samedi 23 octobre 2021

 Billet

Tir mortel impliquant Alec Baldwin : Hollywood rattrapé par sa fiction

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Jeudi, l’acteur Alec Baldwin a tué la directrice photo et blessé le réalisateur de «Rust» avec une arme censée être chargée à blanc. Un drame qui prolonge la lignée des accidents engendrés par l’industrie, malgré les garde-fous.
par Sandra Onana

Jeudi, sur le tournage du western américain Rust, au Nouveau-Mexique, une arme à feu présumée chargée à blanc tue la directrice de la photographie, Halyna Hutchins, et blesse grièvement le cinéaste Joel Souza. L’accessoire n’en était finalement pas un : l’enquête, en cours, révèle qu’il renfermait une munition réelle selon la revue américaine IndieWire. Le syndicat qui rassemble notamment les accessoiristes de Hollywood, Local 44, a déclaré qu’aucun de ses membres n’était impliqué, la production ayant employé un staff local au Nouveau-Mexique. Que l’arme ait été actionnée par un acteur à forte notoriété, l’Américain Alec Baldwin, rend le drame étrangement plus déconcertant. Le film en question relate justement l’histoire d’une mort accidentelle : Rust suit la cavale d’un adolescent, condamné à la pendaison après avoir accidentellement tué un propriétaire de ranch.

Tuer et mourir pour de faux, s’effondrer et se relever : cette chorégraphie du cinéma a fusionné avec l’idée qu’on se fait de la fiction, au point de croire l’illusion immunisée contre tous les aléas. On en oublierait qu’un tournage n’est fait que d’aléas, que son principe consiste à composer avec une somme d’accidents et de contingences à l’intérieur desquels faire surgir un film. Surtout, le cinéma génère ses propres désastres, actionne de l’accident en rafales – carambolages, chutes, noyades, incendies, éboulements. En quelques heures, Rust a rejoint la liste des films historiquement associés au récit d’un tournage létal, enveloppés d’un supplément de fiction et de légende funèbre. La nouvelle tend un miroir à l’incident survenu sur le tournage de The Crow en 1993, où un coup de feu mortel tuait Brandon Lee, fils de Bruce Lee, à 28 ans. La sœur de l’acteur décédé a d’ailleurs tweeté en réaction à la tragédie de Rust : «Nos pensées vont à la famille de Halyna Hutchins et de Joel Souza et de tous ceux liés à l’accident de Rust. Personne ne devrait jamais être tué par arme à feu sur un plateau de tournage.»

Contrôler le réel

On meurt, donc, en tournant des films – ça n’a rien d’un scoop et pourtant, on tend à l’oublier. Si l’incident survenu sur le plateau de Rust laisse sonné, c’est sans doute qu’on croyait ce genre de catastrophes réservées à une époque révolue, plus faillible, dominée par le low-cost, moins experte que la nôtre dans l’art de négocier avec la catastrophe et de contrôler le réel à coups de protocoles très stricts. A tort, comme le prouvent les secrets plus ou moins gardés des morts qui continuent de jalonner les tournages de superproductions – encore en 2017, avec le tournage de Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve et la pré-production de Silence de Scorsese, deux films respectivement marqués par le décès d’un ouvrier après l’effondrement d’un élément de décor.

En engendrant des pertes humaines, certains films ont entraîné une rupture dans la législation des tournages et l’encadrement des risques. Encore de nos jours, peu de scènes d’hélicoptère doivent se tourner à Hollywood sans une pensée pour le procès en négligence intenté au cinéaste John Landis en 1982. Lors du tournage de The Twilight Zone, coproduit avec Spielberg, explosions sporadiques et perte de contrôle de l’hélico avaient entraîné la mort tragique de l’acteur Vic Morrow et de deux enfants de 7 ans, décapités par l’hélice de l’appareil. Acquitté au bout de neuf mois, Landis n’en est pas moins entré dans l’histoire comme le premier cinéaste à avoir fait l’objet de poursuites judiciaires pour homicide involontaire sur un tournage (en sus d’une violation des droits du travail sur mineurs), dans le sillage duquel les accidents de plateaux ont chuté de près de 70 % entre 1982 et 1986.

Pyrotechnies

Pour Rust, il aura suffi de la défaillance du flingue censé faire «pan», gadget le plus fétichisé du cinéma, gloire du western et talisman du cinéma d’action. Surtout, dysfonctionnement de l’arme que l’on croyait chargée à blanc, «effet spécial» primitif, ruse qu’on s’imagine presque trop rudimentaire pour faire défaut. Rien de comparable aux pyrotechnies de plateau et appareillages sophistiqués autour desquels l’industrie a forgé son savoir-faire à haute valeur ajoutée, avec le concours d’une foultitude de petites mains et gros cerveaux rompus à la gestion du risque (ingénieurs, régisseurs, conseillers techniques, coordinateurs de cascades…)

Une tragédie comme celle survenue en 1924 sur le tournage de The Warrens of Virginia, où la jeune actrice de 24 ans Martha Mansfield finissait brûlée vive à cause d’une allumette mal éteinte, ne semblerait pas réplicable aujourd’hui. Pas plus que l’exploitation promotionnelle d’un accident aussi sanglant que celui survenu en 1969 sur le tournage de Shark de Samuel Fuller : une photo sur le vif de l’attaque du cascadeur José Marco, dévoré sous l’œil de la caméra par un requin auquel on aurait oublié d’administrer un sédatif, finissait alors en Une du magazine Life. Régulièrement, les blockbusters se révèlent le théâtre d’accidents mortels pour les cascadeurs : décès du responsable des effets spéciaux Conway Wickliffe sur The Dark Knight de Christopher Nolan en 2007 après un crash de Batmobile ; accident de parapente de la doublure de Vin Diesel Harry L. O’Connor dans XXX en 2002 (scène intégrée au film en guise d’hommage) ; pilote-cascadeur disparu dans le Pacifique et jamais retrouvé sur le tournage de Top Gun en 1985… Plus inconcevable semble le drame de Rust, les professions des victimes n’étant pas considérées comme des métiers à risques.

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