jeudi 29 août 2013

LE PETIT TRAIN DE PERROS





LE PETIT TRAIN DE PERROS


Cela a été une grande partie de la vie de Pierre Symoneaux (oncle de mon mari) qui fut une mémoire vivante de Perros-Guirec : conseiller municipal de 1964 à 1970, puis adjoint jusqu’en 1976, créateur de l’Association des Plaisanciers et du Club des modèles réduits, il était aussi le petit-fils du docteur Symoneaux, ancien maire de Perros, et le « mari de la pharmacienne », dont l’officine fait face à la gare routière à la Rade : « mon grand-père a participé à l’arrivée du petit train à Perros et mon autre grand-père, caboteur au long cours, y voyait là  un grand espoir pour le port » .


Tout commence avec la naissance de principe, en 1880, d’un train départemental « à voie étroite métrique » qui couvrirait toutes les Côtes du Nord de l’époque. « A Perros-Guirec, le maire, qui était mon grand-père, prévoit la ligne Lannion-Perros avec une patte d’oie à Petit-Camp vers Tréguier et retour à Lannion par Trégastel et Trébeurden ».  Faut-il passer sur le domaine public ou le domaine privé ? « On discute, on s’oppose, on traîne les pieds. C’est  la guerre ouverte entre les « Radains », pro chemin de fer côtier, et les Bourgeois, hostiles. Mon grand-père, qui était « radain », donnera même du terrain à Pont-Couennec ! De guerre lasse, il démissionnera en 1886 …».


Les travaux commenceront quand même. « Avant 1900, on remblaie le fond du port, on achète des terrains ; on ébauche la trouée vers Trestignel et celle qui sera la rue Foch. On invente une chaussée qui créera une « chasse d’eau » pour drainer la jetée du Linkin. » Jusqu’en 1906, où le « petit train » arrive à la rade. «  La gestation de la gare aura duré 26 ans, son exploitation 40 ans seulement. » car le train n’ira pas plus loin que Perros, faute de crédits ! « Le chemin, pourtant tout tracé pour lui, deviendra la route de la Corniche et profitera des ouvrages d’art dessinés par Harel de la Noé, Ingénieur des Ponts & Chaussées. »Le terrain de la gare, prévu au centre du bourg de Perros, accueillera finalement la mairie actuelle en 1934. 


Beaucoup de choses ont été avancées sur cette époque, « notamment que des prisonniers allemands ont construits la voie ferrée avec des pics et des pioches » révèle Pierre Symoneaux : « En fait, c’était des déserteurs de l’armée teutonne. Une équipe a fait la trouée de Trestrignel et l’avenue Foch. Les habitants devaient les loger, les nourrir, et certains pensaient que c’était n’importe quoi car, pour eux, le train c’était l’Arlésienne. Les gens dont les noms à consonance allemande ou alsacienne vivant aujourd’hui dans le coin sont des descendants de cette époque. »


Dès sa création au début du XXème siècle, le quartier de la gare va « exploser » et devenir un quartier commercial important. « En 1925, on compte 4 hôtels, 2 pharmacies, la poste principale, un notaire, un camionneur, des fiacres, deux agences de location, deux marchands de bois, charbons et matériaux, un bazar, une épicerie, un coiffeur, un grand café…Ma grand-mère habitait la maison derrière la galerie Saint-Guirec. »


Pour Pierre Symoneaux, les promoteurs ont négligé un aspect essentiel : « le train devait servir au port, mais, en mettant les rails trop loin des quais, le bateau devait décharger dans un tombereau, qui lui-même transbordait dans les wagons ! » une manutention de trop qui empêchera tout lien commercial  entre les deux moyens de transport. « L’autre « erreur » c’est d’avoir « ignorer » le progrès et l’arrivée du moteur diesel avec la grande Guerre. » Le « petit train » et la gare de Perros connaitront leur apogée vers 1930 : « on préféra ensuite le car  ou le camion, qui passaient sur des chemins pas encore goudronnés, notamment pour le charbon du Nord, qui arrivait à Perros et dont c’était une véritable corvée que de le transborder du bateau vers le train. »


De cette étonnante période Pierre Symoneaux se souvenait étonnamment bien  de ses voyages entre Perros et Lannion allers et retours : « J’allais travailler tous les jours à Lannion, et comme le train mettait une heure pour rejoindre cette commune, on avait le temps de discuter ! C’était très convivial. »


Le « petit train » était composé « de la locomotive, une 030 n°14, d’un wagon de service : poste et serre-freins. » C’est dans ce dernier wagon que se tenait le « chef du train » qui faisait aussi fonction de contrôleur. « La « loco » était servie par un mécanicien et un chauffeur. Les derniers furent Le Luyer et Alfred Dagorn. Le chauffeur cassait les briquettes de charbon, allumai le feu dans la chaudière, l’alimentait. Il assurait aussi le plein d’eau aux principaux arrêts : Perros, Petit-Camp, St Marc et Kermaria (Lannion). »


Le mécanicien était également responsable de la conduite, de la sécurité et du sifflet ! Selon ce rituel : « un coup long, attention ; un coup bref, départ ; trois coups brefs, serrer les freins ; deux coups brefs, lâcher les freins ». Les briquettes de charbon étaient en aggloméré de « pitch », « poussier de charbon anthracite, principalement de Cardiff ». La briquette, « estampée d’une ancre de marine et destinée au cargo vapeur », convenait à toutes les locomotives. «Elle laissait une grande quantité de mâchefer en résidu, dont une partie venue de Lannion a servi à finir le remblai de la chaussée du lac. Les plaisanciers en subissent encore les conséquences par la très forte électrolyse qui érode les « métaux non anodisés. C’est ainsi que certains lests fixes de bateaux sont tombés au fond du port après une lente érosion détruisant les goujons de retenue. »  


« Tout le monde descend ! »                                                                                        Il fallait une heure pour mettre la locomotive sous pression : « les cylindres usaient d’autant plus de charbon que le trin était lourd ou le temps trop froid ».  La convivialité venait surtout du fait de la longueur du voyage et de ses aléas : « il fallait parfois demander aux voyageurs de descendre pour alléger le train, et même de pousser dessus dans la côte de Kernu, avant Mézernec ». Par contre, il fallait freiner dans les descentes après St Marc vers Lannion, après Mézernec vers Perros. « Le chef de train freinait dans le wagon de queue et, en cas de nécessité, demandait à des habitués de faire de même dans les wagons de voyageurs. Il y avait une grande solidarité entre les voyageurs. »


Mais le train n’avait pas que des avantages. Et en matière de sécurité, il y aurait aujourd’hui beaucoup à redire…L’arrivée en gare n’était pas toujours une formalité. « Ce jour-là, les freins ne marchèrent pas : incident mécanique, erreur ou oubli ? La locomotive patina et ne s’arrêta pas, fauchant un vieux perrosien qui passait au passage à niveau sur la route du Linkin, M.Trifoll, honorabilité du quartier, qui fut tué sur le coup, le crâne éclaté et la cervelle explosée arrosant de nombreux témoins, dont Mimi Lissilour (plus tard madame Garnier), notre fidèle postière…qui ne mangea dès lors plus de cervelle de sa vie…Ni sa fille Françoise. Le train termina sa course en enfonçant le fond du garage de la loco et broya la tonnelle du jardin de la propriété voisine où par bonheur il n’y avait personne. »


Un autre jour c’est le wagon de queue qui cassa son attelage au haut de la côte du Kernu alors que le  contrôleur faisait son service en tête de train ! « Le wagon  descendit la côte à vive allure, franchit Pont-Couennec tel un météorite dans un bruit de tonnerre, traversa toute la Rade jusqu’après le port où il arrêta son élan…sans le moindre incident. » Cela tenait du miracle car le train ne passait que deux fois dans la journée, le matin et le soir, sans exception. « Et, lorsque c’était le cas, il passait prudemment en sifflant beaucoup. Le reste de la journée, les gens garaient effet charrettes et autres autos sur les rails posés sur la route départementale. Ce jour-là, la voie était heureusement libre… »


« La dernière fois que le petit train a marché c’était en 1947. Je n’étais déjà plus là… » Pierre, parti travailler 13 années à Loudéac, reviendra à Perros-Guirec en 1958. On connaît la suite et notamment sa passion pour les maquettes de bateaux. « Pendant dix ans j’ai couru et fait courir les jeunes adhérents du club dans les régates de modèle réduit. Deux de mes fils ont même été champions de France. »


Alors, lorsque Marie-Claude Guéguen lui parle d’un salon de la maquette sur le thème du centenaire du train des Côtes d’Armor, il  propose de se charger de la gare de Perros… » Une fois les premières esquisses lancées, je me suis dit qu’il fallait faire l’environnement avec ses maisons et ses commerces ». Grâce à des cartes postales d’époque, mais aussi à ses propres souvenirs de jeune homme, Pierre Symoneaux conçut le gros-œuvre de la maquette, « sa belle-fille se chargeant de la décoration »,  qui a été exposée à la maison des Traouïero les 21, 22 et 23  janvier 2005. « Pour l’Hôtel de l’Armor, par exemple, je n’avais aucune carte postale. Une nuit je l’ai rêvé et l’ai reproduit le lendemain matin » s’étonne-t-il encore lui-même. « Pour le réservoir d’eau, c’est encore pareil : des mais m’ont fait part de leurs souvenirs, mais personne ne se rappelait  exactement où il était dans la rade. »


Au final ce fut une magnifique exposition que ce premier salon de la maquette, avec une conférence de Louis Jourdan et une projection vidéo dans le cadre du centenaire des chemins de fer des Côtes du Nord. Yvonne Jouan a fait partager les souvenirs des voyageurs de cette époque et la salle a ensuite pu échanger. Les visiteurs ont pu découvrir les nombreuses maquettes réalisées par les exposants : outre Pierre Symoneaux, quatre personnes étaient en compétition sur le patrimoine de Perros-Guirec : Annie, la belle-fille de Pierre, mais aussi Alexandre Cornu du collège des Sept-Iles, Pierre Leroux de Tonquédec et Jérôme Cosmard des Closets de Coadout, qui l’ont évoqué  leur manière. Pour le reste, bateaux, trains électriques, charrettes, sardinier de Concarneau, Tour de France, voitures et camions, avions et dioramas se sont partagé  la vedette.




Petite et brève histoire de

 

«La Gare de Perros-Guirec»:1906-1947

.

£a gare de Perros-Guirec fut inaugurée en 1906 après une conception longue et très discutée, qui a débuté aux environs de 1880. £e Dr Pierre Symoneaux est maire alors que se construit la ligne de chemin de fer Paris-Brest partant par Saint-Brieuc, Guingamp, Morlaix,  avec un écartement des voies à 1,54 ML (ou 5 feet), dites voies normales.

£a  Bretagne est alors la légion française la plus excentrée, quasi déserte, où les routes sont des chemins, et où seul le cheval tire voyageurs et marchandises. Par contre, les matériaux lourds et non « urgents » circulent facilement par la mer. £e cabotage et les ports font florès. Danouet, £e £égué, Binic, Paimpol, Tréguier, Perros-Guirec, Toul an Héry... reçoivent des bateaux de 40 à 200 tonneaux. Bois, ciment, charobn arrivent ; Pommes, pommes de terre, céréales, poteaux de mine, partent. £es côtes de la Bretagne en sont la « Ceinture  Dorée ».

Il est normal qu'ait germé dans l'esprit des édiles l’idée de relier les ports à la voie ferrée axiale Paris-Brest.

Mais comment réaliser un tel projet ?

C'est la naissance du principe d'un train départemental à voie étroite métrique qui couvrirait tout le département des « Côtes du Nord » : de £amballe à Pléneuf, Saint-Brieuc à Carhaix, Guingamp à Paimpol et Tréguier par Pontrieux, Plouaret à £annion et Perros… et pourquoi pas Saint-Brieuc à Morlaix par la côte. £'idée fait son chemin. On en fait les plans. On chercne des financements. Simultanément surgissent les difficultés, les trafics d'influence, les divergences de vue ou d'intérêts, les atermoiements, les retards ...

à Perros-Guirec, le maire prévoit la ligne £annion à Perros avec « patte d'oie » à Petit-Camp vers Tréguler, et retour à £annion par Trégastel et Trébeurden.

£à aussi les problêmes s'accumulent: passera-t-on sur les routes départementales, sur le domaine maritime, ou sur le domaine privé ? On discute, on s'oppose, on traîne les pieds. £e Dr Pierre Symoneaux va même donner du terrain à Pont Couennec... De guerre lasse, il démissionnera en 1886... £es travaux vont quand même commencer. Dès avant 1900, on remblaie le fond du port ; on achète des terrains ; on ébaucne la trouée de Trestrignel et celle qui sera la rue port ; on invente une chaussée qui créera une chasse d'eau pour drainer ia jetée du £inkin... Enfin, en 1906, le « Petit Train » arrive à ta Rade, mais il n'ira pas plus loin, faute de crédits. £e chemin, pourtant tout tracé pour lui, deviendra la Corniche et profitera des ouvrages d'art dessinés par Har de ia Noé, ingénieur des Ponts et Chaussées à Saint Brieuc : les Arcades du £inkin comme le Pont de £anneg Pont Mein à Ploumanac’h. £e terrain, acquis au bourg  pour y faire la gare et devenu inutile, verra s'y construire la mairie en 1934...
£a gestation de la gare aura duré 26 ans.
Son exploitation durera 40 ans.

Dès 1906 le quartier de la gare va « exploser » : de quelques rares maisons d'habitation, dites « de Capitaine », il va devenir un quartier commercial important.

En 1925, on compte 4 hôtels, 2 pharmacies, la poste principale, un notaire, un camionneur, des fiacres, 2 agences de location, 2 marchands de bois, charbons et matériaux, un bazar, une épicerie, un coiffeur, un grand café : « £a Terrasse » avait une salle de billard et une grande salle de réunions pour noces et bals, avec un piano mécanique qui fonctionnait avec une pièce en bronze de deux centimes (souvenir personnel avec mention de mon premier abus de boisson alcoolisée en 1924 lors du mariage de Félix £e Rolland avec Marie £e Briquir.)

Les « promateurs » du petit train ont fait quelques erreurs. £a principale est d'avoir posé les rails trop loin des quais du Port. Un Batea qui décharge doit vider son chargement dans des tombereaux, puis les transborder dans les wagons : une manutention trop chère qui empêchera tout lien commercial entre le port et le train, à l'arrivée comme au départ. Une autre erreur est d'avoir « ignoré » le progrè,s et l'arrivée du moteur diesel en particulier, vulgarisé par la Grande Guerre. £e moteur va concurrencer à mort la marine à voile, augmenter le tonnage des navires et ruiner les ports à échouage.

Ainsi le « Petit Train » et notre gare verront-ils leur apogée vers 1930. Ensuite les chemins de fer départementaux partout régresseront. £'arrivée à Perros du charbon du Nord sera freinée par les frais du transbordement, l'expansion du camionnage et l'amélioration des routes.

Notre petit train aura sa pleine activité durant la 2ème  guerre mondiale, s’essoufflera... et s'arrêtera en 1945.

En 19 47, on enlèvera les derniers tronçons de voies...

En 1961, la mairie de Perros « rasera » la gare, dont heureusement nous sauverons la Salle des Pas Perdus, devenue officiellement en 1972 « Fouer des Plaisanciers ».

Sic transit, terminus !

£a maquette au I/I00ème de la gare de Perros-Guirec vers 1930 présente quelques anomalies : erreurs matérielles, mauvaise échelle ou anachronismes ? Merci de les signaler pour une éventuelle correction. Mais, vers 1930, l'évolution du quartier fut une vraie R-évolution !

Pierre Sumoneaux   (1918 - 2009)