REPORTAGELes militaires recensent toujours les quelque 2 000 habitants du village de Breil-sur-Roya. Il n’y a plus d’électricité, ni d’eau potable, et les connexions téléphoniques ne sont pas encore rétablies.
Dans le tumulte de l’eau boueuse, on voit seulement leurs combinaisons écarlates qui avancent avec précaution, au milieu d’un torrent qui charrie des pierres et des arbres arrachés. Cela se sent, tous ceux qui les regardent, là-haut, depuis la berge dévastée ou des fenêtres des maisons encore entières, ont peur pour eux. Le premier s’est carré aussi solidement que possible dans le lit du fleuve, eau à mi-cuisse. Le second avance, accroché à lui. Le troisième progresse à son tour, puis un quatrième, formant une chaîne humaine, fragile et rouge dans l’eau brune.
Le matin, alors que le temps était encore clément, ces jeunes sapeurs-pompiers et leurs camarades de la protection civile spécialisés dans le sauvetage aquatique ont traversé le fleuve pour aller chercher un homme qui appelait à l’aide sur l’autre berge, devant sa maison dont une moitié s’était effondrée. Deux garçons, 25 ans à peine, s’étaient placés juste en amont, pour « casser le courant ». Deux autres tenaient l’homme, l’aidant à traverser les eaux devenues folles.
Maintenant, dans un vaste hangar attenant à la gare, abrités de la pluie qui s’est remise à tomber, ils enlèvent leur barda : combinaison de Néoprène rouge, chaussures antidérapantes, cordes flottantes et ce gros gilet de sauvetage dont le dos est renforcé pour éviter le choc des centaines de débris dévalant la vallée dans les eaux grossies du fleuve. « On voit ça tous les ans, sur le pourtour méditerranéen, soupire le lieutenant Julien Ledoux, qui encadre une vingtaine de ces jeunes militaires – dont trois filles – spécialisés dans les interventions aquatiques. Mais les crues s’intensifient chaque fois un peu plus. »
Ni eau potable ni électricité
Dans cette vallée tout à fait semblable à la vallée voisine, où la crue de la Vésubie a fait quatre morts et sept disparus, c’est la Roya qui a débordé. Jusque-là, ce territoire qui remonte de Vintimille, en Italie, jusqu’au col de Tende, en France, était surtout connu pour ses groupes de migrants, qui passaient à pied, clandestinement, d’un pays à l’autre avant de remonter vers Paris et Calais. Beaucoup d’habitants de la vallée se montraient généreux à leur égard. Mais le flot de migrants s’est tari. Et ce sont maintenant les villages qui ont besoin d’aide.
Les premiers sauveteurs sont arrivés dès vendredi, vers 15 heures. Les pluies diluviennes et les vents violents avaient déjà fait monter de plusieurs mètres ce fleuve qui se jette dans la mer à Vintimille, de l’autre côté de la frontière, arrachant les branchages et dévastant les berges. Depuis, le week-end est passé, et on déblaye tout juste, dans le centre de Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes), l’énorme coulée de boue qui a renversé les voitures et roulé jusqu’au pied de la ravissante église baroque.
Les militaires recensent toujours les quelque 2 000 habitants. Les connexions téléphoniques ne sont pas rétablies et il faut dresser méthodiquement, en frappant à chaque porte, la liste des familles restées sur place afin de compter d’éventuels disparus. Les pompiers inspectent les voitures emportées dans le fleuve, avec l’inquiétude d’y trouver peut-être des noyés.
Il n’y a plus d’électricité ni d’eau potable et les habitants viennent remplir des bouteilles directement aux gros tuyaux des camions de pompiers. La SNCF a elle aussi acheminé des milliers de bouteilles d’eau arrivées par la petite voie de chemin de fer jusqu’à Breil. Dans le village, le patron du supermarché distribue gratuitement du lait et a lancé un barbecue sur lequel il fait griller pour les habitants la viande retirée de ses réfrigérateurs en panne.
Ravitaillement par hélicoptères
Sébastien Olharan, le jeune maire (Les Républicains), tout juste élu le 15 mars lors du premier tour des élections municipales, contemple avec angoisse le va-et-vient des pompiers et des engins de déblaiement de la direction des routes.
« Nous venions tout juste de remettre sur pied le camping… Maintenant, il est fichu ! La piscine municipale ? Massacrée ! Le quartier de l’Isola, le long des berges de la Roya ? Recouvert de boue ! Quatre-vingt-cinq personnes ont dû être évacuées et hébergées au poste d’urgence », se désole-t-il.
A quelques kilomètres, c’est pire encore. Une demi-douzaine de villages et de hameaux sont complètement coupés du monde. Pas de téléphone. Des routes impraticables. Une équipe de pompiers était partie à pied, vendredi, jusqu’au village de Tende pour apporter les premiers secours à ses deux mille habitants. Maintenant, ce sont les hélicoptères qui passent sans cesse dans le ciel, pour apporter des vivres à ces îlots isolés et évacuer les habitants les plus fragiles. Dimanche, un berger qui avait disparu vers le col de Tende a été retrouvé des kilomètres plus bas dans le fleuve par les secouristes italiens.
Il va falloir profiter du soleil des prochains jours pour tenter de rendre praticables quelques routes. Le retour de la pluie est annoncé pour la fin de la semaine.
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