vendredi 15 avril 2022

ÉGYPTE ANTIQUE

 

Des découvertes à foison

Et cette émotion se transmet toujours au public, fasciné par une période aussi riche que mystérieuse. Qu’on en juge par les nombreuses manifestations qu’on ne cesse de lui proposer. Dans les semaines à venir, une flopée d’expositions consacrées aux pharaons devraient ouvrir leurs portes à la BNF et au Louvre à Paris, au Mucem à Marseille, au musée des Beaux-arts de Lyon, au musée Champollion de Figeac. En attendant la grande exposition Ramsès prévue à la Villette, à Paris, en 2023. Et la curiosité des visiteurs se révèle d’autant plus forte que, sur le terrain, les égyptologues d’aujourd’hui, en dignes successeurs de leurs aînés, continuent d’enchaîner les découvertes. Laurent Coulon, directeur de l’Institut français d’archéologie orientale (Ifao) en fait la liste. Récemment, des missions égyptiennes et, depuis 2020, une équipe du Louvre, avec l’Ifao, ont respectivement mis au jour de nouvelles tombes et une cinquantaine de sarcophages à Saqqarah. Reprenant les fouilles menées jadis par Auguste Mariette au Sérapéum, elles ont désengagé les galeries ensablées. L’année dernière, une ville ensevelie avec son réseau de murs a été découverte sur la rive ouest du Nil, près de Louxor. Elle datait de l’époque d’Amenhotep III (v. 1353 av. J.-C.). Sur le site de Ouadi Sannour, entre la vallée du Nil et la mer Rouge, les investigations de terrain réalisées depuis 2014 par une mission de l’Ifao ont permis de comprendre l’exploitation des gigantesques gisements de silex taillé. D’autres missions examinent les carrières d’albâtre à Hatnoub ou le port intermittent de Ouadi el-Jarf. Situé sur la côte du golfe de Suez, il permettait au royaume égyptien de conduire des expéditions navales, tous les cinq ou dix ans, pour rapporter des matériaux comme le cuivre. Les fouilles y ont révélé un système de « galeries-magasins » comportant des céramiques, des outils ou fragments d’embarcation, des encres et un ensemble de papyrus sur lesquels figurent comptabilité et journaux de bord. À Deir el-Médina, nécropole des tombes royales (du XVIe au XIe siècle avant notre ère), la stupéfiante découverte d’une momie de femme recouverte de plus de trente tatouages représentant des vaches sacrées ou des serpents a fourni de précieuses informations sur la place des femmes dans la vie religieuse. Grâce à un système de ventilation mis au point en 2019, les vingt-deux salles sur quatre niveaux de la gigantesque tombe du prêtre érudit Padiamenopé (VIIe siècle av. J.-C.), non loin du site de Deir el-Bahari (sur la rive gauche du Nil), sont toujours explorées — l’analyse portant déjà sur un considérable matériel épigraphique. Autant de missions qui enrichissent la connaissance de l’Égypte sur les plans politique, chronologique, économique et religieux.

Le colosse de Taharqa, découvert en 2003 à Kerma (Soudan actuel).

Le colosse de Taharqa, découvert en 2003 à Kerma (Soudan actuel).

Yves GELLIE / Gamma-Rapho via Getty Images

La nouvelle exposition du musée du Louvre s’y attache, en relatant l’épopée du royaume de Kouch, au sud du pays — qu’elle s’apprête à déployer à travers des pièces merveilleuses, qu’il s’agisse de stèles ou de statuettes. Entre le VIIIe et le IVe siècle avant J.-C., le royaume de Napata, situé dans ce qui est aujourd’hui le nord du Soudan, avait conquis l’Égypte, inaugurant ainsi la dynastie des pharaons kouchites, ces pharaons noirs que le régime égyptien contemporain a toujours préféré maintenir dans l’ombre… Ce Sud mystérieux, riche en or et en soldats pour les Égyptiens, que les premiers explorateurs du XIXe siècle, franchissant les cataractes (rapides) du Nil malgré les considérables difficultés logistiques, tentaient d’explorer, les historiens et géographes grecs Hérodote (480-425 av. J.-C.) et Strabon (63 av. J.-C.- 23 apr. J.-C.) l’évoquaient déjà. La technique des relevés de surface, semblable à un radar à pénétration de sol (géoradar), a permis de dessiner le plan de la première ville kouchite de Kawa. Envahissant à leur tour l’Égypte cinq cents ans après que les pharaons ont quitté leur territoire, encore imprégnés de la religion et de l’idéologie de ces derniers, les rois de Kouch sauront intégrer les apports de leurs anciens conquérants et respecter scrupuleusement leurs traditions. « Les Kouchites écrivaient en hiéroglyphes pharaoniques, la langue de cour du royaume », dit Vincent Rondot, directeur du département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre et commissaire de l’exposition « Pharaon des Deux Terres ». De quoi permettre aux chercheurs de disposer d’une énorme documentation historique complétant les manuscrits, toujours en cours de déchiffrement.

La cité antique de Méroé, capitale du royaume de Kouch (Soudan actuel), avec sa nécropole royale, découverte en 1822.

La cité antique de Méroé, capitale du royaume de Kouch (Soudan actuel), avec sa nécropole royale, découverte en 1822.

Sonder les pyramides

L’évolution des techniques a considérablement fait avancer les recherches. Si les ingénieurs de l’expédition de Bonaparte s’échinaient à calculer la hauteur de la pyramide de Gizeh avec un fil à plomb et des formules trigonométriques, aujourd’hui thermographie infrarouge et muographie permettent de sonder la structure des pyramides. Certes, les résultats ne sont pas encore probants, mais ils entretiennent les rêves les plus fous sur la découverte d’éventuelles chambres encore secrètes. La photogrammétrie, quant à elle, assure la précision des relevés en 3D avec traitements par logiciels. Sans parler de la télédétection par photos satellite, de l’archéométrie pour l’étude des propriétés physiques ou chimiques des matériaux, qui permettent la datation des objets… Enfin, la numérisation des corpus d’inscriptions en favorise l’exploitation. « Les techniques dont on dispose aujourd’hui et la numérisation nous permettent effectivement d’aller plus finement ou plus vite. Reste que les processus intellectuels demeurent les mêmes et il faut garder la tête froide : les facilités de documentation ne sont pas synonymes de compréhension immédiate des phénomènes. »

Qui sont-ils, ces scientifiques de toutes nationalités qui défient aujourd’hui les siècles et le sable ? « Il existe entre tous les égyptologues une véritable confraternité », affirmait le baron Textor de Ravisi, orientaliste français, en 1875. Optimisme un peu hardi car les relations ne furent pas toujours confraternelles… Les rivalités persistent-elles entre la trentaine de pays qui mènent plus de deux cents missions en Égypte — la France en supervisant une quarantaine ? « Ça existe encore gentiment, selon Vincent Rondot. Mais l’objectif étant de percevoir comment les hommes comprenaient ou pensaient aux différentes époques, chaque point de vue est intéressant et nécessaire. Selon les pays, les rapports à l’histoire comme les capacités de recherche ne sont pas les mêmes. Il faut donc différentes contributions. » Sur les principaux sites du Soudan, outre la France, se sont ainsi succédé des équipes internationales, américaine et italienne, pour des recherches amenées à durer plusieurs décennies encore. Car le temps est un facteur incontournable ; chaque mission française est par exemple étalée sur plusieurs années, à raison de deux mois par an, du fait des obligations d’enseignement pour les universitaires ou de gestion de collections pour les conservateurs de musées. Et leur financement, qui a causé tant de soucis à tous les égyptologues du XIXe siècle, reste une préoccupation constante. Aujourd’hui, à part le Louvre qui finance ses propres fouilles (il en a trois dans la vallée du Nil), le bailleur de fonds institutionnel est la Commission des fouilles du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Elle dispose d’une enveloppe (qui peut s’accompagner de financements privés) à répartir chaque année entre les différents organismes de recherche ou d’enseignement qui en font la demande.

Le temple d’Amon, à Naga, royaume de Méroé (Soudan actuel).

Le temple d’Amon, à Naga, royaume de Méroé (Soudan actuel).

Juliette Agnel

Que reste-t-il à découvrir ? Faut-il se consoler de ce qui manque avec ce qui reste, comme l’estimait un orientaliste du XIXe siècle ? Les égyptologues se résignent rarement. Des tombes n’ont pas été identifiées, d’autres pourraient sommeiller sous les hypogées, ces tombes ou constructions souterraines découvertes au XIXe siècle. Le matériel des ouvriers qui creusaient les sépultures livre de nombreuses informations. Tels ces ostraca, les éclats de poterie sur lesquels ils écrivaient. Que dire encore des trésors qui sommeillent probablement au fond du Nil, comme l’a suggéré Guillemette Andreu-Lanoë, ancienne directrice du département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre, aujourd’hui commissaire de l’exposition « L’Aventure Champollion » à la BNF ? « Oui, mais le sens à donner au mot “découvrir” ne va pas de soi, corrige Vincent Rondot. Imaginons que l’on découvre une tombe inviolée du format de celle de Toutânkhamon et qu’elle soit celle d’une reine. Le retentissement serait probablement énorme mais, pour autant, l’apport historique de cette découverte pourrait être faible parce que nos connaissances sont déjà nombreuses sur ce sujet. Et puis on peut aussi découvrir “en cabinet”, sans aller sur le terrain : tout à coup vous tombez sur un détail formidable dans un papyrus. Comme un passage perdu d’un texte d’Aristote dans un papyrus grec d’Égypte. De nombreuses pièces de théâtre classique ont été ainsi révélées grâce aux papyrus égyptiens. » Le hasard peut encore jouer, comme pour cet officier du génie de l’armée de Bonaparte qui, lors de travaux de réfection, tomba sur un bloc d’un mètre de haut : la pierre de Rosette. Y était inscrit un décret religieux en trois langues : hiéroglyphes, démotique et grec, ce qui permit à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes, en 1822, comme l’explique la merveilleuse exposition de la BNF qui reconstitue l’aventure intellectuelle de ce chercheur et érudit infatigable.


À voir
« L’aventure Champollion. Dans le secret des hiéroglyphes », BNF, site François-Mitterrand, Paris 6e, du 12 avril au 24 juillet.
« Pharaon des Deux Terres. L’épopée africaine des rois de Napata », musée du Louvre, Paris 1er, du 28 avril au 25 juillet.

À lire
La Grande Aventurede l’égyptologie, Robert Solé, éd. Perrin, 384 p., 24 €.

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