Le fabuleux voyage de l'obélisque de la Concorde
Comment le monument pharaonique est-il arrivé de Louxor jusqu'à Paris ? Plus que quelques jours pour découvrir la superbe exposition qui retrace cet étonnant périple.
Paris,
25 octobre 1836. Le ciel est couvert, mais, par chance, il ne pleut
pas. Sur la place de la Concorde, près de deux cent mille Parisiens
jouent des coudes pour ne rien rater du spectacle. Jusque sur les
terrasses des Tuileries et sur l'avenue des Champs-Élysées, la foule se
presse. À 11 h 30, juché sur un piédestal, l'ingénieur Apollinaire Lebas
donne enfin l'ordre tant attendu. Au son du clairon, les trois cent
cinquante artilleurs amorcent leur marche circulaire et cadencée autour
des dix cabestans de l'appareil de levage. Les centaines de musiciens
massés près du ministère de la Marine, à l'angle de la rue
Saint-Florentin, cessent subitement d'interpréter Les Mystères d'Isis de
Mozart et rangent leurs archets. Chacun retient son souffle et se
hausse sur la pointe des pieds pour ne pas en perdre une miette. Dans un
silence religieux, on voit tout doucement apparaître la pointe du
monolithe. Puis, le monument se redresse fièrement sous les yeux ébahis
du Tout-Paris.
Tel le capitaine d'un navire, l'ingénieur Lebas reste volontairement sous le monument ; il ne doit pas survivre en cas de rupture de l'appareil. Vers midi, le succès semblant assuré, le roi Louis-Philippe, le prince et les personnalités conviées apparaissent au balcon de l'hôtel de la Marine. Puis l'opération s'achève. Le bois craque, les boulons grincent, les câbles se tendent à l'extrême... Aux alentours de 14 h 30, l'obélisque reposant entièrement sur son piédestal, le drapeau national est fièrement hissé au sommet du monolithe. De son balcon, Louis-Philippe donne le signal tant attendu des applaudissements. C'est une ovation. Aujourd'hui, on est bien plus happés par le trafic fourmillant de la place de la Concorde que par l'histoire de son monolithe pharaonique. Et pourtant... À l'aube du XIXe siècle, transporter près de deux cent trente tonnes de granit rose de Louxor jusqu'à Paris constitua une véritable épopée. C'est ce voyage extraordinaire de sept ans et de près de 9 000 kilomètres que retrace l'exposition du musée national de la Marine, au Trocadéro, à l'aide de centaines de documents, de lettres, d'objets, de maquettes et de gravures.
Un navire sur mesure
Tout commence en 1829, lorsque le vice-roi d'Égypte Méhémet-Ali propose de faire don à la France de deux obélisques d'Alexandrie. L'égyptologue Jean-François Champollion, qui a participé en tant qu'expert à la campagne d'Égypte de Bonaparte, fait alors la fine bouche. Plutôt que de prendre les obélisques proposés, il exhorte le gouvernement français de porter son dévolu sur ceux du temple de Louxor, deux monuments édifiés sous le règne de Ramsès II, au XIIIe siècle avant Jésus-Christ. Certes mieux conservés, certes plus prestigieux... Mais situées à 700 kilomètres en amont de l'embouchure du Nil ! Le gouvernement égyptien finit par donner son feu vert. Dans les mois qui suivent, la marine écarte divers projets de transport par radeau et fait voter un budget initial par le Parlement. Un navire de transport étonnant, le Luxor, est alors construit sur mesure à Toulon. Parallèlement, les opérations liées au voyage de l'obélisque sont confiées à l'ingénieur du génie maritime Apollinaire Lebas, le lieutenant de vaisseau Raymond de Verninac-Saint-Maur et son second, Léon de Joannis, assurant le commandement du Luxor. Le bateau quitte Toulon en avril 1831 avec, à son bord, cent vingt et un passagers et plusieurs tonnes de matériel.
Arrivé en août à Louxor, l'équipage doit faire face à une
épidémie de choléra. Les choses se compliquent aussi du côté de
l'obélisque : la colonne présente une fissure de huit mètres à partir de
la base - que Champollion n'avait pas notée lors de son précédent
voyage. Enrobé dans un coffrage de protection en bois, le monolithe va
être descendu en deux mouvements le 31 octobre, au moyen de deux
appareils actionnés par deux cents hommes. Il faut ensuite construire un
glissoir en bois pour permettre le halage de l'obélisque jusqu'au Luxor.
Le 19 décembre 1831, l'embarquement de l'obélisque est effectué en deux
heures par quarante-huit hommes actionnant quatre cabestans. Il faut
alors attendre la crue du Nil - quelques mois - pour procéder à
l'appareillage. Le 2 janvier 1833, le bateau arrive à Alexandrie, après
avoir attendu plusieurs semaines qu'un coup de mer fasse augmenter le
niveau d'eau au-dessus de la barre de sable de Rosette.
Où va-t-on placer l'obélisque ?
Finalement, le Luxor, remorqué par le Sphinx,
se met en route le 1er avril pour Toulon, où il finit par arriver le 10
mai après deux escales, à Rhodes et à Corfou. À l'issue de sa
quarantaine à Toulon, l'expédition reprend sa route, via Gibraltar et La
Corogne, et atteint Cherbourg le 12 août. Elle y reçoit, le 2
septembre, la visite du roi Louis-Philippe. Enfin, le 12 septembre,
toujours remorqué, le navire part pour Le Havre, où le petit vapeur
civil la Héva conduit le Luxor en deux jours jusqu'à
Rouen. Démâté, rasé et allégé, il quitte Rouen le 13 décembre halé par
des chevaux qui doivent changer de rive suivant la configuration du
cours du fleuve. Le 23 décembre 1833, deux ans et huit mois après son
départ de Toulon, le Luxor est enfin amarré au pont de la Concorde à Paris.
Mais l'ultime question n'est toujours pas résolue et se transforme vite en débat national : où va-t-on placer l'obélisque dans Paris ? On fait alors construire par des décorateurs de théâtre deux obélisques grandeur nature en carton-pâte aux Invalides et place de la Concorde. Et chacun y va de son jugement, de sa préférence. Mais le roi Louis-Philippe finit par trancher : ce sera la Concorde. Le Luxor, lui, n'a pas fini sa course : pour élever le monolithe, il faut un piédestal. En juillet 1835, le voilà donc reparti dans le Finistère, remorqué par le Sphinx, pour rapporter 240 tonnes, en cinq blocs, de granit de l'Aber-Ildut. Le monolithe de Louxor n'attend plus que La Flûte enchantée pour devenir à tout jamais l'obélisque de la Concorde.
Mais l'ultime question n'est toujours pas résolue et se transforme vite en débat national : où va-t-on placer l'obélisque dans Paris ? On fait alors construire par des décorateurs de théâtre deux obélisques grandeur nature en carton-pâte aux Invalides et place de la Concorde. Et chacun y va de son jugement, de sa préférence. Mais le roi Louis-Philippe finit par trancher : ce sera la Concorde. Le Luxor, lui, n'a pas fini sa course : pour élever le monolithe, il faut un piédestal. En juillet 1835, le voilà donc reparti dans le Finistère, remorqué par le Sphinx, pour rapporter 240 tonnes, en cinq blocs, de granit de l'Aber-Ildut. Le monolithe de Louxor n'attend plus que La Flûte enchantée pour devenir à tout jamais l'obélisque de la Concorde.
"Le Voyage de l'obélisque. Louxor/Paris
(1829-1836)".
Jusqu'au 6 juillet. Musée national de la Marine, place du
Trocadéro (16e). Une application iPhone propose deux parcours, dont un
dédié aux jeunes visiteurs (www.musee-marine.fr).