LA MILITARISATION DE L'ESPACE
La Russie a procédé lundi à un tir de missile antisatellite pour détruire l’un de ses propres satellites obsolètes. Ce test a généré plus de 1 500 débris spatiaux, selon le secrétaire d’État des États-Unis, l’équivalent du ministre des Affaires étrangères, Anthony Blinken, qui a condamné un test « dangereux ». La militarisation de l’espace a commencé dès le début de la conquête spatiale, pendant la guerre froide, et demeure une source de tensions entre États.
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Dans les années 1950, dans le contexte naissant de la guerre froide, l’espace devient pour les États-Unis et l’URSS un domaine stratégique. L’URSS est le premier pays à placer un satellite artificiel en orbite, appelé Spoutnik-1, à l’aide d’une fusée, en 1957. Les débuts de la conquête spatiale s’accompagnent d’une militarisation de l’espace, c’est-à-dire de l’emploi de moyens spatiaux à des fins militaires. À partir de 1959, les États-Unis lancent un programme de satellites de reconnaissance, également appelés « satellites espions », qui permettent de collecter des renseignements à l’aide de photographies et d’effectuer une surveillance de l’URSS. Cette dernière dispose elle aussi de satellites de reconnaissance dès le début des années 1960. Dans les décennies suivantes, d’autres pays vont développer leurs propres satellites de reconnaissance, dont la France en 1995. Aujourd’hui, les satellites utilisés à des fins militaires recouvrent plusieurs usages, dont la communication et la géolocalisation. |
En 1967, les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni concluent le « traité de l’espace » qui établit un cadre pour les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique (environ 100 km au-dessus de la Terre), dont les objets célestes comme la Lune. Le texte affirme que l’espace peut être utilisé librement par tous les États. Il prévoit une démilitarisation partielle de l’espace, les signataires s’engageant à n’y placer « aucun objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive ». Il proscrit toute militarisation des corps célestes, comme l’installation de bases et l’exécution de manœuvres, précisant que les signataires « utiliseront la Lune et les autres corps célestes exclusivement à des fins pacifiques ». Le traité souffre de lacunes et n’interdit pas par exemple le transit de missiles nucléaires. Il « est né avant tout du besoin de déterminer le statut juridique des corps célestes avant que l’homme ne prenne pied sur la Lune », ce qui sera le cas en 1969, note Simone Courteix, chargée de recherche au CNRS, un organisme public de recherche, dans une revue spécialisée en 1971.
● 1983 | Le président américain Ronald Reagan annonce lors d’une allocution télévisée en mars 1983 le lancement d’un colossal programme de recherche afin de mettre en place un système de défense contre les missiles balistiques de l’URSS. Il s’agit d’« intercepter et détruire des missiles balistiques stratégiques avant qu’ils n’atteignent notre sol », c’est-à-dire durant leur phase de vol, explique Ronald Reagan. Un missile balistique se caractérise par sa trajectoire qui, après la phase de propulsion, quitte l’atmosphère pour entrer dans l’espace [voir la vidéo]. Le projet de Ronald Reagan, appelé Initiative de défense stratégique (IDS), est surnommé « Star Wars » (la guerre des étoiles) par la presse américaine, en référence à la célèbre saga cinématographique. Il sera officiellement abandonné par le secrétaire américain à la Défense en 1993, deux ans après la dislocation de l’URSS. Si elle n’a pas abouti, l’IDS a amené l’URSS à négocier avec les États-Unis un important traité sur la destruction d’une partie de leurs missiles balistiques conclu en 1987. | | ● 2007 En 2007, la Chine détruit un satellite météorologique obsolète lui appartenant, lors d’un tir d’essai d’un missile antisatellite. Elle devient le troisième pays, après les États-Unis et l’URSS, à abattre un objet dans l’espace. Ce tir, condamné par plusieurs gouvernements, suscite « des inquiétudes », rapporte alors le porte-parole de la Maison-Blanche. « Du point de vue des États-Unis, la capacité de la Chine à détruire des satellites signifie qu’elle peut cibler une faiblesse militaire américaine : la dépendance aux satellites pour la collecte de renseignements et les opérations d’armement de haute précision », relève le centre de réflexion américain Council on Foreign Relations dans un article. Alors que le dernier tir de missile antisatellite connu effectué par les États-Unis remontait à 1985, le pays procède à un nouveau test en 2008. L’Inde deviendra le quatrième pays à tester avec succès un missile antisatellite en mars 2019, le Premier ministre, Narendra Modi, revendiquant alors le statut de « puissance spatiale mondiale ». | | ● 2021 | La France mène en mars 2021 son premier exercice militaire spatial, au Centre spatial de Toulouse, avec la collaboration de plusieurs pays alliés, dont l’Allemagne et les États-Unis. Cet entraînement, qui prend la forme d’une simulation sur ordinateur, vise à tester les capacités de l’armée à protéger les satellites français « en cas d’attaque, d’entrée dans l’atmosphère de débris dangereuse ou encore lors de la détection d’un satellite espion », selon le Cnes, l’agence spatiale française. Le scénario de cette simulation de crise spatiale internationale consiste à déjouer l’attaque d’un satellite par un satellite ennemi. « Aujourd’hui, nos alliés et nos adversaires militarisent l’espace » et « nous devons être prêts », avait déclaré en juillet 2019 la ministre des Armées, Florence Parly, en présentant la nouvelle stratégie spatiale de défense de la France. Cette stratégie a conduit à la création en septembre 2019 d’un Commandement de l’espace, chargé de la mise en œuvre de la politique spatiale militaire, au sein de l’Armée de l’air, devenue ensuite l’Armée de l’air et de l’espace.
L’ANALYSE | Dans un article publié en 2013 dans une revue spécialisée, Marie-Madeleine de Maack, chargée d’études au Centre d’études stratégiques aérospatiales, rattaché à l’armée de l’Air, estime que la militarisation de l’espace « accroît l’insécurité spatiale » en contribuant à la prolifération des débris. Au 9 novembre, l’Agence spatiale européenne recensait plus d’un million de débris spatiaux en orbite d’une taille supérieure à un centimètre. Dans un rapport publié en octobre 2020, elle précisait que la plupart de ces débris ont été générés par la fragmentation d’engins spatiaux due à une explosion interne. Mais elle estimait que « les collisions entre les débris et les satellites en opération vont devenir la principale source de débris spatiaux » dans une réaction en chaîne. Ce risque concerne les satellites militaires, mais aussi civils, comme ceux destinés à l’observation météorologique et aux télécommunications. « Le nombre d’objets en orbite rendra difficile toute opération en toute sécurité dans l’espace », a estimé l’Agence spatiale européenne dans un rapport publié en mai |
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