Enfin, prendre le temps de lire...
Tant qu'à être en quarantaine, autant en profiter pour faire quelques rattrapages de lectures .
S'adonner enfin à ces fameuses lectures qu'on dit affectionner sans en avoir jamais le temps...
Que vous conseiller ?
Commencez, peut-être, par la (re)lecture de quelques "classiques".
En Italie, pays qui nous a devancés dans le temps au titre des contaminations, et alors que les ventes de livres s'effondraient fin février, deux titres se sont mis à flamber, comptant parmi les meilleures ventes de livres :
L'Aveuglement (Points), du Portugais José Saramago, sur une épidémie de cécité, un roman allégorique : "Première scène: un homme, au volant de sa voiture, devient soudain aveugle. On le conduit chez son ophtalmo, qui perd immédiatement la vue. Et contamine un patient, puis un autre, puis un troisième. Panique dans la ville. L'étrange épidémie gagne du terrain, et ses victimes sont placées en quarantaine dans un hôpital psychiatrique désaffecté qui deviendra, en quelques jours, une jungle pestilentielle. Afin de survivre dans ces ténèbres, chacun se transformera en loup sanguinaire, et Saramago, qui aime les allégories, en profite pour montrer au fond de quels abîmes d'abjection peuvent sombrer les hommes, quand ils sont privés de lumière et qu'ils ont perdu leur âme: viols, crimes, obscénités en tout genre, nous avons droit à une kyrielle de scènes hallucinantes. L'Aveuglement, c'est le marquis de Sade égaré chez Jérôme Bosch."!
La Peste (Folio), d'Albert Camus, vendu à ce jour en France à 4,7 millions d'exemplaires. Il y a donc de fortes chances que vous ayez déjà lu ce roman publié en 1947, qui connut dès sa sortie un succès immédiat de librairie. Un petit rappel des faits, néanmoins : A Oran, en pleine Algérie française, la peste décime les habitants, coupés du monde extérieur. Au milieu, le Docteur Rieux tente de lutter pour sauver les malades et défendre la dignité humaine... "Camus serait content qu'à l'occasion, on se souvienne qu'il s'agit d'une allégorie de la montée des fascismes. Où est le danger le plus grand ?"
Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin... Dans le même registre, on ne peut que suggérer Journal de l'Année de la Peste (Folio), de Daniel Defoe, publié en mars 1722. Le journaliste britannique évoquait la peste de 1665, qui avait sévi à Londres pour la quatrième fois au cours du même siècle. Et quand en 1720, elle surgit à Marseille, il s'empare du sujet pour revenir sur les 70 000 morts, partis en une année, mêlant les conseils prophylactiques aux réflexions morales sur les décrets de la Providence.
Ou encore, beaucoup plus près de nous, Le Fléau (Le Livre de Poche) de Stephen King, publié en 1978 et revisité en 1990. Le maître américain du thriller imagine qu'une pandémie de grippe, créée en laboratoire, s'abat sur la planète et détruit la plus grande partie de la population. Les survivants vont alors se scinder en deux camps aux buts diamétralement opposés, reproduisant ainsi la lutte éternelle du Bien contre le Mal. Sympa, non ?
La grippe, toujours, mais aviaire, celle-là, avec Pandemia (Pocket), de Franck Thilliez. Trois cygnes découverts en baie de Somme. En forêt de Meudon, le corps d'un homme, son chien mort à ses côtés. Le processus infernal d'une pandémie s'enclenche, jusqu'à la phase 4, déclenchée par l'OMS (une théorie plausible, validée par l'institut Pasteur de Lille). Les flics Franck Sharko et Lucie Hennebelle enquêtent, sur fond de peur collective.
Mais quittons le monde des virus pour entrer dans celui du mal absolu : la Shoah, avec Mauthausen. une espèce de chef-d'oeuvre publié en Grèce en décembre 1965 et qu'Albin Michel vient d'éditer. Il vous faut absolument découvrir ce récit de Iakovos Kambanellis (1922-2011), grand dramaturge grec, comparable à ceux de Jean Cayrol, de Primo Levi, de Jorge Semprun... Cet ouvrage majeur s'ouvre sur les prémices de la libération du camp, le 5 mai 1945, et fait alterner la lumière des "jours d'après" et la monstruosité nazie. Ce sont ces allers et retours dans le temps qui font la grandeur de cette chronique, ce va-et-vient entre le souffle de la vie et la torpeur de la mort, le tout narré, non sans humour, dans une langue fluide et extrêmement vivante.
Mais après tout, qui dit confinement, dit aussi huis clos. Alors, pourquoi ne pas vous replonger dans le délicieux Voyage autour de ma chambre (GF), récit autobiographique de l'écrivain savoyard Xavier de Maistre écrit en 1794. L'histoire d'un jeune officier, mis aux arrêts dans la citadelle de Turin à la suite d'une affaire de duel, qui explore les petits riens qui l'entourent et dont l'esprit vagabonde au fil des rêveries ...
Vous voulez voir un peu plus loin ? Gravir les étages ? La Vie mode d'emploi (Le Livre de Poche), de Georges Perec tombe à pic. Avec la vie de cet immeuble (habitants, objets, etc.) situé au numéro 11 de la rue (imaginaire) Simon-Crubellier, dans le 17e arrondissement de Paris, entre 1875 et 1975, vous ne risquez rien.
Si vous préférez vous aérer à la campagne, partez en Normandie en compagnie de Justie Wolkenstein. Dans Et toujours en été(POL), la romancière et fille de l'académicien Bertrand Poirot-Delpech vous invite à ausculter, pièce après pièce, objet après objet, sa maison familiale de la Manche via un judicieux escape game.
Etonnant.
Autre huis clos ingénieux, celui de Matias Faldbakken dans Le Serveur(Fayard). L'artiste danois déroule son intrigue au sein du Hills, l'une de ces brasseries très "vieille Europe" d'Oslo, patinées par le temps et le bon goût. Aux oeuvres d'art accrochées aux murs répond le ballet orchestré du personnel... jusqu'à l'irruption d'une lumineuse demoiselle, qui va perturber notre serveur narrateur.
Nostalgie de l'ailleurs ? Jetez un coup d'oeil au Courage des autres, (Grasset), d'Hugo Boris qui vous rappellera vos belles heures passées dans le métro parisien. L'auteur consigne en effet sur le vif depuis quinze ans les scènes vues et vécues dans les transports en commun, avec son lot de belles surprises, d'instantanés heureux et de méchantes rencontres. "Sans le vouloir, l'humanité tout entière se donne rendez-vous dans une rame de métro", pointe l'auteur, qui compare ce brassage à celui du service militaire d'antan. De quoi, parfois, vous féliciter de rester bien au chaud chez vous.
Quoique...
Pour le moral, il vous faut aussi savoir prendre l'air et participer à quelques expéditions hautes en couleurs. Alors, deux derniers conseils : Avec Heureux qui, comme Hannibal(Arthaud), l'universitaire et spécialiste de la littérature de voyage Dominique Lanni vous propose ni plus ni moins de mettre vos pas dans ceux du général Hannibal qui traversa les Pyrénées puis franchit les Alpes avec 37 éléphants en 218 avant Jésus-Christ. Le tout, en 1905, en compagnie du jeune British Walter Sinclair, fervent serviteur de la vérité historique.
Une fois avalée cette épopée "hannibalesque", aux accents "julesverniens" et "cervantèsiens", enfoncez-vous dans Ténèbre(La Peuplade) : nous sommes en 1890, en pleine aventure coloniale africaine. Mandaté par le roi Léopold II, le jeune et brillant géomètre belge Pierre Claes embarque à Léopoldville, sur le fleuve Congo, afin de dessiner le tracé de la frontière nord du pays, démantelé à l'issue de la conférence de Berlin... Un roman choc, signé Paul Kawczak, un universitaire natif de Besançon installé au Québec.
Voilà, quelques conseils de lecture (liste non exhaustive, bien sûr) qui devraient, je l'espère, vous permettre à vous, et à tous les confinés du jour, de voir s'égrener les heures le plus agréablement possible.
Et si vous n'êtes toujours pas consolé, jetez un coup d'oeil au dernier roman de Sandrine Collette, Et toujours les Forêts (JC Lattès), un récit noir d'encre comme ces cadavres, ce macadam, cette Grande Ville, ces paysages, réduits en cendres depuis que la "chose" (tremblement de terre, souffle de feu ?) a foudroyé notre planète. En suivant l'admirable épopée de l'un des rares rescapées, le jeune Corentin, l'on prend conscience que les miraculés ont un devoir de reviviscence. Et qu'il leur faut toujours, coûte que coûte, espérer dans un avenir incertain.
Con
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