Anton Tchekhov puis Lenine
À quelques pas du lieu de culte, l’imposant collège-lycée du parc impérial doit son nom à l’ancien palace qui accueillait la famille du tsar en villégiature, au début du XXe siècle. Jusque dans les années 1960, les émigrés venus de l’Est choisissaient souvent d’habiter autour des coupoles de Saint-Nicolas, même si les plus fortunés préféraient les villas de Cimiez ou du mont Boron, avec vue sur la baie des Anges. Le quartier du parc impérial, incluant la cathédrale, avait gagné un surnom, un brin exagéré : « La petite Russie ».
Les liens qui unissent la Russie et la Côte d’Azur sont anciens et profonds. A Nice, la relation entre la diaspora et la mère patrie est toutefois complexe. Le combat qu’a mené Vladimir Poutine à partir de 2007 pour récupérer la propriété de la cathédrale Saint-Nicolas, de l’église et du cimetière orthodoxes divise localement.
La grille est entrouverte, mais pas question de laisser entrer n’importe qui. Une poignée de cerbères, épaules carrées et cheveux ras, talkie-walkie à la main pour certains, montent la garde. De temps à autre, après des mots échangés vitre baissée, quelques voitures entrent au compte-gouttes. Une Bentley grise immatriculée en Russie, deux berlines moldaves, une Porsche Cayenne française et même un intrigant van noir aux vitres teintées et à la plaque ukrainienne. Des piétons arrivent aussi. Les femmes qui pénètrent dans l’enceinte portent un voile sur les cheveux. De l’avenue Nicolas-II et du boulevard Tzarewitch, situés à quelques pas de la gare de Nice, on aperçoit, à travers les barreaux de la clôture, un joli jardin, quelques palmiers et, en levant encore la tête, les cinq bulbes vert émeraude de la cathédrale Saint-Nicolas.
Le principal édifice orthodoxe russe à Nice, petit bijou architectural inauguré en 1912, est l’un des monuments les plus visités de la ville. Près de 200 000 touristes et fidèles s’y rendent chaque année. L’entrée est gratuite. Mais, en ce 13 mars, premier dimanche du carême, dit du « triomphe de l’orthodoxie », le lieu a des airs de Fort Knox. Cinq jeunes étudiantes texanes, en visite pour le week-end, sont refoulées.
Les vigiles sont chapeautés par un homme d’une trentaine d’années, moins charpenté qu’eux, cheveux noirs en arrière. Il tient un détecteur de métaux. Et confirme, la mine contrite mais avec fermeté, qu’il ne peut pas y avoir de passe-droit pour les cartes de presse. « Ici, on est en territoire russe », explique-t-il. Avant d’ajouter, quelques instants plus tard : « C’est une propriété privée russe. Et l’église a été formelle, impossible de recevoir des journalistes. Pour des questions de sécurité. Quand l’ambassade de Russie donne des consignes, impossible de les contourner. » Pas de journalistes, pas de touristes.
Lettre de menace
Depuis plusieurs jours, l’éventualité d’une manifestation antirusse – ou pro-ukrainienne, question de point de vue – glace l’atmosphère. Un temps autorisé, le rassemblement, prévu devant la cathédrale et à l’heure de la messe, a été annulé par la préfecture, la veille. Le 11 mars, l’archiprêtre Andrey Eliseev, recteur de la cathédrale, avait reçu une lettre, aussi brève que menaçante. « Vous êtes les amis de Mr Putin. Allez en Russe [sic] bientôt autrement vous et vos amis seront assassinés. Vous avez un mois. » Signée : « Un ami. »
Ce jour de prière, une voiture de police patrouille donc devant la grille, au cas où. Sur un lampadaire en face de l’édifice, un minuscule autocollant blanc a été collé, on ne peut savoir quand. On y lit quatre slogans : « #stopwar #standwithukraine #stopputin #slavaukraini (Gloire à l’Ukraine !) » Mais aucun signe de protestation aux abords de la cathédrale. Seul le bruit des cloches vient rompre le silence dominical.
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