Après un demi-siècle, le Forum économique de Davos n’a rien perdu de sa capacité à traiter les grands problèmes du monde. Plus de 3000 dirigeants d’entreprises, des chefs d’Etat et de gouvernement, des ministres, des dirigeants d’organisations internationales - BCE, FMI, Commission européenne, se retrouvent cette semaine dans cette petite station de ski des Alpes suisses qui fut chère à Thomas Mann. Tous les participants savent que « la montagne magique » surplombe la station de ski, mais la plupart ignore que cette œuvre de l’écrivain allemand lui valu d’obtenir le prix Nobel en 1929. 1929, l’année catastrophe pour le système mondial.
Au départ, il y a 50 ans, l’élite mondiale pensait pouvoir trouver des solutions pour prévenir les catastrophes et régler les disfonctionnements du système économique à l’abri des caméras et des micros. Aujourd’hui, l’ élite mondiale utilise la résonnance médiatique pour convaincre les opinions des changements nécessaires.
Pourquoi ? Parce qu’avec le succès et la notoriété, Davos est devenu la cible de critiques parfois violentes, parce que Davos était vécu comme l’incarnation d’un club réservé à l’élite du capitalisme mondialisé. Il est toujours consideré comme le centre du pouvoir mondial où tous les dirigeants se côtoient et peuvent se parler. C’est à Davos que les Israéliens et les Palestiniens avaient commencé à écrire les premiers accords de paix. C’est à Davos où Bill Gates a présenté son premier micro-ordinateur et plus tard, les premières liaisons internet qui allaient accoucher d’une révolution digitale aussi importante que la découverte de l’électricité au début du 19e siècle. C’est à Davos que les dirigeants occidentaux ont convaincu les Chinois de rentrer dans l’économie mondiale puis dans l’OMC au début du 21e siècle.
Davos a été imité dans beaucoup de régions du monde, mais Davos a surtout suscité des contre-pouvoirs organisés par les ONG et dont le principal aura été le Forum social Mondial qui se tient le plus souvent à Porto Allègre au Brésil.
Ces contre pouvoirs se sont essoufflés en participants directement aux travaux de Davos. Cette année, les représentants du capitalisme vont recevoir un nombre hallucinant d’ONG pour débattre et qui sait trouver des solutions de compromis.
A partir de demain, les organisateurs du Forum de Davos vont célébrer la cinquantième édition en présence d’Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne mais accueillera aussi Donald Trump et Greta Thunberg.
Les participants à Davos ne sont pas tombés sur la tête. Ils savent bien que Donald Trump n’aime pas les valeurs portées par la mondialisation, telle qu‘elle est façonnée par Davos. Donald Trump a été élu avec un discours anti-libéral, anti-libre échange et protectionniste. Donald Trump va donc aujourd’hui faire un grand discours pour rappeler que son job est de protéger l’Amérique. Mais ils savent bien aussi que le président américain est en campagne électorale. Il va donc parler haut et fort à ses électeurs. Et en coulisses, il va rencontrer les dirigeants chinois, russes et européens. Du networking pendant lequel se forgent les compromis et les politiques.
Si l’objectif de Donald Trump est de parler à ses électeurs, il sait aussi qu’il faut que sa machine économique fonctionne à plein régime. Et pour qu’elle fonctionne à plein régime, il a besoin d’un système mondial en bonne santé. Il sait donc parfaitement bien jusqu’où ne pas aller. Pour Trump, Davos représente le mur des réalités qu’il n’a pas le droit de franchir. C’est cette évidence qu’il est venu rappeler.
L’invitation de Greta Thunberg est beaucoup plus importante, plus perverse et plus cynique encore, parce que beaucoup disent qu’elle est récupérée par des mouvements d’extrême gauche. Greta Thunberg est devenue une vedette mondiale auprès de sa génération en dénonçant les risques du réchauffement climatique. Par son audace, par son allure et par un marketing très sophistiqué, Greta Thunberg a pris la tête du mouvement mondial de la lutte pour le climat. Elle a fustigé tous les acteurs et tous les consommateurs en demandant à chacun de faire des efforts au niveau de son propre comportement.
Mais jamais Greta Thunberg n’a accusé le système libéral, capitaliste d’être à l’origine du réchauffement climatique. Greta n’est pas antisystème, Greta demande à ce que le système trouve des solutions. Greta met en cause les responsabilités individuelles.
C’est exactement le discours dont a besoin Davos. Un discours qui ne condamne pas la croissance économique, un discours qui ne refuse pas l’innovation. Mais un discours qui revendique une prise de responsabilités des différents acteurs. Les consommateurs d’abord, les producteurs ensuite.
Tous les chefs d’entreprise aujourd’hui sont sur la même longueur d’onde. Ils savent qu’ils doivent trouver des solutions pour mettre en place des fonctions de production propres et pérennes. Pour tenir compte de la raréfaction des matières premières et des énergies.
Ce qui est important dans la présence de Greta Thunberg à Davos, c’est qu’elle vient couper l’herbe sous le pied des écologiques politiques. De tous les militants qui préconisent un changement de modèle économique ou un abandon de cette course à la croissance, un abandon du système capitaliste libérale au profit d’une économie solidaire et de partage.
Pour Greta Thunberg, la lutte contre le réchauffement climatique est totalement compatible avec la poursuite d’un modèle de croissance et de progrès, à condition que les logiciels de production n’émettent plus de gaz carbonique.
Dans un pays comme la France par exemple, les mouvements écologiques sot devenus nombreux mais ils se partagent en deux parties difficilement conciliables. Incapables de former des majorités pour gouverner. On va le mesurer lors des prochaines élections municipales.D’un coté, les écologistes radicaux antisystème qui promettent une lutte (parfois violente) contre le système capitaliste. De l’autre coté, des écologistes réformateurs, qui promettent des changements de mode de consommation mais qui ne réclament pas un abandon du système. La plupart des associations de consommateurs, d’actionnaires ou de salariés demandent à ce que les entreprises travaillent autrement mais continuent de travailler et de produire.
Le succès de Greta Thunberg tient au fait qu’elle bouscule les habitudes, mais rarement le système sur lequel fonctionne la mondialisation.
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