" Il y a très très longtemps … quand je faisais mes études
d’ingénieur des pêches, j’ai eu l’occasion de faire un stage de trois semaines
au laboratoire de planctonologie de Villefranche sur mer : Incroyable,
génial, éblouissant, je ne l’ai jamais oublié. Avec des filets aux mailles
minuscules, nous partions à l’aube. Il semblait qu’il n’y avait rien dans la
mer imperturbablement bleue, juste une petite boue au fond de notre chalut. Et
pourtant, quand revenu au laboratoire nous examinions tout cela, c’était un
monde, un univers ! Des milliers de formes différentes, des êtres
translucides dont on voit battre les organes par transparence, des plumes, des
poils, des appendices de toutes nature, des animaux merveilleusement
géométriques, dentelles de calcaires plus finement sculptées que des bijoux.
Dans un seul litre d’eau de mer une vie débridée se cache. Il se trouve que
l’actuel directeur de ce laboratoire Christian Sardet est non seulement passionné de ses chères
bestioles mais aussi excellent pédagogue et vient de sortir un livre qui est
magnifique, pour les amateurs de science, mais aussi pour les amateurs de beau,
tout simplement.
Rappelons que le plancton est à l’origine de la vie sur terre, et c’est parce qu’il s ‘est
développé et complexifié pendant des milliards d’années dans l’océan que nous
sommes là aujourd’hui. C’est l’explosion des cyanobactéries qui a produit, il y
a plus de 2 milliards d’années assez d’oxygène pour ouvrir la voie à la
respiration. Le plancton, végétal ou animal est la base de toute chaîne
alimentaire : poissons, crustacés et coquillages lui doivent tout et 3
milliards d ‘être humains dont la mer est la seule source de protéines. Ce sont
les milliards de milliards de minuscules coques calcaires des
coccolitophoridées et des foraminifères qui en s’accumulant dans les grands
fonds ont formé les roches calcaires, pendant que leurs collègues les diatomées
devenaient les précurseurs du pétrole et
du gaz , mais aussi de silice qui nous sont des engrais puissants. Ce sont
certaines espèces de plancton qui émettent suffisamment de sulfure de
diméthlyle dans l’atmosphère pour qu’ait lieu la condensation et la formation
des nuages. C’est le phytoplancton, le plancton végétal qui absorbe par sa
croissance plus de tiers de nos gaz à effets de serre et piège le carbone en
profondeur en coulant après la mort.
S’il fallait ériger une statut à la vie, elle ne pourrait
être qu’en forme de plancton. Remarquez que là on aurait l’embarras du choix.
Plus de 200 000 espèces connues mais
sans doute encore 1 million inconnues et
encore je ne parle pas des bactéries. Car plancton veut dire «
errer » en grec et concerne tous les organismes qui se laissent dériver au
gré des courants. Beaucoup nous sont inconnues, mais on trouve aussi des œufs
et larves de poissons ou de crustacés, des méduses et quantité de vers
flottants. De 1 micron à 10 mètres
de long pour certaines méduses,
comestibles comme la poutine o la spiruline, urticants et même mortels dans
certains cas ; isolés ou en colonies; durs ou mous, végétaux vivant du
soleil ou animaux prédateurs, carnivores ou cannibales ; le plancton a
déjà tout inventé ou presque. C’est pour nous, les hommes une source
potentielle d’immenses découvertes qui vont peut être un jour nous nourrir,
nous soigner, nous fournir de l’énergie ou des procédés bio chimiques. A
condition quand même que l’océan reste en bonne santé et pas trop affecté par
le réchauffement climatique mais ceci est une autre histoire.
Feuilletez donc « Plancton, aux origines de la
vie » de Christina Sardet aux éditions Ulmer, des photos sublimes et un
texte passionnant.
Bonne lecture ! "
ISABELLE AUTISSIER
http://www.franceinter.fr/emission-les-recits-disabelle-autissier-le-plancton