"Les neuf millions de pauvres que compte notre pays seront ravis d’apprendre qu’ils vivaient jusqu'ici dans l’abondance. "
Abondance et insouciance : la perspective Jet-ski
« Nous vivons la fin de ce qui pouvait apparaître comme une abondance (…) et la fin, pour qui en avait, d’une certaine forme d’insouciance ». Emmanuel Macron, déclaration en préambule du Conseil des ministres du 24 août 2022.
Revigoré par les ronds dans l’eau effectués au large du fort de Brégançon, le président de la République a ouvert le Conseil des ministres de rentrée par des propos empreints d'une inhabituelle gravité. Peut-être parce qu’il n’a rien de positif à annoncer pour la quasi-totalité de la population, il a choisi un registre « churchillien » : « Notre régime de liberté a un coût, qui peut exiger des sacrifices ». Ce n’est pas encore le sang, la sueur et les larmes mais préparez-vous, nous donne-t-il à entendre.
Pourtant, le sang, la sueur et les larmes, c’était déjà le quotidien de beaucoup de gens sous le premier quinquennat Macron : les manifestants gazés, matraqués, mutilés et éborgnés, les réfugiés pourchassés jour et nuit à Calais ou à la frontière italienne, celles et ceux qui sont morts sous les coups, les tirs de grenades ou les charges de la police (Cédric Chouviat, Zineb Redouane, Steve Maïa Caniço et tant d’autres), tous ont éprouvé dans leur chair que ce n'est pas « notre régime de liberté [qui] a un coût », c'est plutôt la liberté qui a un coût sous le régime de M. Macron.
Mais il y a plus : selon le chef de l’État, « ce qu'on est en train de vivre est de l'ordre d'une grande bascule ou d'un grand bouleversement ». Et le voilà parti à gloser sur la fin de l’abondance et de l’insouciance. Les neuf millions de pauvres que compte notre pays seront ravis d’apprendre qu’ils vivaient jusqu'ici dans l’abondance. Il en va de même pour les chômeurs dont Mme Borne, alors ministre du Travail, a durci les conditions d’obtention et le montant des allocations. Cette abondance avait aussi échappé aux milliers d’étudiants qui font la queue dans les soupes populaires et il faut sans doute attribuer cela à l’insouciance de la jeunesse. C’est assurément encore l’insouciance qui conduit les demandeurs d’emploi à ne pas traverser la rue pour trouver un boulot.
Mais le temps de l’insouciance, c’était aussi celui où Mimi Marchand faisait des photos du président sur son jet-ski entre deux conférences pour sauver le monde. Désormais, il en est réduit à se faire photographier en train de faire du canoë et à devoir se cacher quand il enfourche son scooter marin. Un tout petit souci en vérité. Le temps de l’abondance, c’est encore celui où les oligarques prennent leur jet privé pour faire un saut de puce entre deux réunions. Certes, des aigris les traquent sur Twitter, des écolos pisse-froid voudraient les interdire et ce pauvre Clément Beaune se voit contraint de promettre de les « réguler » par des « incitations », et surtout pas par des « interdictions ». Tout ne va donc pas si mal. Le temps de l’abondance, c’est toujours celui où les amis de M. Macron, les patrons du CAC40, s’accordent de généreuses augmentations et distribuent montants record de dividendes à leurs actionnaires. Que la fête continue !
Vue du jet-ski élyséen et pour les premiers de cordée, la fin du temps de l’abondance et de l’insouciance est remise à plus tard. Pour les gueux, c’est maintenant.
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