Nous sommes à Barbuda
A ne pas confondre avec Barbade,
île beaucoup lus connue, laquelle se situe au sud-est des Petites Antilles… Barbuda
se trouve elle au nord des Petites Antilles, légèrement décalée vers l’est.
Parmi les voyageurs qui
touchèrent les rivages de cette île, peu se sont intéressés à son identité…
Car Barbuda ce n’est pas que
Cocoa Point !
L’île est plate comme la
main :
- à l’extrémité
du majeur : Cocoa Point
- à la base
du pouce : quelque chose qui ressemble à un village et porte même un nom
découvert à la loupe sur la carte marine à grande échelle :
Codrington !
Voici ce qu’écrit Jean Raspail en
1970 :
« On se demande ce qu’il avait fait à la reine Victoria,
toujours est-il qu’il obtint la concession de Barbuda pour occuper ses trop
longs loisirs. Il y importa des daims pour les chasser et des nègres pour les
servir, puis il partagea l’île en deux parties totalement inégales : les
999 millièmes pour les daims et le dernier millième pour les nègres, avec
interdiction d’en sortir : c’est Codrington. Le milord ne badinait pas
avec les loisirs. Dans sa grande bonté, après avoir donné pour nom au
village-prison, il commanda qu’on l’entoure de murs, et comme il faut toujours
se méfier des nègres sans honneur, sans parole et sans aveu, il fit doubler le
mur d’adobe par des buissons d’épineux ; je suppose que c’est ce qu’il
pensait car le résultat, de nos jours, demeure particulièrement déprimant
lorsqu’on se heurte aux quatre points cardinaux à des barrières d’épines, de
piques et de pointes acérées et autres cactus sauteurs…Les daims eurent des
petits…Les nègres aussi…Mais comme lord Codrington ne les chassait pas –
donnons lui acte de son humanité – ces derniers alignent aujourd’hui 1200
spécimens de braves gens qui se sont crus autorisés à percer depuis peu
une sortie dans la muraille…
Tout finit donc toujours par
s’arranger !
Les descendants de Codrington ont
dû céder leurs droits régaliens à la Fédération autonome d’Antigua-Barbuda,
laquelle, dirigée par les tyranneaux noirs concussionnaires d’Antigua, modèles brevetés
aux Antilles, s’est empressée de décréter que, dans le principe, rien ne
changeait : les nègres à Codrington derrière leurs cactées, surveillés par
18 policiers ; les daims ailleurs ; plus Cocoa Point Hotel sur
l'emplacement de l’ancien pavillon de chasse ! Croyez-moi, dans cette
affaire quelques « ministres » se sont sucrés ! Tout finit par
s’arranger …
On atterrit comme on peut le long
de la muraille d’épines, côté extérieur. Pour entrer dans le village, une
trouée fermée d’une barrière. Bousculant la barrière exactement comme une porte
de prison, une chaine et un cadenas, et derrière la barrière, l’illusion est
complète : trois flics noirs à jugulaire, extrêmement propres dans leurs
chemises Nelson et leurs pantalons à
bande rouge….c’est fou ce que c’est propre un flic d’Antigua en
occupation à Barbuda ! On voit sécher gaiement leur linge autour du poste
de police tout proche, l’eau est plus rare que le whisky, cela ne fait
rien : à coup de pied dans le cul les négresses sont priées d’en trouver
sinon avec quoi pourraient-elles bien laver les chemises Nelson et les
pantalons à bande rouge ?,
« Les flics finissent par ouvrir
le cadenas et le cortège s’ébranle, dans le village écrasé de silence. Sur le
passage des flics, les sombres charognards s’envolent à tire d’aile. On entend
crier un enfant. Fin de la scène 1, dite scène d’accueil. Fallait aller à Cocoa
Point. C’est exactement ce que le chef n’arrête pas de répéter. Il est bien
gras cet homme-là ! Est-ce qu’il
mange les petits enfants ? Pas une mouche dans l’air ! À force de
bailler, ils les ont toutes avalées !
Ils sont dix-huit les flics ! Le temps qu’ils examinent les papiers on a le
temps de s’asseoir sur une chaise….Plus le chef se les fait lire à haute voix
façon général en chef surmené, plus les dix-huit froncent le sourcil… Puis la
tension baisse et chacun se remet à bâiller, ce qui les amuse de moins en moins
car aucune mouche ne s’y risque plus. « Allez me chercher le Blanc »
commande le chef à l’estafette de service. Tout le monde se marre. Ce doit être
la réponse du berger à la bergère…Le voici ! Ah oui, ils peuvent se
moquer ! On les c comprend car c’est un spectacle de choix, une ruine qui
s’avance, une épave comme on n’en rencontre même plus dans les plus mauvais
films d’ambiance…Et pour un Noir, quelle aubaine ! Quelle jouissance à la face d’un Blanc, en
présence de Noirs rigolards, de lui jeter sa propre image souillée, l’image de
l’antirace, le déchet modèle de deux mille ans de civilisation ! Ah !
Qu’il est sale ! Qu’il est
laid ! Qu’il est triste ! Il n’a plus de dents, il est saoul comme un
cochon, il a les pupilles avariées du vérolé au troisième degré, il est vêtu de
haillons graisseux ouverts sur une poitrine où se battent les mouches. C’est le
seul Blanc de l’île. « Arrangez-vous avec lui, dit le chef, mais ne le
faites pas trop boire ! ». Et de se taper les cuisses, suivi dans
l’enthousiasme par l’escouade des gobeurs de mouches…
Qu’est-ce qu’ils attendent ?
Le déchet parle un peu français.
Il tend une main immonde et dit péniblement : « Peuvent toujours
causer…Sans moi, pas d’électricité. Je suis ingénieur. Quand le vieux moteur
tombe en panne, ils m’insultent, mais qui est-ce qui répare avec rien parce
qu’ils n’ont pas un rond. C’est moi. Pas eux !... »
Dépendre, pour l’unique activité
technique de l’île, d’un Blanc saoul, à moitié crevé, alors qu’on déteint le
pouvoir, quelle torture !
Nous sortons, nous allons au
bistrot boire du rhum : que ce type-là, pour une fois, retrouve la fierté
de se cuiter avec ses semblables ! Parce qu’on n’accable pas un pauvre
type méprisé en le regardant se saouler sans lui faire l’honneur de trinquer
pour de bon…Question de solidarité…
Heureusement il avait un ami,
captain Harris, qui me trouva une jeep, du poisson, une sympathique négresse
…pour le cuire… et une petite maison en bois.
La nuit les ânes brayant et les
coqs complètement dingues sous les clair de lune antillais, il n’est guère
possible de dormir, sans compter les moustiques ‘si je les ai coptés : sur
mes deux avant-bras, 180 piqûres !)
Charmante villégiature….
Dans la journée j’ai parcouru les
quatre rues du village de Codrington, bouffant de la poussière rouge sur les
pistes de l’île pour trouver quoi ? Rien. Une île déserte et sans saveur,
un village sans espoir où les propriétaires de six poules ou bien d’une barque
de pêche – ceux-là plus rares – maintenaient la population en état de survie tolérable
et pour pas cher : avec un billet de dix dollars j’avais l’air fin :
personne n’avait la monnaie d’une somme aussi exorbitante ! Des braves
gens, quoi.
Captain Harris était l’homme
politique local, sorte de Webster déjà vaincu : « Un jour au temple,
j’ai fait un petit discours qui m’a échappé, disant que ces gars d’Antigua
voulaient notre mort. Savez-vous ce qu’il s’est passé ? On nous a envoyé
dix-huit policiers, dix-huit ! Pour douze cents habitants ! Et c’est
nous qui les nourrissons !... » Ah ! L’exploitation du Noir par
le Noir ! Messieurs de l’O.N.U., venez vite enquêter et Barbuda sera
sauvée ! « Mais Cocoa Point Hotel ? » demandai-je au
captain. Un geste par-dessus l’épaule : « Cocoa Point ? Est-ce
que ça existe pour nous ? ».
Mais commencer par Cocoa Point au
lieu de se perdre à Codrington, une fois là-bas, c’est tellement beau qu’on n’a
plus envie d’en sortir…. En jeep il faut rouler une heure et demie environ,
sans rencontrer âme qui vive (les ânes ont-ils une âme ?), forcer quelques
barrières, traverser un no man’s land sablonneux le long d’une mer hérissée de
rochers. Et, brusquement, tout change, franchie la dernière barrière : la
piste devient allée de château. La méchante mer rocheuse se transforme en lagon
calme et transparent bordé de sable blanc rectiligne, des cocotiers montent vers le ciel,
des fleurs jaillissent en massifs plantés sur un gazon vert incroyable, dans
cette île de ronces et d’épines. L’eau est là, ça se voit, cela saute aux yeux,
pas de l’eau de pluie, trop précieuse pour être gaspillée en arrosage, mais
l’eau abondante d’une source unique qui fait plaisir à voir lorsque l’on a cuit
dans sa crasse à Codrington-village ! Sont pas fous par ici, ils ne la
partagent pas leur flotte ! Que voulez-vous, ça boit sec un golf de
compétition de dix-huit trous (remarque au passage : le golf est bien
gardé par un flic par trou !) – Le long du golf s’étend le poumon de Cocoa
Point : une belle piste d’atterrissage pour bimoteurs moyen-courriers
venant de Floride sans escales, et plus loin, enfin, niché au bord de l’azur
liquide, comme écrit si joliment dans les dépliants touristiques, l’hôtel le
plus cher de toutes les Petites Antilles (*), le célèbre Cocoa Point ! C’est mignon, sans plus, bois
peint en blanc avec colonnes style virginien simplifié, petits pavillons privés
en forme de temples grecs, groupé autour d’un vaste club-house (pardonnez
l’anglicisme, je ne trouve pas l’équivalent français…). Car c’est bien d’un
club qu’il s’agit : le club très privé des gens qui peuvent payer deux
mille dollars de pension par jour… et qui tiennent à s’emmerder entre eux sans
que leur soit imposée la présence des miteux qui e disposent pas de cette
somme. Moyennant quoi, pour ce prix-là, tout arrive de Floride : les clients
triés, la bouffe de luxe, la direction, le masseur des dames, le personnel doré
sur tranche, excepté les laveurs de chiottes et les cireurs de plancher
embauchés dans l’île à peu de frais car ce n’est pas l’offre qui fait défaut,
plutôt l’embauche (bien que chez certains d’entre eux cela constitue une
promotion sociale quelque part…). Tout vient de Floride et tout y retourne en
condensé verdâtre, sous forme de milliards de dollars, et cependant je me
trompe : les dollars ne quittent même pas les Etats-Unis, sauf la monnaie
qui s’égare du côté du gouvernement d’Antigua comme prix de la
« concession » héritée du gentil lord Codrington. Codrington-village
ne touche pas un rond pour la cagnotte de ses douze cents
« prisonniers », et cela se voit…
Evidemment les clients ne sortent
jamais de Cocoa Point autrement que par l’avion de Floride. Imaginez leur horreur
s’ils s’égaraient à Codrington : pas le moindre « shopping » ! Et si d’aventure on les enfermait un jour et
une nuit dans l’école remplie de moustiques avec au menu du poisson fade, non,
pour eux Codrington n’existe pas !
Barbuda non plus d’ailleurs…
Seul compte Cocoa Point !
En montant dans son avion, après
huit jours de séjour au Cocoa Point Hotel, la Bégum eut cette phrase
magnifique :
- « c’était
tout à fait charmant, je suis ravie. Mais comment s’appelle donc cette
^le ? »
« Elle s’appelle Barbuda,
madame, Barbuda ».
(*) vexés, les Français,
représentés par trois promoteurs au génie complémentaire, à savoir un pirate,
un député et un honnête homme, appuyés par un Libanais, ont décidé en 1970 de
se montrer compétitifs, à Saint-Martin ; leur hôtel sera plus cher encore,
on espère bien n’y voir aucun Français pour discutailler les prix en territoire
français – on n’y causera que de dollars, c’est sacré par ces temps de balance
commerciale déréglée – excepté les autorités le jour de l’inauguration pour les
remercier d’avoir largement « branché » le contribuable français sur
l’affaire, car, contrairement à la moralité immobilière française, déjà fort
dépréciée, la participation de l‘Etat a battu tous les records tolérables,
jusqu’à l’achat des terrains de golf à la milliardaire locale, laquelle ne les
« lâche » pas avec un élastique !).