vendredi 19 février 2016

LA PEROUSE (suite)


 
De guerres en Pacifique (2/3)
 
 
 
 
 
LA RENCONTRE INATTENDUE (6)

La Pérouse, de guerres en Pacifique (2/3)

Sur le point d’être exécuté, Louis XVI aurait prononcé ceci : « A-t-on des nouvelles de La Pérouse ? » voilesetvoiliers.com a eu l’opportunité de rencontrer, début mars 1788, le célèbre navigateur en Australie, à Botany Bay, quelques semaines avant sa disparition en mer. Deuxième partie.
 
Suite de notre entretien avec Jean-François de La Pérouse. Première partie à retrouver ici.
 
La Pérouse vient de se retirer quelques instants dans son logement. Il nous rejoint sur la dunette de la Boussole alors que des poules caquettent dans leurs mues.
Jean-François Galaup de La Pérouse : Voilà un petit rhum de mon tonnelet personnel. Les hommes du bord ont entièrement piraté le tout-venant. Vous allez m’en dire des nouvelles. Je suis désolé d’avoir énuméré mon catalogue de batailles tout à l’heure, cela devait être un rien assommant. Où en étions-nous ?
La Pérouse : Vous avez raison, ce sera plus roboratif. Or donc, un an après le Traité de Versailles de 1783 instituant la paix entre l’Angleterre, l’Espagne et la France, je suis désigné par le directeur des ports et arsenaux, Charles-Pierre Claret, comte de Fleurieu, pour diriger ce grand voyage de par la planète mer. C’est un grand honneur pour moi. On doit à ce brillant esprit l’organisation de toutes les dernières campagnes navales contre l’Angleterre. Il a surtout été l’un des premiers à tester la montre de marine à secondes, indispensable maintenant pour calculer la position exacte de nos navires. Son choix est accepté par notre ministre de la Marine, le marquis de Castries, et surtout par notre bon roi Louis XVI. Il est enthousiaste à l’idée de redorer la glorieuse histoire maritime de la France et que nous fassions mieux que le vénérable capitaine anglais Cook, disparu il y a moins d’une dizaine d’années. Pour ce long périple censé durer trois ans, ses instructions bien précises sur les navigations à effectuer me demandent entre autres de découvrir de nouvelles terres, de prendre contact avec les peuples sauvages et surtout, de faire des observations quant à la géographie, la géologie, l’astronomie, la botanique, etc.  
Voilesetvoiliers.com : Vous partez donc avec deux vaisseaux ?
La Pérouse : Oui, avec des flûtes : l’Astrolabe, commandée par le sieur Paul-Antoine Fleuriot de Langle et donc la Boussole sur laquelle nous sommes. Ces excellents navires qui s’appelaient avant l’Autruche et le Portefaix sont des bateaux marchands aux larges cales. Nous sommes partis de Brest le 1er août 1785 avec une cargaison incroyable, il y avait quand même des lieues à avaler pour nos étraves. Pour l’ensemble des équipages - deux cent seize hommes en tout - nous avions embarqué trois cent cinquante tonneaux de vivres. Et puis nous avions prou de produits pour nos futurs échanges avec les peuplades rencontrées. De la verroterie et autres pacotilles comme deux mille haches et herminettes.
Voilesetvoiliers.com : Il y avait surtout à bord au départ d’éminentes personnes ?
La Pérouse : Des savants de renom. Monsieur Dagelet de l’Académie des Sciences, et Monsieur Monge, l’un et l’autre professeurs de mathématiques à l’école militaire et embarqués en tant qu’astronomes. Les chirurgiens et médecins Rollin, Lavaux et La Martinière, ce dernier étant aussi botaniste. L’abbé Mongès, physicien et surtout aumônier à mon bord. L’ingénieur en chef Monneron et les artistes Prévost, père et fils, et Duché de Vancy. Tout ce petit monde partant avec son propre matériel de travail.
La Pérouse : Nous faisons route vers la baie de La Conception au Chili, via Madère, l’île de La Trinité, celle de Sainte-Catherine et le cap Horn. Tout cela sans encombre et donc sans perte d’hommes. Toutes mes pensées n’avaient eu pour objet que les routes des anciens navigateurs. Mais leurs journaux sont si mal faits qu’il faut en quelque sorte les deviner. Les géographes ont ainsi tracé des îles qui n’existent pas, comme celle de Drake qui n’est en fait que la Terre de Feu. Nous aperçûmes, le 22 janvier, les Mamelles du rio Biobio, deux montagnes dont le nom indique leurs formes, situées à quelques lieux d’un havre remarquable. De l’ancienne ville de La Conception, détruite par un tremblement de terre en 1751, il ne reste plus que des ruines qui ne dureront pas autant que celles de Palmyre. Les Espagnols ont donc reconstruit une nouvelle cité. Elle contient environ dix mille habitants. Cette partie du Chili est un terrain fertile où l’on cultive le blé et la vigne. Les campagnes y sont couvertes de troupeaux innombrables et toutes les rivières y sont aurifères. Malgré toutes ses richesses, ce pays n’en profite pas. Il faudrait que l’Espagne change de système et que la liberté du commerce soit autorisée. Mais là n’est pas mon propos ! Nous y sommes restés quelques temps avant de rejoindre l’île de Pâques que nous abordons le 9 avril.
Voilesetvoiliers.com : Comme le relatait le capitaine Cook, il n’y a rien à exploiter là-bas ?
La Pérouse : L’île n’a aucun arbre qu’ils ont eu l’impudence de couper dans des temps sans doute reculés. La dixième partie de la terre y est à peine cultivée. On y trouve des patates, des ignames, des bananes, des morelles et des cannes à sucre. Nous avons été reçus par les habitants avec joie. Sans exagération, je crois pouvoir porter la population à deux mille personnes. Ces derniers ne semblaient pas malheureux et ne sont en rien des sauvages. Les femmes, dont la physionomie est agréable, offraient leurs faveurs à tous ceux qui voulaient leur faire quelque présent. Pour les hommes, nous prîmes le parti de nous amuser des ruses que ces insulaires employaient pour nous voler, même si nous leur avons fait cadeau de graines et d’animaux. Nous avons visité l’île en deux groupes, entrant dans les maisons communes ou souterraines dans lesquelles ils habitent. Parfois à plus de deux cents. Et puis, nous avons vu leurs monuments. Des bustes grossiers de taille colossale dont M. Duché a donné un dessin fort exact. Ils sont faits de lapillo, une pierre volcanique tendre et si légère qu’une centaine d’hommes suffisait pour les élever.
Voilesetvoiliers.com : Vous y êtes restés combien de temps ?
La Pérouse : Seulement une journée mon ami. Il nous fallait faire de la route pour rejoindre les côtes Nord-Ouest de l’Amérique. Nous avons fait relâche à Mowée (Maui) aux îles Sandwich (Hawaï) d’où nous sommes partis le 1er juin. Trois semaines plus tard, alors que le brouillard se dissipait, nous reconnûmes le mont Saint-Elie que le navigateur danois Berhing avait découvert pour le compte de la Russie en 1728. Nous mouillâmes dans une baie que je nommais Port-des-Français. Nous avons été rapidement entourés par des pirogues de sauvages. Contre des poissons et des peaux d’animaux, ce qu’ils désiraient le plus c’était du fer. Apparemment, ce métal ne leur était pas inconnu, ils avaient tous un poignard pendu au cou. Sans doute échangé avec les Russes, des employés anglais de la Compagnie d’Hudson ou autres négociants américains. Alors que nous allions quitter ces contrées, un grand malheur nous est arrivé. Un désastre plus cruel que les maladies. Mes regrets ont été, depuis cet événement, cent fois accompagnés de mes larmes. Reprenons du rhum pour calmer ma douleur…
Le troisième volet de cet entretien exceptionnel sera dévoilé prochainement sur notre site.