sol détrempé, se développent des vers blancs à tête rouge. Ils sont gros comme un pouce. C’est une source de protéines nous affirme Julio et il nous montre comment le manger. On ôte la tête d’un coup de dents et on la recrache. On vide ensuite le ver de sa substance liquide et on le mange cru ou cuit.

Comme dans « Khô Lanta »!!
Il tente l’expérience et réussit l’exploit. Nous avons la preuve : j’ai filmé !
Il avouera après que ce n’est pas très bon, plutôt amère et très caoutchouteux. Julio admet que c’est bien meilleur quand c’est cuit.
Nous décidons de le croire sur parole.
Au cours de nos trajets sur le fleuve, nous avons vu des dauphins d’eau douce au ventre rose et des singes. On les qualifie de « hurleurs » tellement ils font du vacarme ! Tous les jours, les perroquets arrivent du continent par milliers à la tombée de la nuit pour dormir au sommet des arbres dans la forêt du delta. Nous regardons le soleil se coucher en écoutant leur chant.


Dès 8h nous montons dans la pirogue de Freddy qui nous ramène à San Jose de Buja. Il ne pleut pas et la lumière est magnifique.

Nous profitons mieux du trajet qu’à l’aller où il avait tant plu.
Nous reprenons la voiture pour une longue route vers le sud et la Gran Sabana. Nous passons l’Orénoque sur le tout nouveau pont de San Felix. C’est ensuite Upata, Guasipati, El Dorado et le fameux km88 au pied de la montée vers le plateau.
Au sud-est du Venezuela, la Gran Sabana est un tepui très étendu (1/10 de la France environ) : « Tepuyes » est le nom indien donné aux mesas, ces montagnes tabulaires à la silhouette si caractéristique. La Gran Sabana, autrement dit « La Grande Savane » en français, est un plateau de 1400 m d’altitude en moyenne sur lequel, de loin en loin, se dressent d’autres tepuyes.


Le plus élevé d’entre eux, le Roraima, culmine à 2800 m et il est très isolé du reste de la région. Une faune et une flore endémiques s’y sont développées tout comme aux Galapagos. « Un monde perdu » ! Il est d’un accès difficile et est réservé aux bons treckeurs … à moins de s’y faire déposer en hélicoptère comme des Japonais que nous avons rencontrés.
17h – Nous sommes au pied de la Gran Sabana et nous avons le temps d’y monter. Nous dormirons dans la posada de San Rafaele à côté des rapides de Kamoiran.

Nous suivons la seule route goudronnée. Elle mène au sud à Santa Elena de Uairén à la frontière avec le Brésil. Si on la continue on parvient à Boa Vista.
Un paysage de savane s’étend de part et d’autre. On s’attend à voir des girafes, des lions … mais rien ! Peu d’animaux ici. Nous verrons quand même quelques oiseaux, des lézards, un scorpion, des chenilles, des papillons et beaucoup d’insectes.
Nous quittons l’asphalte pour des pistes menant à des « Saltos ». C’est comme ça qu’on appelle les cascades en espagnol. La Gran Sabana fait partie du bassin versant de l’Orénoque. Il peut pleuvoir jusqu’à 3000 mm par an à certains endroits. Toute cette eau alimente de nombreuses rivières et cascades.

Quelques unes sont spectaculaires et ont contribué à la réputation de cette région unique au monde.
Nous déjeunons en haut des chutes de Kama qui tombent 110 m plus bas. Des indiens y vendent leur artisanat. Ils font de très beaux bijoux. Nous craquons !

Un arrêt rapide à la Quebrada de Jaspe : l’eau court sur le jaspe le polissant sans trêve. Ici la roche siliceuse est rouge vif et noire. Superbe!






Une fois nos bagages déposés à la posada Yakoo de Santa Elena, il nous reste assez de temps pour passer la frontière du Brésil et faire les boutiques brésiliennes de La Linea. Nous réalisons que nous sommes à moins de 400 km de l’équateur. Je ne suis jamais allée autant au sud.


Au lever, il pleut. La visibilité est nulle et Matthias revient bredouille de la pompe à essence. Dans ce pays producteur de pétrole, ils ne sont pas capables de s’organiser pour remplir les citernes des stations.
Vers 10h la couverture nuageuse se lève et nous partons. La piste vers le Salto Yuruani est détrempée et en très mauvais état. Matthias nous donne un aperçu de ses talents de conducteur et des capacités de son 4x4.


Baignade et déjeuner à Balenario Suruape puis pause « artisanat » dans la seule ville de cette longue route : San Francisco de Yuruani et nous voici de retour à la posada pour un farniente bien agréable dans le joli cadre de Yakoo. Pendant ce temps Matthias retourne à la station-service. Le camion-citerne est venu et il lui faut faire la queue … Nous ne le reverrons que 3h1/2 plus tard, complètement épuisé. La Gran Sabana est un lieu de villégiature pour les vénézuéliens pendant leurs congés d’été et il paraît que les pénuries de carburant sont courantes pendant la saison touristique.

Jeudi
Nous prenons la route de bonne heure pour remonter vers le nord. En passant devant les stations essence, je compte les voitures qui attendent : 80 à l’une et 60 à l’autre. Déjeuner à Kamoiran où nous avions dormi à l’arrivée dans la Gran Sabana. Des voitures font la queue à la pompe … qui est fermée. Personne ne peut dire quand le camion-citerne arrivera … quel pays !
Nous repartons pour 3h de piste vers l’ouest. Le paysage est grandiose et désert sur les 70 km qui nous séparent de Kavanayen, ce grand village indien au fin fond de la savane. Les maisons sont en pierre taillée sur les deux faces. Aucune posada n’a été réservée ici. L’idée de bivouaquer à 5 dans le 4x4 ne nous enchante guère ! Matthias demande à la Mission Catholique mais c’est complet. Il finit par trouver des chambres au confort minimaliste. Nous serons quand même dans un lit à l’abri de la pluie qui n’a pas cessé.

Vendredi
Matthias est malade depuis hier soir, grippé et pas en forme. Nous faisons un petit tour dans Kavanayen avant de se diriger en 4x4 vers le Salto Aponwao. Faute d’avoir pu remplir le réservoir d’essence hier à Kamoiran, nous ne pourrons pas faire autre chose aujourd’hui. La piste principale était déjà assez sportive mais là cela devient super ! Matthias oublie sa fièvre tellement il s’amuse à conduire sur la piste noyée d’eau. Boue, ornières, gués … rien ne manque !
Arrivés au petit village sur la rive de l’Aponwao, nous prenons une curiara, cette pirogue indienne équipée d’un gros moteur hors-bord. En 1/2h nous sommes en haut du Salto Aponwao. La rivière bouillonne et des câbles sont tendus en travers. Sans doute pour se rattraper avant la chute en cas de panne de moteur…
Impressionnant ! Le bruit de l’eau tombant 100m plus bas est assourdissant. Nous descendons par un petit chemin à travers la jungle au pied de la chute.
C’est la saison des pluies et nous avons du mal à passer entre les gouttes depuis notre départ. Les cours d’eau débordent et le débit des cascades est énorme. Nous n’avons pas en Europe des spectacles pareils. C’est à couper le souffle, au propre comme au figuré. Lorsqu’on s’approche du pied du salto, la violence des embruns et du vent est à la hauteur d’une bonne tempête en mer.
Retour vers Chivaton, une posada perdue au milieu de nulle part mais un peu mieux que celle d’hier. Comme le ciel s’est dégagé, on aperçoit enfin quelques tepuyes à l’horizon.

Samedi
Journée fatigante de voiture jusqu’à Ciudad Bolivar.
Le pneu qui avait été réparé à Maturin au début du séjour, éclate. Cette fois-ci, il est mort. Matthias met la roue de secours et on croise les doigts car il ne compte pas faire l’achat d’un nouveau pneu avant Puerto La Cruz, terminus du voyage.
La posada Don Carlos est dans le centre de la vieille ville, à quelques pas des rives de l’Orénoque. Cette vieille demeure datant de la colonisation espagnole est superbement restaurée et confortable, mais nous dormirons mal car des chiens ne cesseront de hurler et d’aboyer toute la nuit dans la rue. En plus j’ai de la fièvre. J’ai du attraper le virus de Matthias et puis, ce soir, j’ai eu très froid dans la pizzeria où nous avons dîné. La climatisation était réglée beaucoup trop bas.

Dimanche
7h30 – Matthias nous dépose à l’aéroport de Ciudad Bolivar avant de repartir en 4x4 pour Puerto La Cruz. Pendant une heure, dans un petit coucou à six places, nous survolons vers le sud de grandes étendues désertes et parfois inondées. Les premiers tepuyes apparaissent et l’avion se prépare à atterrir sur la modeste piste de Canaïma. Le spectacle des chutes de Canaïma est extraordinaire. Nous sommes dans un parc national inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1994 et géré par les indiens qui seront nos guides pendant ces deux jours. Le nôtre nous conduit à la posada Wey Tepuy où nous dormirons une nuit. L’autre nuit nous la passerons dans un hamac au campement du Salto Angel.
Il faut laisser notre gros sac à la posada et ne prendre avec nous que le strict minimum pour le voyage en pirogue vers le campement de base du Salto Angel. La remontée des rios Carrao et Churun dure plus de 4h. Il faut franchir plusieurs rapides et nous serons même obligés de passer à terre pour l’un d’entre eux. La pirogue doit être délestée du poids de ses seize passagers pour parvenir à passer sans trop de risques la zone dangereuse des rapides de Mayupa. La majesté des tepuyes que nous longeons nous stupéfie. Des dizaines de cascades coulent le long des parois verticales. A leurs pieds c’est la forêt, luxuriante et gorgée d’humidité. L’eau est rouge, chargée en minéraux et oxydes de fer, le sable et les galets sont roses.


Le campement fait face au Salto Angel. Nous voici devant la mythique « plus haute chute d’eau du monde » : presque 1 km en chute libre. Jimmy Angel, un aviateur américain, l’a découverte par hasard en 1937et on a donné son nom à cette cascade unique. Elle est grandiose !
Les indiens organisent le camp, coupent du bois pour un énorme barbecue capable de cuire les vingt-cinq poulets du dîner et installent les hamacs sous l’abri de tôles.

Nous partons à pied dans la jungle pour nous rapprocher du Salto Angel. La végétation est exubérante et la promenade très agréable.
Arrivés au mirador de la chute nous en prenons plein les yeux. Imaginez un brumisateur colossal ! L’eau qui tombe en chute libre sur presque 1 km s’éparpille en gouttes sur une très large surface en arrivant au sol.
Nous sommes loin et pourtant nous sentons les embruns qui nous rafraîchissent le visage.

Il est l’heure de rentrer. Après un repas au campement de base, nous remontons dans la cariara pour 3 h de descente sur les rivières jusqu’à Canaima et sa lagune. Il pleut pendant presque tout le trajet. En plus, à chaque fois que nous passons des rapides, nous embarquons de gros paquets d’eau.
Malgré les ponchos en plastique nous sommes trempés et nous finissons par grelotter. Un comble sous ces latitudes !





   
Une balade au Salto El Sapo est prévue ce matin. C’est le nom de l’une des cascades de Canaima. Pour cela une pirogue nous fait traverser la lagune. Nous continuons à pied sur l’autre rive.
Le sentier passe derrière la chute d’eau et la longe pendant une bonne centaine de mètres. C’est impressionnant ! Le rideau d’eau qui tombe est tellement épais qu’il fait presque nuit dans l’étroit passage glissant qui longe la paroi. Le vacarme de la cascade nous rend sourd et les trombes d’eau qui nous arrosent, nous aveuglent. Impossible d’y échapper … nous voilà à nouveau trempés jusqu’aux os par l’eau rouge venue des tepuyes.
A la sortie nous nous réchauffons vite au soleil en montant en haut de la chute dominant ainsi la lagune et la plaine de Canaïma où des palmiers poussent les pieds dans l’eau. Que c’est beau ! On resterait là, contemplatifs, si le guide nous laissait faire.
Pour revenir, nous reprenons le même chemin avec un nouveau passage toujours aussi rafraîchissant derrière El Sapo. Nous nous changeons et vite, nous allons à l’aéroport. Le terme est un peu pompeux pour désigner l’endroit mais c’est comme ça.
Nous sommes dans les premiers à arriver pour s’inscrire sur les listes de départ et nous partons avec les premiers vols … dans deux avions différents. Dommage ! J’aurais bien aimé partager avec Jean mon émerveillement en voyant les averses se déverser sur le sol. L’avion effectue les zigzag nécessaires pour contourner les grains. Le spectacle est génial !



A l’aéroport de Ciudad Bolivar, nous trouvons un taxi qui nous emmène à la gare routière. Comme beaucoup de voitures dans ce pays, c’est une vieille grosse américaine rafistolée avec du fil de fer. Elle roule … nous n’en demandons pas plus.
Il reste des places pour le bus de 16h30. En ville, l’air est étouffant et la chaleur à peine supportable. Nous attendons au frais dans la minuscule salle d’attente climatisée de la compagnie. Un homme y dort, assis, la tête appuyée sur un tabouret de bar. Rien ne perturbe ses ronflements, même pas les portes qui claquent !
Le trajet dure plus de 4h. Les bus vénézuéliens sont extrêmement confortables. On peut faire des kilomètres sans peiner. Il fait nuit depuis bien longtemps lorsque nous rentrons chez « nous », des images, des sons, des odeurs, des goûts et des sensations plein la tête.