Vendée Globe. Pourquoi les vagues sont-elles si dangereuses et extrêmes dans les mers du Sud ?
C’est dans l’océan austral, au sud de l’Océan Indien, une contrée encore largement méconnue, même pour les skippers du Vendée Globe, que les vagues présentent les caractéristiques les plus extrêmes. Explications de Yann Amice, le directeur scientifique de SportRizer, et Simon Weppe, ingénieur océanographe au MetService New Zealand.
À leur origine, les vagues sont générées par la force de friction du vent qui souffle à la surface des océans. Trois paramètres gouvernent l’efficacité du vent à créer ces vagues : la force du vent, la distance sur laquelle il souffle (le « fetch »), et la durée pendant laquelle le vent souffle.
Dans ce contexte, l’Océan Austral est le candidat parfait pour observer des vagues extrêmes : des vents d’ouest forts et soutenus sur de longues périodes, alimentés par la succession de profondes dépressions qui circulent entre les Quarantièmes Rugissants et les Cinquantièmes Hurlants.
Une différence de pression maximale
Ces dépressions, comme peuvent l’observer les concurrents du Vendée Globe, circulent d’Ouest en Est, en incurvant plus ou moins rapidement leurs trajectoires vers le sud-est, en direction de l’Antarctique. Cette zone circumpolaire reste le siège permanent des dépressions tandis que plus au sud, l’anticyclone thermique siège en permanence sur la calotte polaire. Le refroidissement de l’air entretient les hautes pressions sur le continent antarctique et l’anticyclone épouse naturellement le trait de côte du continent.
C’est au niveau de l’océan Indien que la zone de basses pressions est aussi la plus basse en latitude, et cela n’affecte pas la position de l’anticyclone des Mascareignes qui reste à la même latitude que ses congénères dans l’Atlantique ou encore le Pacifique. Cette disposition des principaux centres isobariques au niveau de l’océan Indien entretient une différence de pression maximale entre les parallèles 40° Sud et 60° Sud, soit des vents moyens d’ouest maximaux.
À la différence des autres océans, le fetch en océan Austral en limite sud de l’océan Indien est potentiellement « infini », il n’est limité par aucune terre ou continent.
Ces conditions permettent d’obtenir des hauteurs de vagues et périodes (intervalle entre deux crêtes) extrêmes qui pourront ensuite se propager dans les autres océans, par exemple poursuivre leurs courses à travers l’océan Pacifique.
Au-delà de la seule « hauteur » de vague extrême, la succession des systèmes dépressionnaires et la rapidité avec laquelle ils se déplacent peuvent conduire à une combinaison de plusieurs trains de houles de directions et de hauteurs différentes. À cela il faut ajouter la mer du vent, celle qui est générée localement par le vent. La dépression à 968 hPa, qui a cueilli les leaders du Vendée Globe, a généré des vents de plus de 40 nœuds. De tels vents soulèvent des vagues de 4 mètres en moins en 6 heures (Abaque de Brettschneider).
L’océan Austral est également un des rares endroits au monde où les houles générées peuvent se propager plus rapidement que les vents locaux qui sont pourtant forts.
Vitesse de propagation de la houle = 1.56 x Période
Par exemple : pour une houle de 18 secondes de période la vitesse de déplacement est de 28m/s ou de 55 nœuds environ.
Ces conditions de mer croisée extrêmes peuvent évidemment ralentir les routes et vont créer des contraintes/efforts importants sur le couple bateaux / marins. Elles sont encore difficiles à anticiper et modéliser.
La carte suivante décrit la hauteur caractéristique des vagues et ne reflète pas l’empilement qui peut se produire parfois sur un point quand plusieurs systèmes de vagues cohabitent sur une même zone.
En se focalisant sur un point de grille, le spectre de houle associé entretient des énergies sur plus de 150°. L’exemple suivant d’un spectre directionnel d’un état de mer de l’océan Austral, avec plusieurs houles et mers du vent combinées permet d’appréhender plus justement la complexité du sud de l’océan Indien.
L’intensité de couleur indique l’énergie des vagues en fonction de leur direction (position autour du cercle) et fréquence (distance depuis le centre du cercle).
Il reste énormément à apprendre de cet océan Austral, à la fois sur la génération et propagation des vagues dans ces conditions uniques, mais également son rôle dans notre système climatique en tant que capteur/puits de carbone et chaleur. Un des freins aux avancées scientifiques dans ce domaine reste le manque d’observations in situ dans ces zones hostiles et isolées. Des projets de systèmes d’observations plus complets sont en cours, via des réseaux de bouées fixes et dérivantes. Dans ce cadre, les bateaux équipés de capteurs océanographiques comme ceux de Fabrice Amedeo (Newrest-Art et Fenêtres), Boris Herman (Seaexplorer – Yacht Club de Monaco) ou encore Alexia Barrier (TSE-4myplanet) vont collecter des données précieuses durant leur périple sur ces mers du Sud.
Autant d’éléments pour contribuer à enrichir les futurs travaux des cabinets d’architectes. À ce stade, la prise en compte de ces états de mer complexe reste très délicate et parcellaire. Elle participe à la définition de la solidité de la structure de façon globale, mais elle s’appuie aussi sur la sensibilité du marin qui va piloter. C’est un ensemble de compromis qui préside à la performance et à la définition d’un projet. Se projeter sur un Vendée Globe avec un bateau apte à s’affranchir de toutes les conditions reste aujourd’hui une alchimie très complexe.
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