LA Ve REPUBLIQUE ET SES PERLES
Volapük intégré, De Gaulle, 1962
Afin d’expliquer sa préférence pour une Europe des Etats et son hostilité envers une Europe « intégrée », le général de Gaulle, président de la République, dit au cours d’une conférence de presse, le 15 mai 1962 : « Je ne crois pas que l’Europe puisse avoir aucune réalité vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l’Allemagne avec ses Allemands, l’Italie avec ses Italiens etc. Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe dans la mesure où ils étaient respectivement et éminemment italien, allemand et français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit en quelque esperanto ou volapük intégrés… J’ai déjà dit et je le répète qu’à l’heure qu’il est, il ne peut pas y avoir d’autre Europe que celle des Etats, en dehors naturellement des mythes, des fictions, des parades. »
L’esperanto et le volapük sont des langues artificielles que l’on assimile, puisqu’elles sont quasi inusitées, au charabia ou au baragouin, voire au « patagon », mot qu’utilisa François Mitterrand pour qualifier d’inintelligible le projet de loi sur l’école privée qu’il tenta de réécrire et qui provoqua, en 1984, la chute du gouvernement Mauroy.
Source : Charles de Gaulle, André Passeron (éd.), De Gaulle parle, t. II, op. cit.
Abracadabrantesque…
La politique est bien souvent une affaire de mots. On a tous vu des hommes politiques vaciller pour un mot de trop, un mot mal choisi. Certains ont su en jouer, en faire une arme.
De « Je vous ai compris » à « Casse-toi pauvre con ! », en passant par les « cactus » de Pompidou et le « ni-ni » de Mitterrand, les auteurs revisitent les grands moments de la Vème République à travers ses bons mots et ses phrases historiques. Anecdotes échappées des coulisses du pouvoir, discours officiels et citations marquantes
composent un abécédaire étonnant. Une histoire abracadabrantesque de la Vème République.
Une histoire abracadabrantesque. Abécédaire de la Ve République Marie-France Lavarini et Jean-Yves Lhomeau Calmann-Lévy 315 pp.,env. 17 €
Source : Le Monde ; Paul Eluard, « Comprenne qui voudra », Au rendez-vous allemand, Paris, Editions de Minuit, 1944
Travailler plus pour gagner plus, Nicolas Sarkozy, 2007
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Sources :
Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, tome 2 et tome 3, Fayard.
Valéry Giscard d’Estaing, Le pouvoir et la vie, tome 1, Compagnie 12.
Catherine Demangeat et Florence Muracciole, Dieu et les siens, Belfond.
Le Monde, André Malraux, Les chênes qu’on abat, op. cit.
De « Je vous ai compris » à « Casse-toi pauvre con ! », en passant par les « cactus » de Pompidou et le « ni-ni » de Mitterrand, les auteurs revisitent les grands moments de la Vème République à travers ses bons mots et ses phrases historiques. Anecdotes échappées des coulisses du pouvoir, discours officiels et citations marquantes
composent un abécédaire étonnant. Une histoire abracadabrantesque de la Vème République.
Rire et sourire avec un percutant abécédaire des grandes et petites phrases.
Le théâtre politique, car cela est au fond sa vraie nature, est peu avare de ces petites phrases, souvent assassines, qui survivent plus volontiers à leur auteur qu’à son action, si vaste et si noble fût-elle. La Ve République française en est l’abondante illustration, dont le fondateur, « l’homme du 18-Juin », fut aussi un grand cultivateur de perles rhétoriques.
Celles mêmes que deux journalistes français, Marie-France Lavarini et Jean-Yves Lhomeau, se sont plu à consigner dans « Une histoire abracadabrantesque ». Formule incantatoire utilisée en l’an 2000 par le président Chirac dans le contexte pourri des « emplois fictifs de la Ville de Paris ». Un dérivé d’onomatopée emprunté à Arthur Rimbaud – « Ô flots abracadabrantesques » -, parce que, malgré toutes les apparences d’une improvisation, le mot magique avait été mûrement médité par l’Élysée, et son secrétaire général de l’époque, M. Dominique de Villepin, qui avait fouillé tous ses dictionnaires de poésie.
Ce Villepin précisément qu’un certain président actuel destine à un « croc de boucher » dans l’hypothèse où il aurait trempé activement dans la fameuse affaire Clearstream. Car, du « kärcher » à la « racaille« , il existe assurément toute une phraséologie sarkozyenne qui exhale peu la tendresse et l’amabilité naturelles, mais fleure davantage une mauvaise presse de caniveau. Exemple entre mille, l’injonction proférée au Salon de l’Agriculture à l’adresse d’un quidam mal disposé envers lui : « Casse-toi, pôv’con« .
Autant dire que le registre du grand Général de Londres, même s’il ne craignait pas non plus d’appeler un couillon par son nom, volait tout de même à une autre altitude. Lorsque à peine de retour aux affaires, il lance à Alger en juin 1958, les bras en V, le vibrant et paternel « Je vous ai compris ! » Puis quand, en septembre 1965, il recourt à la métaphore fleurie pour se défendre de devoir déjà « inaugurer les chrysanthèmes« . Tandis qu’en 1967, il savoure la rime mortelle : « Vous me voyez installer Mitterrand à Matignon ? [ ] Non, non ! »
Mais c’en est assez pour le général de Gaulle, il en faut pour tout le monde. Et pour tous les goûts. C’est le même Mitterrand qui, avec sa proposition de référendum sur la force nucléaire de dissuasion, inspire en 1977 à Georges Marchais, secrétaire général (et longtemps perpétuel) du Parti communiste séjournant alors en Corse, ce mot d’amour digne d’un beauf pavillonnaire : « Liliane, fais les valises, on rentre à Paris ! » Thierry Le Luron le fera déguster à des foules entières.
C’est encore François Mitterrand qui affublait Jacques Chirac en 1988, en pleine cohabitation préélectorale, de quatre qualificatifs peu amènes : « versatile, velléitaire, vulgaire, voyou« . Certes le fougueux président s’est-il assagi au contact de la magistrature suprême, mais il continue de traîner quelques casseroles à titre honoraire.
Témoin, cette phrase un peu abrupte que les diplomates britanniques feignirent d’avoir mal entendue lors d’un débat sur la Politique agricole commune avec Mme Thatcher en 1988 : « Qu’est-ce qu’elle veut, la ménagère ? Mes couilles sur un plateau ? » Au reste avait-il coutume de dire, pour dissiper les agaceries sans importance : « Cela m’en touche une sans faire bouger l’autre ».
Si Nicolas Sarkozy abreuve couramment son entourage d’un tel langage à hauteur de la sous-ventrière, nulle trace de tels accents en revanche chez Georges Pompidou ou Valéry Giscard d’Estaing. Ce dernier pratiquait une dignité lexicale, cependant, tout aussi dévastatrice; assénant à François Mitterrand, lors du débat télévisé de 1974 : « Vous êtes un homme du passé ». Et l’autre, qui avait les dents longues mais la mémoire aussi, de lui retourner en mai 81 : « Vous êtes l’homme du passif ».
2012
J’avais beaucoup souffert sur elle, Nicolas Sarkozy, 2008
De Gaulle appelait Dante, Chateaubriand, Goethe à la rescousse pour expliquer que l’Europe s’enracine dans des langues et des cultures nationales. Pompidou, Ecole normale supérieure, auteur d’une Anthologie de la poésie française, citait Paul Eluard de mémoire en conférence de presse et Ponsard, dramaturge oublié, au Conseil des ministres. Mitterrand lisait les poètes et n’en faisait pas plus un plat que ses prédécesseurs. Valéry Giscard d’Estaing aurait voulu, le malheureux, écrire comme Maupassant. Jacques Chirac prétendait, provocateur, ne lire que des romans policiers et n’aimer que le militaire dans la musique ; il était en secret amateur de haïkus.
Nicolas Sarkozy, lui, étale la confiture en couches épaisses. Le 1er décembre 2006, pendant sa campagne électorale, il développe, à Angers, sa vision de l’école et de l’éducation. Il évoque Rabelais, Hugo, Zola, Baudelaire, Daudet, Primo Levi, Soljenitsyne, Pablo Neruda, Marguerite Yourcenar, Julien Gracq. Il en recommande la lecture et l’apprentissage, couvre de louanges les « hussards noirs de la République », ces enseignants qui refusent la facilité « car ils savent que c’est en choisissant les lectures faciles et les lectures courtes qu’on humilie les enfants des milieux populaires », ces professeurs qui « vont chercher […] les auteurs les plus exigeants […] car ils savent que ce sont les grands auteurs qui font rêver, qui libèrent de la culture du chômage, de la culture des bandes, de la culture de la drogue, de la culture du repli sur soi, de l’exclusion et des mariages forcés ».
Il cite André Gide, « l’éducation est une émancipation », Hugo « chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne », Montaigne et Condorcet. Rien que du lourd.
On remarquera que manquent à ce florilège Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de La Fayette, et sa Princesse de Clèves (1678), premier roman psychologique moderne, selon le Dictionnaire encyclopédique Hachette. Et pour cause. Le 23 février 2006, à Lyon, devant des militants UMP, Nicolas Sarkozy avait fait hurler de rire son auditoire en racontant l’histoire suivante : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! »
Nicolas Sarkozy est tellement satisfait de cette anecdote qu’il ne cesse de l’utiliser. Mot pour mot, à la virgule près, en avril 2007, il la répète dans un entretien au quotidien Métro. Il ajoute simplement : « En tout cas, je l’ai lu il y a tellement longtemps qu’il y a de fortes chances que j’ai raté l’examen ! » Une variante présidentielle, le 4 avril 2008 à Bercy, sur la promotion des fonctionnaires qui devrait être assurée « sans passer un concours ou réciter par cœur La Princesse de Clèves ». Une autre en juillet 2008 : « Avoir fait du bénévolat devrait être une expérience reconnue par les concours administratifs car, après tout, ça vaut autant que de savoir par cœur La Princesse de Clèves. Enfin, j’ai rien contre, mais enfin, mais enfin… parce que j’avais beaucoup souffert sur elle. »
Mais qu’est-ce qu’il a contre Madame de La Fayette, notre président de la République ? Il n’aime pas les comtesses ? Il n’aime pas les princesses ? Et les romans d’amour, il déteste ? Non, il ne veut pas que rêvent les guichetières.
Gabrielle Russier, professeur de français à Marseille, aime l’un de ses élèves, Christian, 17 ans. Elle a 32 ans. Les parents du jeune homme portent plainte. Gabrielle Russier passe huit semaines à la prison des Baumettes, puis est condamnée à douze mois de prison avec sursis et 500 francs d’amende pour détournement de mineur. Le parquet de Marseille fait appel a minima. « Je vais faire tout mon possible pour « tenir » jusqu ‘à l’appel », écrit Gabrielle Russier. Elle ouvre le gaz et meurt le 1er septembre 1969.
Le drame de l’amoureuse de mai 1968 fit tant de bruit que Georges Pompidou, devenu président de la République, fut interrogé le 22 septembre 1969. Il dit, en six phrases hachées de silences : « Je ne vous dirai pas tout ce que j’ai pensé d’ailleurs sur cette affaire. Ni même ce que j’ai fait. Quant à ce que j’ai ressenti, comme beaucoup, eh bien, comprenne qui voudra ! – moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés. C’est de l’Eluard. Merci, mesdames et messieurs. » C’était la réponse à la dernière question de cette conférence de presse.
Le lendemain, Le Monde note que le poème cité, « Comprenne qui voudra », figurait dans l’Anthologie de la poésie française établie par Georges Pompidou. En exergue de cette œuvre d’Eluard inspirée par les exactions commises lors de la Libération en 1944 figure cette phrase : « En ce temps là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait des filles. On allait même jusqu’à les tondre. »
Le poème de Paul Eluard, cité par Le Monde ce jour-là, commence ainsi :
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
A la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai (…)
A sa majorité, 21ans à l’époque, Christian Rossi dira : « Les (deux ans) de souvenirs qu’elle m’a laissée, elle me les a laissés à moi, je n’ai pas à les raconter. Je les sens. Je les ai vécus, moi seul. Le reste, les gens le savent : c’est une femme qui s’appelait Gabrielle Russier. On s’aimait, on l’a mise en prison, elle s’est tuée. C’est simple. »
Source : Le Monde ; Paul Eluard, « Comprenne qui voudra », Au rendez-vous allemand, Paris, Editions de Minuit, 1944
Travailler plus pour gagner plus, Nicolas Sarkozy, 2007
« Travailler moins pour travailler tous, travailler moins pour vivre mieux » : ce vieux slogan de la CFDT s’est perdu dans les limbes. Avant la victoire de François Mitterrand à la présidentielle de 1981, les socialistes avaient fait un objectif de la « semaine de 35 heures sans diminution de rémunération ». Deux phrases sur les 371 pages de projet socialiste rédigé par Jean-Pierre Chevènement. Dans les 110 propositions du candidat Mitterrand, cela devient : « la durée du travail sera progressivement réduite à 35 heures. (…). La cinquième semaine de congés payés sera généralisée. » Exit le « sans diminution de rémunération. »
Premier ministre, Pierre Mauroy annonce en juillet 1981, dans son discours d’investiture, que les organisations professionnelles et syndicales devront atteindre les 35 heures, après négociations, en 1985, et que cette offensive sera décisive pour gagner la « guerre contre le chômage ». En novembre, à Guéret, il affirme qu’il défendra les 35 heures comme la « politique d’Henri IV et de la poule au pot ».
La poule mettra près de dix-neuf ans à cuire, et encore, sans les légumes. « Le slogan des 35 heures payées 40 est antiéconomique », dit Lionel Jospin, Premier ministre sous la présidence de Jacques Chirac, dans Le Monde, deux semaines avant d’annoncer, le 10 octobre 1997, qu’une loi installera les 35 heures pour le 1er janvier 2000. Promesse tenue pour les entreprises de plus de vingt salariés et, un an plus tard, pour toutes les autres. Entre-temps, Pierre Mauroy avait obtenu, en 1982, le passage des 40 heures en vigueur depuis le gouvernement socialiste de Léon Blum (juin 1936-juin 1937) à 39 heures, sans réduction de salaire.
Martine Aubry, auteur de la loi qui porte son nom, estime qu’elle a permis de créer au moins 500 000 emplois. Ceux des salariés qui cultivent leur jardin et en ont les moyens y ont trouvé leur compte. Les autres se sont plaints d’une perte de pouvoir d’achat, d’une trop grande flexibilité du travail, ou les deux à la fois. Les cent trente heures supplémentaires possibles par an n’étaient pas suffisantes pour les revenus modestes.
Nicolas Sarkozy a fait du combat contre les 35 heures l’un des axes d’attaque de sa campagne présidentielle. Le 25 janvier 2007 à Saint-Quentin, il proposait de « supprimer les charges et les impôts sur les heures supplémentaires pour ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus soient encouragés à le faire ». Mais les fermetures d’entreprises, les réductions d’effectifs, les licenciements, le chômage technique ont changé la donne et retourné le slogan comme une chaussette. Travailler plus ou moins pour gagner moins ou, pire, ne plus travailler du tout.
A Saint-Quentin, Nicolas Sarkozy ajoutait : « les valeurs de l’humanisme sont les miennes. Ce ne sont pas celles des 35 heures, des diplômes au rabais, de l’égalitarisme, de l’assistanat. (…) Ce ne sont pas celles d’une gauche qui ne reconnaît plus la valeur du travail, qui veut déshabiller Pierre pour habiller Paul. » Peut-être , sur ce discours, aurait-il dû travailler plus.
Sources : le Monde ; Martine Aubry, entretiens avec Stéphane Paoli et Jean Viard, et sin on se retrouvait, La Tour-d’Aigues, Editions de l’Aube, 2008 ; Jacques Rigaudiat, Réduire le temps de travail, Paris, Syros, 1993
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Premier ministre, Pierre Mauroy annonce en juillet 1981, dans son discours d’investiture, que les organisations professionnelles et syndicales devront atteindre les 35 heures, après négociations, en 1985, et que cette offensive sera décisive pour gagner la « guerre contre le chômage ». En novembre, à Guéret, il affirme qu’il défendra les 35 heures comme la « politique d’Henri IV et de la poule au pot ».
La poule mettra près de dix-neuf ans à cuire, et encore, sans les légumes. « Le slogan des 35 heures payées 40 est antiéconomique », dit Lionel Jospin, Premier ministre sous la présidence de Jacques Chirac, dans Le Monde, deux semaines avant d’annoncer, le 10 octobre 1997, qu’une loi installera les 35 heures pour le 1er janvier 2000. Promesse tenue pour les entreprises de plus de vingt salariés et, un an plus tard, pour toutes les autres. Entre-temps, Pierre Mauroy avait obtenu, en 1982, le passage des 40 heures en vigueur depuis le gouvernement socialiste de Léon Blum (juin 1936-juin 1937) à 39 heures, sans réduction de salaire.
Martine Aubry, auteur de la loi qui porte son nom, estime qu’elle a permis de créer au moins 500 000 emplois. Ceux des salariés qui cultivent leur jardin et en ont les moyens y ont trouvé leur compte. Les autres se sont plaints d’une perte de pouvoir d’achat, d’une trop grande flexibilité du travail, ou les deux à la fois. Les cent trente heures supplémentaires possibles par an n’étaient pas suffisantes pour les revenus modestes.
Nicolas Sarkozy a fait du combat contre les 35 heures l’un des axes d’attaque de sa campagne présidentielle. Le 25 janvier 2007 à Saint-Quentin, il proposait de « supprimer les charges et les impôts sur les heures supplémentaires pour ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus soient encouragés à le faire ». Mais les fermetures d’entreprises, les réductions d’effectifs, les licenciements, le chômage technique ont changé la donne et retourné le slogan comme une chaussette. Travailler plus ou moins pour gagner moins ou, pire, ne plus travailler du tout.
A Saint-Quentin, Nicolas Sarkozy ajoutait : « les valeurs de l’humanisme sont les miennes. Ce ne sont pas celles des 35 heures, des diplômes au rabais, de l’égalitarisme, de l’assistanat. (…) Ce ne sont pas celles d’une gauche qui ne reconnaît plus la valeur du travail, qui veut déshabiller Pierre pour habiller Paul. » Peut-être , sur ce discours, aurait-il dû travailler plus.
Sources : le Monde ; Martine Aubry, entretiens avec Stéphane Paoli et Jean Viard, et sin on se retrouvait, La Tour-d’Aigues, Editions de l’Aube, 2008 ; Jacques Rigaudiat, Réduire le temps de travail, Paris, Syros, 1993
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Le 23 janvier 2007, dans un entretien au Monde, Nicolas Sarkozy développe un de ses arguments de campagne, le « bouclier fiscal ».
« Pour redonner confiance aux investisseurs, (…) il faut d’abord réconcilier la France avec la réussite. Or, au-delà de notre culture collective, nous savons que l’une des difficultés concrètes est fiscale. C’est pour cela que j’ai toujours défendu l’idée d’un bouclier fiscal qui limite à un pourcentage donné les prélèvements qui peuvent s’accumuler, une année donnée, sur le revenu d’un même contribuable. (…) Je crois à un bouclier fiscal à 50 % intégrant la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Autrement dit, nul ne paiera au fisc plus que la moitié de ce qu’il a gagné. »
Le mariage de ces deux mots, l’un qui protège, l’autre qui inquiète, était censé devenir un formidable slogan aspirateur d’opinions positives. Mais il se retournera vite contre son auteur, lorsque, passé les élections, les Français comprirent que le fameux « bouclier » ne protégeait que les plus hauts revenus et le capital des mieux nantis. La crise aidant, l’opposition en fit son miel, et des députés UMP en demandèrent la suppression, puis le gouvernement promit de le supprimer avant l’élection présidentielle de 2012.
Source : Le MondeRetrouvez notre site Une Histoire Abracadabrantesque dans la catégorie
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Mangez des pommes, La marionnette de Jacques Chirac, 1995
Quelques mois avant l’élection présidentielle de 1995, Jacques Chirac publie La France pour tous, livre censé accompagner toute sa campagne. Paul Guilbert, qui fut son condisciple à Sciences Po, journaliste politique au verbe féroce, belle plume du Figaro, l’aida dans ses travaux d’écriture. Sur le fond, l’ouvrage n’a laissé que peu de trace. Mais sa page de couverture a fait un carton. En haut à gauche, un pommier au feuillage aussi dense qu’un chou pomme, piqué de neuf fruits bien rouges, plus rouges et plus gros que nature.
La marionnette de Jacques Chirac salue les mains jointes, se baisse, saisit un panonceau et le brandit. Apparaissent son arbre et son slogan magique, « Mangez des pommes avec Jacques Chirac ! ». La marionnette insiste : « Compagnons, mangez des pommes ! ». L’appel deviendra aussi célèbre que la « fracture sociale ».
Solitaire, abandonné en son Hôtel de ville de Paris – « Putain, deux ans ! » -, impuissant à retenir ses amis, dont Nicolas Sarkozy, prosternés aux pieds d’Edouard Balladur, Premier ministre de François Mitterrand et prétendant numéro 1 à l’Elysée, Jacques Chirac vit son image se transformer. Au premier tour, il élimina Balladur et au second battit Jospin.
Les Guignols n’avaient certainement pas fait l’élection. Ils accompagnaient le mouvement, Chirac redevenait proche, fréquentable et sympathique. Des millions de Français avaient mangé des pommes, comme Blanche Neige, et s’étaient réveillés avec un prince Jacques au palais de l’Elysée.
Il n’est pas certain que la poésie fruitière de Nicolas Sarkozy ait les mêmes vertus que celle de Jacques Chirac. Le président Sarkozy, une pêche d’enfer, nous informe qu’il a aussi « la banane ».
Jacques Chirac, La France pour tous, Paris, Nil éditions, 1995.
Six jours après le coup de force militaire du 13 mai à Alger qui permit le retour du général de Gaulle au pouvoir, treize jours avant que l’Assemblée nationale investisse son gouvernement le 1er juin, de Gaulle tient une conférence de presse au palais d’Orsay. Nous sommes le 19 mai 1958. Question : « Est-ce que vous garantiriez les libertés publiques fondamentales ? » L’interpellé ôte vivement ses lunettes et manifeste son courroux d’une voix de fausset : « Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. » Puis, tel un chanteur d’opéra, il rejette le buste en arrière, arrondit le bras droit et rétorque : « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur ? »
La riposte est amusante, mais il était légitime, à l’époque, de s’interroger sur la manière dont de Gaulle entendait exercer le pouvoir, au terme d’un « pronunciamento en dentelles », selon le mot de Pierre Viansson-Ponté. Propulsé à nouveau sur une scène politique qu’il avait quittée le 20 janvier 1946, porté depuis Alger par un comité de salut public présidé par le général Massu, il pouvait apparaître comme l’homme d’un coup d’Etat en voie de légalisation. La Constitution de la Vème République, plébiscitée par les Français – 79,2% de oui lors du référendum du 28 septembre 1958 –, donne au président l’essentiel des pouvoirs, fait du premier ministre un exécutant et du Parlement un organe subalterne. L’article 16 inquiète. Il confère tous pouvoirs au président de la République qui décide seul de l’utiliser. Il ne sera mis en œuvre qu’une fois pour faire échec à un « pronunciamento militaire », lors de la tentative de putsch fomentée à Alger, en avril 1961, par un « quarteron de généraux en retraite », selon les mots du général de Gaulle.
L’élection du président de la République au suffrage universel, ajoutée à la Constitution, par référendum, en 1962 (61,7% de oui) amplifiera la présidentialisation du régime. Et, un an plus tard, lors d’un périple en Amérique du Sud, de Gaulle prit, à sa demande, une leçon de dictature militaire auprès du général Castelo Branco, président du Brésil qui lui délivra cette définition : « c’est un régime où les officiers s’emparent du pouvoir avec regret, et le quittent avec plus de regrets encore… »
En 1964, François Mitterrand publia un pamphlet contre de Gaulle, Le coup d’Etat permanent, prélude à sa campagne présidentielle de 1965 qui mit en ballottage le président sortant (43,7% seulement pour de Gaulle au premier tour, 54,5% au second). « De l’auteur d’un coup d’Etat, il me paraissait vain d’attendre les scrupules d’un légiste », écrit-il. « J’appelle le régime gaulliste dictature parce que, tout compte fait, c’est à cela qu’il ressemble le plus (…) Je veux bien, par complaisance, appeler ce dictateur d’un nom plus aimable, consul, podestat, roi sans couronne. » Elu en 1981, réélu en 1988, François Mitterrand s’accommodera fort bien des institutions de la Vème République. Il n’y changera rien.
François Mitterrand feignait de redouter les possibles dérives de Jacques Chirac, « de Gaulle sans 18 juin mais disponible pour un 13 mai », disait-il. Au fil du temps, « facho Chirac » devint un président plutôt bonnasse.
Quant à Nicolas Sarkozy, l’imagine-t-on à la tête d’une junte militaire, port martial et vaste casquette plate sur le chef ? La Vème République le comble. « Je souhaite que le président gouverne », dit-il. Dans le partage des pouvoirs, l’omniprésident s’attribue la part du roi. « Je ne changerai pas les grands équilibres de nos institutions » avait-il déclaré le 12 juillet 2007. Il se contentera d’y passer un coup de plumeau…, et de dépoussiérer, entre autres, l’article 16 afin de lui donner une apparence moins redoutable. Difficile, malgré une pratique institutionnelle très personnelle et autoritaire, de parler, tel François Mitterrand naguère, d’un « coup d’Etat permanent ».
Sources : INA ; Jean Lacouture, De Gaulle, t. III ; François Mitterrand, Le coup d’état permanent, Paris, Plon, 1964Exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, Robert Badinter, 1981
Dernière question de l’émission « Cartes sur Table », le 16 mars 1981, au tout début de la troisième campagne présidentielle de François Mitterrand, question posée par Alain Duhamel : s’il est élu, François Mitterrand accordera-t-il sa grâce aux condamnés à mort qui attendent leur exécution dans les prisons françaises ?
Les deux poings serrés contre la poitrine, François Mitterrand répond : « Dans ma conscience, dans le fort de ma conscience, je suis contre la peine de mort. Et je n’ai pas besoin de lire les sondages qui disent le contraire (…) Je ne suis pas favorable à la peine de mort. » Il ajoute que, élu, il « ne ferait pas procéder à des exécutions capitales ».
En 1981 la France est l’un des derniers pays d’Europe occidentale où la peine de mort est inscrite dans la loi. Le dernier guillotiné a été Hamida Djandoubi, le 10 septembre 1977. Valéry Giscard d’Estaing a refusé la grâce présidentielle à trois reprises, autant que Georges Pompidou.
Le 17 septembre 1981, lorsque s’ouvre le débat sur l’abolition à l’Assemblée nationale, quatre mois après l’élection de François Mitterrand, 62% des Français, selon un sondage SOFRES publié par le Figaro, sont favorables au maintien de la peine capitale.
Robert Badinter, garde des sceaux, développe devant les députés ses arguments, moraux et politiques. Il déclare : « cette justice d’élimination, cette justice d’angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. » Il conteste le caractère dissuasif de la peine capitale : « Dans la foule qui, autour du palais de justice de Troyes, criait au passage de Buffet et Bontems : « A mort Buffet ! A mort Bontems ! », se trouvait un jeune homme qui s’appelait Patrick Henry. Croyez-moi, à ma stupéfaction, quand je l’ai appris, j’ai compris ce que pouvait signifier, ce jour là, la valeur dissuasive de la peine de mort ! »
Pour l’assassinat d’une infirmière et d’un surveillant de leur prison en 1971, Buffet et Bontems avaient été condamnés à mort et guillotinés le 29 novembre 1972. Défenseur de Bontems aux assises de Troyes, Robert Badinter, avait perdu. Patrick Henry, défendu lui aussi par Robert Badinter, échappa à la peine de mort. Il fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, en 1977, pour l’enlèvement et le meurtre d’un enfant. Robert Badinter, ce jour là, avait fait avancer la France vers l’abolition.
Devant l’Assemblée nationale, Robert Badinter conclut : « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. »
Au cours du débat, un député de droite lance : « Le 17 septembre restera la fête des assassins. » L’abolition est votée le 18 septembre à l’Assemblée nationale par 369 voix contre 113, puis le 29 septembre au Sénat par 160 voix contre 126.
Sources : Pierre Favier, Michel Martin Roland, La décennie Mitterrand, t.I, Seuil ; Robert Badinter, L’abolition, Fayard, 2000 ; INARead More...
De Gaulle parlait peu des femmes. Et quand il s’en occupait, c’était en leur qualité de mères de familles. Dans son esprit, le droit de vote obtenu en avril 1944, à son initiative, la réforme des régimes matrimoniaux, l’âge de la retraite en fonction du nombre d’enfants, les congés maternité suffisaient à leur émancipation. Mais en même temps, il considérait que la femme est supérieure à l’homme. « Il y aura toujours assez d’hommes. Une seule giclée suffirait à féconder des milliers de femmes. C’est sur les femmes que repose le destin de la nation », dit-il en 1965 à Alain Peyrefitte, en lui expliquant pourquoi il accorde systématiquement sa grâce aux femmes condamnées à mort.
C’est pourquoi il s’oppose à la pilule contraceptive : « La pilule ? Jamais ! (…) On ne peut pas réduire la femme à une machine à faire l’amour ! (…) Si on tolère la pilule, on ne tiendra plus rien ! Le sexe va tout envahir ! (…) C’est bien joli de favoriser l’émancipation des femmes, mais il ne faut pas pousser à leur dissipation (…) Introduire la pilule, c’est préférer quelques satisfactions immédiates à des bienfaits à long terme ! Nous n’allons pas sacrifier la France à la bagatelle ! »
Pourtant, deux ans plus tard, en 1967, de Gaulle cèdera, sous la pression, notamment, de Lucien Neuwirth, médecin et député gaulliste. Au conseil des ministres du 7 juin 1967, il dit, selon Alain Peyrefitte : « Les mœurs se modifient, nous n’y pouvons à peu près rien. » Mais « il ne faut pas faire payer les pilules par la Sécurité sociale. Ce ne sont pas des remèdes ! Les Français veulent une plus grande liberté de mœurs. Nous n’allons quand même pas leur rembourser la bagatelle ! » La loi autorisant la vente de la pilule contraceptive sera adoptée en décembre 1967.
La « bagatelle », décidément, ne le titille guère. Il est vrai que son épouse que les Français appellent affectueusement « tante Yvonne » veille au grain. « Tante Yvonne » aimerait que l’on interdise la minijupe au lycée. Tout juste Charles de Gaulle se permet-il une plaisanterie, une seule semble-t-il, devant Alain Peyrefitte : « Les laides, il faut les regarder de côté. Comme çà, on n’en voit que la moitié. » Un mot tendre et gaillard, envers une prostituée française qui lui demande un autographe, dans la rue, un soir à Londres pendant la guerre : « A madame [Ginette Dupont], qui a travaillé pour l’entente cordiale ». Un bon mot encore, pour Brigitte Bardot, le sex-symbol des années 50 et 60, gravissant les marches de l’Elysée vêtue d’un « pyjama à brandebourgs », selon André Malraux, arbitre des élégances.
A Malraux : « Veine : un soldat ! »
A Bardot : « Quelle chance, madame ! Vous êtes en uniforme et moi je suis en civil. »
Celle là, le général ne l’avait pas regardée que de profil.
Il n’avait pas non plus besoin de se hisser sur la pointe des pieds, comme le faisait François Mitterrand lorsqu’un décolleté prometteur passait à sa portée. François Mitterrand, ce président séducteur qui aimait tant les femmes, disait qu’elles « ont toutes une âme d’infirmière » et ne s’en plaignait pas. C’est sous sa présidence que le pays eut, pour la première fois, une femme ministre de l’Agriculture, une femme premier ministre, la même, Edith Cresson. C’est aussi sous sa présidence que fut décidé le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse par la Sécurité sociale. C’est encore sous sa présidence que Michel Rocard conduisit, aux élections européennes de 1994, une liste d’une parfaite parité – un homme, une femme, en alternance -, dite « chabadabada » en référence à la musique d’Un homme et une femme, film de Claude Lelouch.
Jacques Chirac, coureur de jupons et hussard de l’amour, professait des opinions outrageusement machistes qui ne lui ressemblent guère : « Pour moi, la femme idéale c’est la femme corrézienne, celle de l’ancien temps, dure à la peine, qui sert les hommes à table, ne s’assied jamais avec eux et ne parle pas. » C’est sous sa présidence, mais grâce à l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin, que la loi de janvier 2000 imposa la parité hommes-femmes pour les candidatures aux mandats et fonctions électifs, parité inscrite ensuite dans la Constitution. Et Jacques Chirac était premier ministre lorsque Simone Veil fit adopter en décembre 1974 sa loi sur l’avortement, un engagement de Valéry Giscard d’Estaing, et votée grâce à la gauche. Jacques Chirac apporta à Simone Veil un soutien puissant.
Simone Veil était entrée au gouvernement à la demande de Valéry Giscard d’Estaing, ainsi que quatre autres femmes, une ministre chargée des universités, Alice Saunier-Seïté, et trois secrétaires d’Etat. C’était une grande première car, jusqu’alors, la Vème République n’avait connu que deux femmes secrétaires d’Etat, Nafissa Sid Cara aux affaires algériennes, et Marie-Madeleine Dienesch, de 1968 à 1972, à l’éducation nationale, aux affaires sociales puis à la santé.
Giscard n’a pas les pudeurs de ses prédécesseurs. Il décrit Alice Saunier–Séïté, rêve et fantasme, dans l’un de ses livres. Elle vient de prononcer un discours, en sa présence, à la mairie d’Ajaccio. Giscard écrit : « Son corps est musclé, avec des mouvements d’une aisance féline, et des jambes qui me paraissent bronzées. Une pensée bizarre me traverse l’esprit : quand elle faisait l’amour, elle devait y mettre la même véhémence. » Bizarre en effet, surtout à l’imparfait.
Mais pas si étonnant que cela, de la part d’un président qui avoue : « Pendant mon septennat, j’ai été amoureux de dix-sept millions de Françaises. » Il les regardait au fond des yeux, dans la foule, une demi-seconde de plus que les hommes, « cette demi seconde supplémentaire où apparaît tout à coup dans les yeux la nudité de l’être ». Même Nicolas Sarkozy n’oserait pas. Non plus que regarder ses femmes ministres de côté, il les trouve toutes « très belles ».
Sources :
Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, tome 2 et tome 3, Fayard.
Valéry Giscard d’Estaing, Le pouvoir et la vie, tome 1, Compagnie 12.
Catherine Demangeat et Florence Muracciole, Dieu et les siens, Belfond.
Le Monde, André Malraux, Les chênes qu’on abat, op. cit.