TÉMOIGNAGE BOULEVERSANT D'UN PIERROTIN
" Ich bin ein Berliner "
" je suis Charlie"
Qui va crier aujourd'hui :
" je suis Samuel Paty " !?
TÉMOIGNAGE BOULEVERSANT D'UN PIERROTIN
Je suis prof d’histoire
Nous sommes le samedi matin 17 octobre 2020. Le monde de l’éducation se réveille aujourd’hui avec horreur et stupéfaction. Personne n’arrive à croire ou à comprendre ce qui est arrivé. Le choc est encore plus brutal du côté de la France. La veille, notre collègue et prof d’histoire Samuel Paty a été lâchement assassiné pour avoir fait ce qui le passionnait et le motivait dans la vie : enseigner.
Enseigner, cet acte ou un professeur assure un partage d’informations, de concepts, de valeurs communes et de culture universelle à ses classes. Il est du devoir de l’enseignant de transmettre ces éléments aux élèves. Et ce, de façon à ce qu’ils comprennent et assimilent des connaissances, des techniques et des codes moraux, afin de pouvoir ensuite vivre en société dans le respect et l’harmonie.
Je ne peux décrire à quel point cette situation me touche. Ça me fait vivre un océan d’émotions allant de la tristesse à la colère, en passant par l’incompréhension et le dégout. Comme l’a déclaré le procureur anti-terroriste qui fait le point sur l’enquête : « On a assassiné un enseignant et la liberté de penser ».
Comment peut-on en venir à poser un geste d’une barbarie sans borne ?
Comment quelqu’un peut-il se radicaliser de la sorte, au point de commettre l’impardonnable ? Votre réponse est surement aussi valable que la mienne.
Il y a probablement des milliers de théories ou d’explications qui pourraient venir répondre à ces questions. Je suis convaincu que des milliers de personnes vont tenter de le faire. Et ça risque malheureusement d’aller dans tous les sens. Mais ce n’est pas le but de mon message aujourd’hui.
Voyez-vous, il serait très facile d’écrire un texte complet dénonçant avec violence et hargne cet acte inhumain. Il serait même surement apaisant de dénoncer et de pointer du doigt des coupables. D’assouvir notre désir de rétribution et de vengeance.
L’être humain à cette fâcheuse tendance à chercher la punir les responsables à tout prix pour faire guise de réparation face à un acte horrifique.
Œil pour œil, dent pour dent.
Comme si de répondre de façon brutale pouvait faire oublier ou pardonner un autre acte brutal. L’humain agit de la sorte depuis des millénaires. Et à voir notre histoire mondiale depuis les 5000 dernières années, c’est loin d’être un concept qui semble fonctionner. Comme si l’homme n’apprenait jamais de ses erreurs et de ses actions.
Je suis d’avis qu’il ne faut pas répondre à la haine par la haine. Plus que jamais, pour combattre cette haine grandissante il n’y a qu’une seule solution, l’éducation. Alors pour répondre à cet acte inhumain, je vais continuer à chaque jour qui passe à enseigner à mes élèves, et à ceux qui me suivent, l’importance de l’éducation dans une société.
J’invite donc tous mes collègues aux quatre coins du monde à faire de même. Continuez à faire votre travail avec votre fougue et votre passion. Vous devez susciter la réflexion et le développement personnel chez vos élèves. Si nous ne le faisons pas, internet et ses coins les plus dépravés risquent de s’en charger à notre place.
Notre travail est plus important que jamais
Nous sommes les derniers remparts de la société contre le chaos grandissant partout sur la planète. Nous devons donc nous assurer que la haine ne triomphe pas. Ce serait de faire gagner ceux qui tentent de la propager par tous les moyens.
Il est maintenant primordial, plus que jamais, de tout faire en notre pouvoir pour transmettre aux futures générations des valeurs universelles de justice, d’égalité, de tolérance, de liberté et de respect des autres.
C’est seulement en combattant l’ignorance et la haine par le développement des valeurs humaines universelles que nous pourrons un jour espérer mettre fin à ces actions horrifiques et inacceptables.
Comme mes collègues, l’histoire c’est ma passion. L’histoire c’est mon travail. L’histoire c’est le fondement de nos sociétés. L’histoire n’oublie pas. L’histoire nous survivra. L’histoire, c’est maintenant.
"Je suis Samuel Paty ".
Je suis prof d’histoire.
-Jonathan le Prof St-Pierre
Suite
Vous n’aurez pas nos têtes
Edito
Publié le
Un hussard est tombé. Sa tête a roulé. Dans ce pays, on a décapité des rois et des tyrans, quelques révolutionnaires. Qui aurait cru qu’un enseignant perdrait la sienne, quarante ans après l’abolition de la peine de mort, pour avoir voulu faire réfléchir ses élèves ?
Ce renversement, si symbolique, nous remplit d’effroi. Après tant d’attentats et de morts, nous devrions être habitués. Et pourtant non, chaque fois c’est pire.
La République se sait en danger. Comme elle l’était lorsque des forces obscurantistes ont voulu la renverser. Ce sont les instituteurs et les institutrices, nos enseignants, à qui l’on doit d’être des citoyens éclairés et non des sujets. S’en prendre à eux, c’est s’en prendre à nous tous, à la raison et à l’espoir. Les journalistes peuvent alerter, les policiers peuvent arrêter, mais nous ne sortirons jamais de ce cauchemar si les professeurs ne peuvent vacciner la prochaine génération contre ces propagandes qui nous déchirent. L’antidote, nous le savons, exige d’expliquer, inlassablement, l’histoire de ce pays, comment nous avons arraché nos libertés, l’importance d’endurer la divergence et l’offense, le blasphème et l’atteinte au sacré, sans répondre par la violence. C’est ce qui fonde notre liberté d’expression et toutes celles qui en découlent.
« QUI N’EST PAS LIBRE NE PEUT FORMER DES CITOYENS LIBRES. »
Un critique littéraire a osé tweeter, au lendemain de l’attentat, qu’il y aurait « des morts atroces » tant qu’on défendra le droit de blasphémer, en citant bien sûr une professeure de Berkeley. On hésite entre vomir et pleurer. Ce sont les tueurs qui provoquent ces morts, pas l’usage de nos libertés. Faire passer les victimes pour les bourreaux, voilà ce qui encourage les bourreaux à recommencer. Rien n’est plus vital, plus urgent, que remettre la pensée à l’endroit. Cette pédagogie devrait obséder l’école laïque. Ce n’est pas un écart ni un excès, c’est sa raison d’être, sa mission la plus sacrée.
Pour y parvenir, la République a besoin de tous ses hussards, héritiers de Ferdinand Buisson. Protestant et franc-maçon, il s’est battu toute sa vie pour que l’école publique laïque puisse transmettre l’esprit critique et protéger les élèves issus de minorités religieuses du catéchisme dominant. Il insistait pour qu’on forme les enseignants : « Qui n’est pas libre ne peut former des citoyens libres. »
Samuel Paty voulait former des esprits libres. Il en est mort, décapité par un fanatique de 18 ans. Qui l’a convaincu que l’école laïque persécutait les musulmans comme on opprime les Ouïghours ou les Tchétchènes ? Qui lui a mis cette idée dans le crâne ?
IL FAUT UN VÉRITABLE OBSERVATOIRE DE LA LAÏCITÉ
Un père de famille a sonné la charge contre l’enseignant dans une vidéo, en clamant qu’on aurait montré une photo d’homme nu censé représenter Mahomet à sa fille, avant d’en appeler au Collectif contre l’islamophobie et à sa meute. Tout était faux. Il devra en répondre, lui et les autres parents d’élèves, pour mise en danger de la vie d’autrui. Il faut aussi enquêter pour savoir si la hiérarchie a soutenu cet enseignant, comme elle aurait dû, contre cette mise en danger.
Puis il faudra se décider, pour de bon, à mener la bataille culturelle. Obliger les réseaux sociaux à réguler l’incitation au lynchage. Démanteler les officines de désinformation comme le CCIF et BarakaCity. Demander des comptes à leurs idiots utiles, à ces imbéciles qui confessionnalisent la jeunesse et lui apprennent à s’offenser de tout, à ces journalistes et à ces politiciens cyniques qui amalgament la liberté d’expression, la laïcité et la lutte contre le terrorisme avec une « guerre contre les musulmans ».
Il nous faut, pour de bon, un véritable Observatoire de la laïcité. Pour surveiller ces campagnes d’intoxication au lieu de les relayer !
Commençons par demander à tous les élèves et à leurs enseignants de regarder ensemble le documentaire de Daniel Leconte sur le procès de Charlie Hebdo et l’affaire des caricatures : « C’est dur d’être aimé par des cons ». Tout y est dit. Tout y est conté. Les enfants comprendront. Les adultes qui veulent continuer à leur laver le cerveau, nous les combattrons. Nous ne perdrons pas nos têtes parce que des fous veulent l’arracher. Nous continuerons à vivre.
Trente-quatrième jour : l’horreur et la pensée
34e jour. La décapitation d'un enseignant par un islamiste fait passer le procès au second plan.
C’est très difficile d’écrire ce matin. Si j’assiste à ce procès, c’est parce que je crois que le mal ne doit pas être seulement dénoncé et combattu, mais pensé — c’est-à-dire expliqué. J’ai été professeur pendant plus de quinze ans en région parisienne, j’ai enseigné dans des collèges de banlieue où la violence sociale ne s’arrêtait jamais, et je sais combien s’efforcer chaque jour d’expliquer est fondamental. Expliquer n’est pas justifier, expliquer n’est pas provoquer.
La parole de la justice dont nous faisons l’expérience à ce procès ne suffit pas ; aucune parole ne se suffit à elle-même, surtout pas celle de la répression. Penser la violence, penser le mal, penser le crime, penser la terreur politique, penser l’islamisme radical, penser les religions, penser la foi, penser le blasphème, aucune parole n’est de trop pour le faire : la pensée appelle la pensée, c’est-à-dire le dialogue. Penser, ça veut dire demander à quelqu’un ce qu’il pense. Les professeurs font ainsi avec leurs élèves. Penser avec les autres veut dire mettre en rapport des idées, les moduler, les nuancer, les faire avancer ou les faire reculer. Ça n’a jamais lieu tout seul : il faut, pour penser, plusieurs paroles. La mise en présence des paroles pour penser, c’est l’expérience à quoi nous prenons part ici, au Tribunal de Paris, depuis plus d’un mois ; et c’est l’expérience à quoi prennent part tous les enseignants et tous les élèves chaque jour, à l’école.
Qu’on assassine un professeur parce qu’il essaie de penser avec ses élèves, qu’on le tue parce qu’il se tue à essayer d’expliquer, comme tous les enseignants, qu’on ne tue pas quelqu’un qui ne pense pas comme vous, c’est non seulement une abomination, mais c’est aussi un attentat contre l’école elle-même, contre l’idée même d’éducation, contre la pensée, contre le fait de se parler, contre le fait de demander à quelqu’un ce qu’il pense. C’est une tentative pour nier l’éducation. Car que font les professeurs, que faisait ce professeur d’histoire avant d’être mis à mort ? Il expliquait ce que signifie être libre en France. Cela s’appelle l’éducation civique, et c’est la chose la plus importante qui soit dans les écoles, celle qui s’avère la plus nécessaire : la société française est en proie à une attaque incessante contre ses valeurs, c’est pourquoi expliquer ces valeurs est devenu si urgent, c’est pourquoi penser est plus que jamais décisif. Ce professeur d’histoire était si scrupuleux qu’il a pris la précaution, avant de montrer des caricatures de Mahomet, de prévenir ses élèves que cela pouvait éventuellement les déranger. Sa pensée était si scrupuleuse qu’elle allait jusqu’à se mettre à la place des possibles offensés, et qu’elle devançait l’éventuelle offense pour expliquer que selon la loi et la raison, et aussi selon le bon sens, il n’y a pas d’offense, aucune volonté d’offenser, et aucune raison de se sentir offensé. L’intelligence comprend cela. Mais en plus de l’intelligence, qui s’apprend, notamment à l’école, il y a, en France, un droit et une liberté : celle de penser, de s’exprimer, de rire et de croire. Droit et liberté de croire en la religion qu’on aime, qu’elle soit musulmane, juive ou catholique, ou autre ; droit et liberté de ne croire en rien. Lorsque cet homme a pris soin de penser la possibilité de l’offense et a expliqué pourquoi il n’y avait pas offense, il a fait ce que font tous les enseignants : non pas imposer leur pensée, mais se mettre à la place de leurs élèves, et leur expliquer. Les enseignants, en France, vont-ils devoir arrêter d’expliquer ? Vont-ils devoir se censurer, et donc se taire ? L’école doit-elle s’arrêter ? La France n’en finit plus de découvrir que le crime est par nature obscurantiste, et que l’obscurantisme ne cherche qu’à tuer la lumière et à nier l’esprit. Nous sommes tous des enseignants : nous expliquons, nous pensons, nous parlons avec les autres. Cela s’appelle vivre et être libre.
Une phrase de Nietzsche me revient, elle dit : « Un homme offensé est un homme qui ment ». Les tueurs qui se disent offensés par les caricatures de Mahomet mentent pour justifier leur volonté de tuer ; ils mentent sur l’Islam, ils mentent sur Mahomet. Un homme qui aime sa religion, un homme qui chérit sa foi, que celle- ci soit musulmane, juive, catholique ou autre, n’est jamais offensé, surtout pas par l’humour. Un homme qui aime sa religion pense et parle avec les autres : il parle de ce qu’il aime, il parle de sa religion. Parlons de religion, pensons les religions. Continuons à enseigner, à comprendre, à expliquer, à écouter toutes les paroles.
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