Les disparus (5/6)
Le fleuve Zaïre a-t-il englouti l’animateur télé Philippe de Dieuleveult en 1985 ?
Un enfer d’eau. Le 6 août 1985, Philippe de Dieuleveult, célèbre animateur de l’émission la Chasse aux trésors, l’ancêtre de Fort Boyard, disparaît sur le fleuve Zaïre, à 400 kilomètres de Kinshasa, en compagnie de six coéquipiers. Noyade, accident, mauvaise rencontre, assassinat… «Cette histoire a rendu presque fous ceux qui ont tenté de partir à sa rescousse. Pour certains, c’est devenu la quête de leur vie», explique à Libération le réalisateur Yannick Saillet, auteur du documentaire Dieuleveult, les disparus du fleuve (2023) récemment diffusé (1).
A l’époque, pour le président du Zaïre Mobutu Sese Seko, l’expédition de Dieuleveult constitue un «bon coup» pour la promotion touristique de son pays. Le fameux navigateur Gérard d’Aboville a lui-même conçu les rafts de 11 mètres de long utilisés par les aventuriers. Entre Brazzaville et Kinshasa, les rapides sont de taille mais les bateaux résistent bien. Le 5 août, ils se rapprochent des dangereux barrages d’Inga. Gros remous, 40 000 m³ par seconde de débit mais aussi zone stratégique à la frontière avec l’Angola. «L’île aux hippopotames» se profile. Philippe dérape sur un rocher. On le rattrape. «On entre dans un truc très difficile. Mais Dieuleveult dit alors : «On y va.» Il était obligé, à cause de son image, de ne pas baisser les bras», confie un participant cité dans le documentaire. Après, silence radio. Les deux canoës de tête et leurs sept passagers ne donneront plus signe de vie. Seul un corps sera retrouvé en aval. Les autres ne réapparaîtront jamais.
«Sept Blancs sur des bateaux qui ressemblent à des bateaux militaires»
Yannick Saillet poursuit : «Entre vingt-quatre et quarante-huit heures après la disparition effective, un pilote d’avion donne l’alerte. Les secours décident de survoler la zone, mais ils ne voient rien.» Un accident ? «Moi, j’appuie la thèse que l’animateur et ses six coéquipiers ont passé le barrage et les rapides. Et qu’ensuite, ils ont été pris pour des mercenaires.» On sait qu’au moins un bateau aurait accosté sur la rive, avec des hommes et des sacs jaunes, a raconté un témoin, avant de se rétracter partiellement. Ont-ils été ensuite abattus ? Pour quel mobile ? Pas de réponse. La thèse officielle reste la noyade.
«Je ne pense pas qu’ils se soient noyés, poursuit le réalisateur. C’était sept blancs sur des bateaux qui ressemblent à des bateaux militaires. Une expédition sportive, en 1985 ? Je suis un militaire zaïrois, pour moi, c’est un danger mobile !» Une théorie confirmée après coup par des rumeurs sur l’appartenance de Dieuleveult à la DGSE. Etait-ce une émission ? Une mission ? «Quand il y a une énigme, on déterre plus de questions que de réponses, des faux, et des manipulations. Aujourd’hui encore, des enquêteurs continuent à se documenter, même après leur retraite. Ils ne veulent pas mourir sans avoir de réponse à leurs interrogations. J’adorerais moi aussi connaître la vérité. Rien que pour savoir si j’ai bien fait mon travail.»
Il n’est pas le premier. Plus de 20 000 occurrences sur Google lorsque l’on tape les mots «Dieuleveult» et «disparition». Des centaines d’articles. En 2006, Jérôme Pin et Tugdual de Dieuleveult, 25 ans, fils de Philippe, avaient réalisé une enquête qui avait déjà fait l’objet d’un documentaire (diffusé par Canal +) révélant «les enjeux cachés de la disparition» dans le jeu complexe des relations franco-africaines. Pour eux, il s’agirait bien d’une bavure, donnant crédit à la thèse développée par un ancien officier zaïrois, Okito Bene-Bene, qui avait affirmé que Philippe de Dieuleveult aurait été «exécuté» par les services secrets zaïrois.
«Pas de charges nouvelles justifiant la réouverture d’une information judiciaire»
Près de trente ans plus tard, l’affaire continue à faire des remous au sein de la famille de l’aventurier. Si certains de ses proches (notamment repris dans l’émission Arrêt sur Images, peu tendre avec le documentaire de Yannick Saillet, qu’un témoin qualifie de «complotiste») restent sur la thèse de la noyade, d’autres demandent toujours justice. En mai, le parquet de Paris a dû refuser une demande d’Alexis de Dieuleveult, neveu de Philippe, de rouvrir l’enquête ; le tribunal de Paris estimant qu’il «considère qu’il n’existe pas de charges nouvelles justifiant la réouverture d’une information judiciaire».
Avant de partir, Philippe aurait confié à son frère : «Cette expédition est mal foutue, je ne la sens pas.» Prémonitoire.
(1) Dieuleveult, les disparus du fleuve. En replay sur France.tv.
Les disparus
Tout l’été, Libé revient sur les cold cases et affaires classées :
♦ Dans la forêt de Boscodon, du faux pas au trépas
♦ Saint-Michel-de-Maurienne, à train d’enfer
♦ Marion Wagon, évaporée sur le chemin de l’école
♦ Les disparitions volontaires
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire