samedi 17 mai 2014

LES RECITS D ISABELLE AUTISSIER





Raie manta 

Je poursuis ma politique de bonnes nouvelles concernant l’océan. Au programme aujourd’hui la raie Manta. Un souvenir pour moi d’un mouillage tranquille (pour une fois !) en Nouvelle Zélande. Je vais jeter un coup d’œil à l’ancre avant la nuit et mon regard est attiré par une énorme masse d’un bleu presque noir, qui évolue sous la coque. Un corps massif, deux ailes qui battent comme une lente respiration, une grâce infinie malgré sa masse : une raie Manta, un animal qui semble venir d’un autre âge. La nôtre, déjà impressionnante ne devait faire que 3 ou 4 mètres d’envergure, les plus grosses atteignent 8 mètres. Pourtant l’animal est paisible, ne se nourrissant que de vers et crustacés qu’il déniche en fouillant le sédiment avec ses espèces de cornes frontales. La raie Manta n’est ni dangereuse pour l’homme, ni farouche pour son malheur. Car les chinois, considérant que la consommation de ses branchies serait souveraine pour tout traiter du rhume au diabète, la pêche a décimé 30 % de la population jusqu’à 80% dans certains endroits. Elle est pour cela classée dans la liste «vulnérable »  de l’IUCN, l’organisation qui surveille la santé des espèces. Il faut dire que vivant environ 25 ans, n’étant adulte que vers 5 ans et ne produisant guère plus qu’un ou deux petits après un an de gestation, son taux de reproduction est particulièrement faible et l’espèce est facilement mise en danger.

Mais la raie Manta a un atout formidable : elle en jette ! Quel plongeur n’a pas rêvé de se trouver nez à nez avec ce géant des mers. Voyez seulement le nombre de site internet qui vous proposent d’aller à leur rencontre moyennant quelques deniers sonnants et trébuchants. La raie Manta ne vit pas qu’en profondeur, elle aime  aussi batifoler près des côtes et dans les baies, en couple ou petits groupes familiaux. Parfois elle se livre même à des acrobaties spectaculaires en sautant hors de l’eau pour se débarrasser de parasites. Ce sens du spectacle va bien l’aider. Un certain nombre de pays ont médité  l’étude sortie récemment selon laquelle une seule raie Manta vivante génère 1 million de dollars de retombées touristiques, quand une raie capturée n’en fournit que 40 à 500 aux pêcheurs. Equateur, Philippine, Nouvelle Zélande, Mexique ont commencé à protéger l’espèce et viennent d’être rejoint par un pays de taille : l’Indonésie. Avec ses 17 000 îles et ses 6 millions de Km 2, c’est un immense espace qui s’offre pour la survie de l’espèce …. Et pour les indonésiens 15 millions de dollars de chiffre d’affaire de plongée de découverte.

Je ne dirais pas que tout est réglé. Il va quand même falloir faire respecter cette réglementation dans ce grand territoire et  traquer les braconniers. On pourrait aussi s’attaquer aux autres causes de sa disparition que sont l’artificialisation des côtes et le développement du trafic maritime qui les privent d’espaces. La raie Manta qui fouille le sol va aussi malheureusement absorber des boues ou des animaux contaminés par les polluants agricoles ou industriels qu’elle va accumuler au cours de sa vie. … Vous allez dire que je suis trop exigeante ! Il faut bien comprendre que l’on ne protège pas une espèce toute seule, mais l’ensemble de l’écosystème qui la fait vivre…. D’ailleurs ce raisonnement s’applique aussi à nous, les hommes !
Enfin ne boudons pas notre plaisir. Quelque chose est fait qui va dans le bon sens. Au fait, chasseurs d’images de tous poils, personne n’a jamais réussi à observer la mise bas de maman raie Manta ! Sortir un petit qui mesure déjà 1,40 mètre, quand on est une mère de 2 tonnes… ça doit être impressionnant. Mais personne n’a encore trouvé l’adresse de la maternité et puis il ne faudrait pas la déranger pendant la délicate opération.

Je vous souhaite de vous extasier un jour devant ce bel animal et vous dire que la nature est étrange et magnifique.
 Longue vie aux raies Manta !

 

Le plancton

Expédition Tara Océans Polar Circle 2013 - Plancton

Il y a très très longtemps … quand je faisais mes étude d’ingénieur des pêches, j’ai eu l’occasion de faire un stage de trois semaines au laboratoire de planctonologie de Villefranche sur mer : Incroyable, génial, éblouissant, je ne l’ai jamais oublié. Avec des filets aux mailles minuscules, nous partions à l’aube. Il semblait qu’il n’y avait rien dans la mer imperturbablement bleue, juste une petite boue au fond de notre chalut. Et pourtant, quand revenu au laboratoire nous examinions tout cela, c’était un monde, un univers ! Des milliers de formes différentes, des êtres translucides dont on voit battre les organes par transparence, des plumes, des poils, des appendices de toutes nature, des animaux merveilleusement géométriques, dentelles de calcaires plus finement sculptées que des bijoux. Dans un seul litre d’eau de mer une vie débridée se cache. Il se trouve que l’actuel directeur de ce laboratoire Christian Sardet  est non seulement passionné de ses chères bestioles mais aussi excellent pédagogue et vient de sortir un livre qui est magnifique, pour les amateurs de science, mais aussi pour les amateurs de beau, tout simplement.
Rappelons que le plancton est à l’origine de  la vie sur terre, et c’est parce qu’il s ‘est développé et complexifié pendant des milliards d’années dans l’océan que nous sommes là aujourd’hui. C’est l’explosion des cyanobactéries qui a produit, il y a plus de 2 milliards d’années assez d’oxygène pour ouvrir la voie à la respiration. Le plancton, végétal ou animal est la base de toute chaîne alimentaire : poissons, crustacés et coquillages lui doivent tout et 3 milliards d ‘être humains dont la mer est la seule source de protéines. Ce sont les milliards de milliards de minuscules coques calcaires des coccolitophoridées et des foraminifères qui en s’accumulant dans les grands fonds ont formé les roches calcaires, pendant que leurs collègues les diatomées devenaient  les précurseurs du pétrole et du gaz , mais aussi de silice qui nous sont des engrais puissants. Ce sont certaines espèces de plancton qui émettent suffisamment de sulfure de diméthlyle dans l’atmosphère pour qu’ait lieu la condensation et la formation des nuages. C’est le phytoplancton, le plancton végétal qui absorbe par sa croissance plus de tiers de nos gaz à effets de serre et piège le carbone en profondeur en coulant après la mort.
S’il fallait ériger une statut à la vie, elle ne pourrait être qu’en forme de plancton. Remarquez que là on aurait l’embarras du choix. Plus de 200 000 espèces connues mais sans doute encore 1 million  inconnues et encore je ne parle pas des bactéries. Car plancton veut dire «  errer » en grec et concerne tous les organismes qui se laissent dériver au gré des courants. Beaucoup nous sont inconnues, mais on trouve aussi des œufs et larves de poissons ou de crustacés, des méduses et quantité de vers flottants.  De 1 micron à 10 mètres de  long pour certaines méduses, comestibles comme la poutine o la spiruline, urticants et même mortels dans certains cas ; isolés ou en colonies; durs ou mous, végétaux vivant du soleil ou animaux prédateurs, carnivores ou cannibales ; le plancton a déjà tout inventé ou presque. C’est pour nous, les hommes une source potentielle d’immenses découvertes qui vont peut être un jour nous nourrir, nous soigner, nous fournir de l’énergie ou des procédés bio chimiques. A condition quand même que l’océan reste en bonne santé et pas trop affecté par le réchauffement climatique mais ceci est une autre histoire.
Feuilletez donc « Plancton, aux origines de la vie » de Christina Sardet aux éditions Ulmer, des photos sublimes et un texte passionnant.
Bonne lecture !
 
 

Le code polaire

 
Icebergs 

Figurez-vous qu’aujourd’hui, un cargo peut naviguer dans les mers arctiques avec les mêmes normes qu’en Méditerranée. On imagine pourtant que les risques ne sont pas tout à fait les mêmes. La glace, bien sûr, le mauvais temps fréquent accompagné de vents et mers forts, les très grandes distances à parcourir, coté russe comme coté canadien, sans qu’il n’y ait d’abris ou de ports convenables, l’obscurité six mois de l’année. À quoi il faut ajouter les récifs et autres bancs de sables inconnus, songez que près de 80% des îles canadiennes ne sont pas précisément cartographiées. Plus insidieux les effets du froid qui produisent des phénomènes de givrage des superstructures risquant de faire chavirer un navire ou endommageant les coques, les bouchons de glace empêchant le fonctionnement des pompes ou des extincteurs. Bref la liste est longue des dangers particuliers de ces mers avec les  conséquences que l’on imagine sur ….. les prime d’assurances ! Ce qui n’est pas la moindre des conséquences pour certains. 

Or, on en a déjà abondamment parlé, la banquise du Grand Nord fond inexorablement sous l’effet du réchauffement climatique. En 30 ans, cette banquise d’été a diminué des deux tiers et ce n’est pas fini. Le trajet entre l’Asie et l’Europe du nord pourrait se voir raccourci de près de 40 % , avec de juteuses économies en perspectives. Mais l’ouverture de ces mers polaires c‘est aussi vraisemblablement de nouveaux navires de pêche et de touristes amateurs d’exotisme froid. Le 26 août 2013, le premier navire chinois, le Yong Sheng a emprunté le passage du Nord-Est ,sous la garde grassement rémunérée de bateaux russes.  De plus la découverte d‘immenses réserves de pétrole et de gaz dans ces mers augmente chaque année le trafic, au total 1000 navires l’année dernière.

Risque pour les équipages, bien sûr, mais aussi pour un environnement particulièrement fragile comme tous les écosystèmes froids. On se souvient du naufrage de l’Exxon Valdez en Alaska qui fut un désastre, dont les espèces marines n’ont pas fini de se remettre, et coûta plus de 4 milliards de dollars.
L’Organisation Mondiale Maritime a donc décidé de faire quelque chose, enfin ! Les discussions devraient pouvoir se clore cette année pour entrer en vigueur en 2016. Il s ‘agit de s’attaquer aux questions de sécurité, à la formation des équipages, à la prévention des pollutions, et à un système de certification des navires et enfin de définir un système de veille et de déclarations pour les bateaux se baladant dans la zone.

Dans ce projet de « code polaire », beaucoup de bien donc, mais quelques regrets : la question du largage des eaux de ballasts, ces cuves remplies pour stabiliser les navires et dont les eaux sont souvent porteurs d’espèces dramatiquement invasives, n’est pas abordé, ni l’interdiction des fuels lourds qui font tant de dégâts quand ils se répandent en mer ou les émissions de particules fines qui déposées sur la glace vont contribuer à la fonte de la banquise.

Reste à ce qu’il n’y ait pas de catastrophe d’ici 2016 … priez avec moi...

Bernard Gilboy, épicier et navigateur 

San Francisco 1874 

Une histoire un peu dingue aujourd’hui. Nous sommes en 1882 aux Etats Unis. Une barcasse de 5,50 mètres, visiblement surchargée se traîne vers la sortie de la baie de San Francisco. A la barre, un fringuant moustachu de 30 ans : Bernard Gilboy, épicier de son état, qui n’a rien de moins comme projet, que de traverser le Pacifique en solitaire. Rappelons qu’à cette époque seul l’Atlantique a été vaincu en solo par un autre américain Alfred Johnson. Mais le Pacifique est un océan deux fois plus grand ! Cet un ancien marin prétend méditer sa navigation depuis des années. Pourtant il se lance dans cette aventure avec une légèreté qui tient du suicide.

Sans même avoir essayé ce navire, qu’il a pourtant fait construire, il y entasse pêle-mêle, des barils d’eau, 80 kg de biscuit de mer, un stock de conserve, un petit réchaud, un parasol (on se demande pourquoi) un fusil et un revolver, une carte à grande échelle et un sextant. Et vogue la galère, car se sera bien une galère, même si le douanier qui lui autorise la sortie du territoire inscrit sur les papiers « voyage d 'agrément » !

Sur un si petit navire, la « cabine » , s’il faut appeler cela ainsi n’est qu’un minuscule boyau. Sur le pont un trou d'homme permet juste d'être assis pour barrer, sans aucune protection à la merci de chaque vague. À la vitesse d ‘un escargot, les longues heures de barre (on n’a pas inventé le pilote automatique ) virent au cauchemar : brûlure du soleil et furoncles dus à l’eau de mer à l’extérieur, moisissures amenant macération et ulcérations à l’intérieur.

Très vite son chronomètre rend l’âme, il ne peut plus calculer sa position, ne sait plus où il est. Un coup de mauvais temps fait chavirer deux fois  la barcasse, il réussit à la redresser en jetant à l’eau son grand mât et sa grand voile. Sous gréement de fortune, confectionné avec des avirons, il trouve moyen de se faire harponner par un espadon qui embroche la coque, provoquant une voie d'eau. Pour éloigner les requins qui lui tournent autour,  il confectionne un épouvantail qu’il installe à la barre quand il dort. On se sait si ce sera efficace…

La coque se couvre peu à peu de berniques et le ralentit encore. Et il doit se contenter de regarder les poissons venir s’abriter sous la carène faute de matériel de pêche. Le temps s'étire, mais il faut barrer, encore barrer pour essayer de progresser. Au bout de cinq mois de misère, les vivres et l’eau se font rares.

Le 29 janvier 1883 : il note dans son journal : « demain, plus rien à manger, il ne me reste qu’un peu d’eau. Je ne vivrais plus très longtemps…». Il faut croire qu’il y un bon dieu des inconscients, car l’ après midi même, il croise un navire négrier de retour des îles Salomon pour sa sale besogne. Il est recueilli, à l’état de squelette, incapable de parler et couvert d'ulcères. Il aura mis 162 jours pour parcourir 7000 miles, il ne lui en restait que 160 à faire pour entrer dans la légende. C’est l’anonymat qui l’attend et même ses mémoires ne susciteront aucun intérêt : malheur aux vaincus !
Comme quoi, on ne fait pas tout à fait n’importe quoi en mer.à méditer !

Si cela vous amuse, on trouve encore cette ouvrage, bien intitulé « A voyage of leasure » !


la longitude
 
 
Montre d'Harrisson 

Hors de vue de terre, latitude et longitude sont le meilleur moyen qu’ont trouvé les hommes pour savoir où ils sont. Pour la latitude, pas trop de problèmes, l’observation de la hauteur du soleil ou des étoiles permet par un calcul simple de la connaître, à tout le moins de rester sur le même parallèle. La longitude c’est plus corsé. Si on a l’heure précise à bord, on peut la comparer à celle du méridien de départ dont la longitude est connue, puisque en une heure la terre a tourné de 15 ° … ça va vous suivez ?

Le problème c’est que pendant des siècles on était bien en peine d’avoir des horloges précises à bord. De cette incertitude suivaient de nombreux naufrages et un jour le roi d Angleterre, Georges III s’agaçât de la perte de 4 de ses navires et deux mille marins au large de la Cornouaille et promit une fortune équivalent à plusieurs millions de dollar
actuels à celui  qui trouverait la solution du problème. Nombreux furent les Géo Trouvetout attirés par le pactole, on vit défiler celui qui proposait de disséminer des radeaux  ancrés sur l’Atlantique à des points fixes tirant des coups de canons et des fusées et celui qui envisageait la blessure de chiens … oui ,oui, M. Digby, inventeur de la poudre de sympathie, se vantait de guérir des blessures simplement en recouvrant de sa poudre miracle un objet appartenant au blessé ; prenez donc un chien que vous blessez et à qui vous avez fait un pansement ; faites ensuite monter le chien à bord et chaque jour à midi, une personne restée à terre trempera le pansement dans la poudre… le chien à bord hurlera à la mort et signalera ainsi qu’il est midi sur le lieu du départ … simple !

 Plus sérieux une lutte terrible opposa les astronomes du roi tenant de visées et calculs qu’ils étaient sans doute les seuls à maîtriser et un horloger du Yorkshire : John Harrisson. Génie de la mécanique et du bricolage le brave homme consacra plus de 30 ans de sa vie à construire 5 horloges. Chacune était un bijou de l’art, il perfectionna sans cesse les matériaux, de plus en plus solides, les engrenages de plus en plus fins et les outils qu’il fallait pour les travailler, les mélanges de métaux les plus complexes pour éviter la moindre dilatation, les huiles les plus fines. La première avait la taille d’une armoire, la dernière tenait dans une poche. A chaque fois qu’il présentait son ouvrage, ses ennemis, les astronomes le débinaient , chipotaient sur les tests ou essayaient de lui tirer ses secrets. Il fallut que son horloge la plus aboutie H4 eut l’honneur d’accompagner le célèbre Cook en 1772 dans son deuxième voyage et que celui- en chante les louanges, pour qu’enfin le talent d’Harisson soit reconnu. Entre temps il était vieilli, aigri, y avait laissé sa santé et sa petite aisance financière.

Mais grâce à lui, les garde-temps, comme on les appelaient alors, firent leur apparition  sur les navires et sauvèrent bien des vies.
Si l’histoire vous passionne, les horloges d'Harisson sont gardées comme des trésors nationaux au musée des longitudes de Greenwich on voit aussi à Paris au musé des Arts et métiers, l‘exemplaire construit par le concurrent français de Harisson, Ferdinand Berthoud et il y a l’excellent petit ouvrage de Dava Sobel tout simplement appelé longitude.

Gloire donc à l’horloger Harisson !

Mingming

Dans la catégorie des excentriques attirés par la mer, il y a ceux qui veulent toujours plus grand, plus gros et ceux qui préfèrent le minimalisme. J’avoue avoir un faible pour ces derniers qui prouvent que l’on peut se faire de très grands plaisirs avec de très petits bateaux. J’ai donc été satisfaite de voir que le livre «  Mingming et l’art de la navigation minimaliste » avait reçu le prix du festival de livre maritime de Concarneau. De quoi s’agit-il ? L’anglais Roger Taylor a plus une tête de Woody Allen que de vieux loup de mer, avec sa calvitie et ses grosses lunettes. Jeune homme, il a fait naufrage sur l’Endeavour 2, réplique du bateau de James Cook et en a, on le comprend, conçu une aversion pour les gros voiliers. Affinant le proverbe «  petit bateaux, petits soucis », il  a cherché à concevoir le navire le plus simple capable quand même de traversées océaniques. Le résultat s’appelle Mingming, 6,32 mètres, gréement de jonque, à l’intérieur à peine un réchaud et une couchette, du genre avec lequel vous hésiteriez déjà à traverser la rade de Brest pas mauvais temps. Pour préparer son bateau, il commence par se demander ce qu’il n’emmène pas, recycle ce qui lui tombe sous la main pour bricoler le bateau et surtout tient en horreur les mille appareils qui font le quotidien des salons nautiques.
Pourtant avec ce fier navire et surtout une grosse dose de sens marin, Roger parcourt tous les ans quelques milliers de milles au grand large. Car la particularité du personnage est qu’il n’aime pas ou n’a pas besoin de la terre. Il ne fait donc pas d’escales pendant ses deux  mois rituels. Il adore les mers froides, ses lumières brouillées, ses eaux sombres et ses voyages l’ont mené autour de l’Islande, vers le Groenland ou le Spitzberg. Son vrai plaisir est d’avoir l’horizon à 360 °, quand il est blotti dans son trou d’homme qui le protège à peine du froid et de la mer. Il aime se sentir «  dedans », en harmonie totale avec l’océan, lui et son bateau, d’ailleurs il dit «  nous » pour parler du couple qu’il forme avec Mingming. Son récit, ce sont donc des pages lentes, où son œil de peintre et son oreille de musicien amateur se régale des moindres événements. Ennemis de la contemplation s’abstenir, voilà comment il parle de lui même :   « J'étais devenu une sorte de moine océanique, confiné dans une cellule minuscule et non chauffée, silencieux comme un trappiste, ascétique, contemplatif. ».
L’intimité avec la nature, la rencontre avec des cétacés le rend lyrique, ainsi : « Elles étaient là, ces imposantes montagnes de graisses, ces baleines comme des sous-marins nucléaires, de vrais monstres vivants, bien noirs et terrifiants....Je n'avais jamais rien vu de si beau, de si triste, rien qui parle avec tant d'éloquence de l'âge du Monde. »
Disons le, ce qu’il fait n’est pas à la portée de n’importe qui et d’ailleurs peu sans doute sont ceux qui y trouveraient plaisir. Mais je trouve réconfortant que ce genre de marins existent et Taylor a une belle façon de faire partager son enthousiasme.
Pour lire sous la couette, cela s’appelle «  Mingming et l’art de la navigation minimaliste », publié par la Découvrance. »
Bonne lecture !


 
 
un long naufrage

Salvador Alvarenga ©Roberto Escobar/epa/Corbis
Une histoire a défrayé la chronique maritime, il y a quelques semaines, dont José Salvador Alvarenga a été le malheureux héros. Il a acquis le douteux privilège de signer le plus long naufrage de l’histoire : 13 mois.

Ce salvadorien de 37 ans, après avoir échoué, il y a 15 ans à passer aux USA, s’est fixé dans un village du Chiapas au Mexique pour y devenir pêcheur de requins. Le 20 novembre 2012, il part à la pêche, comme tous les jours, avec son jeune collègue, Ezechiel Cordova. Hélas, une avarie de moteur les entraîne dans une hallucinante dérive dans le Pacifique. Durant 13 mois, près de 400 jours, leur coquille de noix de 7 mètres va être ballottée par les courants. Ils n’ont à manger que les poissons, les oiseaux et les tortues qu’ils capturent à mains nues et consomment crus. Ils ne boivent que grâce aux rares pluies ou en suçant les yeux des tortues, absorbant même leur urine. Dégoutté par ce régime, épuisé par le soleil et la chaleur, le plus jeune succombe au bout de 4 mois. José désespéré songe à en finir. Aucun des rares bateaux entre aperçus ne le remarque, dans sa barque basse sur l’eau. Un matelot lui aurait même fait un gentil signe de main, le prenant sans doute pour un pêcheur au travail. S’il tient c’est grâce à sa foi et au souvenir de sa femme et de sa fille de 10 ans qui le croient mort.

Le 30 janvier 2014, enfin une île apparaît à l’horizon et une plage sur laquelle il accoste. Epuisé, muni de son couteau, il se laisse tomber sous un cocotier. Il vient d’atteindre l’atoll d’Ebon, au nord des îles Marshall, après 12 500 km de dérive. Les habitants incrédules entendent les cris de cet homme, à la longue barbe et aux cheveux emmêlés, seulement vêtus de sous vêtements déchirés et pouvant à peine marcher. Ne parlant pas espagnol, ils arrivent à force de dessins à comprendre son drame. Conduit à l’hôpital, José, sonné, est incapable de raconter son errance, ne se souvient même plus du nom de son village ou du numéro de téléphone de sa femme, ni même son âge. Il ne se rappelle que de la mer, la mer et encore la mer.

Le précédent record, s’il faut appeler cela ainsi, était détenu par 3 pêcheurs mexicains, eux aussi, en 285 jours. Son histoire paraît si folle que les autorités penchent d’abord pour un simulateur, d’autant que l’homme ne paraît pas vraiment amaigri. Alors les scientifiques s’en mêlent. Sa corpulence ? Due à l’œdème lié à sa forte exposition au soleil et au sel. Sa perte de mémoire ? Normale pour quelqu’un soumis à un stress aussi long et violent. Attraper oiseaux et poissons à pleine mains ? Possible, quand on sait qu’un objet flottant sert d’ombrage aux poissons et de reposoir aux oiseaux. Sa dérive ? Plausible disent les océanographes qui ont traqués les débris du tsunami japonais. Les simulations des vents et des courants font bien arriver une épave au même endroit dans un temps similaire.

Et renseignements pris, une barque mexicaine manque bien à l’appel depuis ces 13 mois. Les copains, la famille retrouvée reconnaissent bien José. Il est sauvé. Tout au plus les psychiatres recommandent qu’il n’entende plus le bruit des vagues, susceptibles de le mettre en état de stress, car il souffrirait d’une phobie de la mer … On veut bien le croire !
Après avoir été accueilli en triomphe dans son pays et son village natal de Garita Palmera, le brave José est revenu à Salvador city un peu déboussolé. Revivre près de la côte est visiblement au dessus de ses forces. Il n’a pas l’air d’être enthousiaste à raconter son aventure à une maison d’édition ou un réalisateur. Tout ce qu’il veut c’est oublier et peut être se faire payer par la compagnie de pêche qui l’employait.

Souhaitons lui donc un prompt rétablissement et un nouveau job… plutôt à la campagne.
Naufragés de tous les pays, en tous cas ne perdez pas espoir. 13 mois c’est possible !