Son ossature idéologique a un mérite, la constance. Piliers du Sénat, adversaires socialistes ou intimes vendéens… Tous le diront. «On peut lui reprocher plein de choses, mais pas de changer de convictions, loue le patron des sénateurs centristes, Hervé Marseille. Sur un certain nombre de sujets, il préférera être battu pour défendre ses convictions.» A bientôt 64 ans, l’omniprésent ministre de l’Intérieur ne pouvait rêver mieux que Beauvau pour imposer sa ligne, et mener une bataille culturelle. «Retailleau est très intelligent, cultivé, mais c’est l’incarnation de la droite conservatrice, cléricale, et protectionniste des années 90… 1890.» Le bon mot est signé Alain Duhamel, l’inoxydable chroniqueur de la Ve République. Sévère ? Radiographie d’un responsable politique de droite décomplexé.
Un croyant en «quête de sens»
Criblé de critiques depuis sa nomination, l’ancien chef de file de la droite sénatoriale n’oscille pas, sûr de ses valeurs – ordre, liberté, transmission. «Sa matrice première, c’est le christianisme, culturel mais aussi religieux», plante Julien Aubert, ancien député LR du Vaucluse. Patron du groupe Les Républicains au Sénat, Retailleau n’avait pas rechigné à une photo publiée dans le Point avec, dans son bureau, entre le radiateur et sa bibliothèque un… prie-Dieu. «C’est quelqu’un qui croit au Ciel, poursuit Aubert. Quand vous croyez, vous avez du respect pour la conviction, car elle est la colonne de votre vie. Selon moi, il est dans une “quête de sens”, pas mystique, mais politique, pour son passage à Beauvau. Darmanin, lui, était dans une démarche plus utilitaire.»
La sécurité et l’immigration, ses priorités, passent au tamis de sa grille souverainiste. «Il vient de là et fait avancer la cause, même s’il n’a pas les outils», note Aubert, tenant de cette tendance. A l’Assemblée début octobre, le sénateur assumait vouloir «déplacer le curseur dans l’Etat de droit», quelques jours après avoir provoqué en affirmant que l’Etat de droit n’est ni «intangible, ni sacré». La magistrature contre le peuple. C’est (aussi) le slogan du PiS (Droit et justice) en Pologne, le parti illibéral de Jarosław Kaczyński.
Le droit, les subtilités administratives, l’ancien conseiller de François Fillon en connaît les mécanismes. Vingt ans qu’il porte des propositions de loi au Sénat, pour défendre l’école privée, lutter contre la fraude sociale, mais aussi «interdire l’usage de l’écriture inclusive» ou les transitions médicales de genre avant 18 ans. Sous le capot technique, l’idéologie. «Ce sont les idées qui, très largement, gouvernent les gouvernants», écrivait l’ancien président de la région Pays-de-la-Loire dans son livre Refondation, publié en 2019. L’homme est un doctrinaire. Rigide ? «Il est prêt à être challengé, ce n’est pas un dogmatique, récuse Philippe Juvin, député LR. Il a une colonne vertébrale, et dans un monde politique de mollusques, c’est une qualité.»
Un anti Mai 68 en croisade contre la «déconstruction»
Détracteur d’une droite jugée intellectuellement fragile, qui s’est longtemps seulement définie en opposition au communisme, le Vendéen s’est présenté à la présidence du parti en 2022 pour en refonder le logiciel, bardé du sien, tranché. «Les racines du mal, c’est l’idéologie soixante-huitarde», balançait-il en 2018, sur le plateau de BFM TV. Ses adversaires ? Le progressisme, l’individualisme et le multiculturalisme de la gauche. En somme, Mai 68 et mai 1981. Les philosophes de la French Theory, Foucault, Derrida, Deleuze, sont accusés d’être à l’origine du «wokisme», de la «déconstruction». Plutôt Ernest Lavisse que Patrick Boucheron, l’auteur d’une Histoire mondiale de la France, Retailleau abhorre la «repentance», ce «processus de criminalisation de notre histoire».
Le billet de Thomas Legrand
Elève de François Furet à Sciences-Po Paris, le ministre aime les analyses de Jean-Eric Schoettl, l’ex-secrétaire général du Conseil constitutionnel, et cite régulièrement l’historien des idées Rémi Brague, Marcel Gauchet ou Chantal Delsol, philosophe «néoconservatrice», comme elle se définit. Les ouvrages de Pierre Manent, normalien longtemps proche de Raymond Aron, peuplent aussi sa bibliothèque – avec Charles Péguy, Léon Bloy, Simone Weil. Son conservatisme, prêche-t-il, se veut un ralentissement. «C’est quoi être conservateur ? C’est avancer dans le monde moderne, mais pas à pas de géants, plutôt à pas feutrés», pose Arnaud de Montlaur, un ami. Ils se sont connus en 2015, quand Fillon confia à cet ancien trader le soin de lever des fonds pour la campagne de la primaire en vue de la présidentielle de 2017. «Bruno n’est pas empoussiéré.»
Un Vendéen façonné par De Villiers
Quand ses proches vantent son appétence pour les biotechnologies ou l’intelligence artificielle, la gauche, elle, le dépeint plus volontiers en réactionnaire en rappelant ses oppositions à l’extension de la PMA, à la GPA, au mariage pour les couples homosexuels. «C’est un héritier de l’imaginaire de la contre-révolution. Le premier de ce type à accéder au ministère de l’Intérieur républicain depuis plus d’un siècle», enfonce aujourd’hui un interlocuteur du chef de l’Etat. Ses compagnons y voient des clichés. «C’est un républicain aux convictions marquées, défend le sénateur Francis Szpiner. On voudrait le caricaturer en catho intégriste, ce n’est pas vrai.» La foi, «c’est sa vie intérieure», glisse Arnaud de Montlaur, sans sourciller sur sa défense acharnée des crèches de Noël dans les lieux publics. La laïcité ? Retailleau l’aime «sans complexe, assumant pleinement les contraintes qu’elle induit, en particulier pour les individus», écrivait-il en 2019. «Ses idées sont ancrées dans des vécus et un ancrage territorial, la Vendée», défend Patrick Hetzel, ministre de l’Enseignement supérieur, ex-conseiller de Fillon.
La Vendée est sa «petite patrie charnelle» (Péguy). S’il pourfend la repentance, Retailleau a toujours entretenu la mémoire «blanche» de la guerre de Vendée. Au Sénat, il proposait en 2012 d’abolir «deux décrets d’anéantissement et d’extermination» datant de 1793, sans effet juridique aujourd’hui mais toujours gravés dans la loi. L’autre matrice se nomme Philippe de Villiers. Avec le créateur du Puy-du-Fou, qui enrôla le jeune cavalier Retailleau comme bénévole, l’aventure politique et amicale se brisa net en 2010. Le vicomte, n’aurait pas supporté que le nom de son poulain circule sous Nicolas Sarkozy pour entrer au gouvernement.
L’Europe, l’économie, l’identité… Ce compagnonnage au Mouvement pour la France (MPF), trois décennies durant, l’a façonné. «De Villiers et Retailleau auraient pu être démocrates-chrétiens mais ils se sont aperçus que l’Europe des peuples n’existait plus, et que l’Union européenne était devenue une machine qui détruisait l’identité, analyse Julien Aubert. La Vendée, historiquement, c’est un territoire victime d’un jacobinisme républicain. Il y a un effet d’écho dans la manière dont, toutes proportions gardées, Bruxelles déconstruit la France.» L’Europe de Retailleau est celle des nations, farouchement opposée au fédéralisme – ce «vieux rêve hugolien dont la folle poursuite a viré au cauchemar», écrit-il dans son livre – et civilisationnelle. Le tissu économique vendéen l’influence aussi dans ses emportements contre le «dogme de l’étatisme». «Mortagne, Les Herbiers, aux confins du Choletais, est un pays de PME», souligne Emmanuel de Villiers, frère de Philippe, longtemps proche du sénateur. Chantre de «l’assimilation» et du «récit national», Retailleau balançait, mi-octobre dans Valeurs actuelles, qu’«une part de la jeunesse issue de l’immigration est tentée par une forme de sécession». Un ténor LR s’étouffe encore de ses propos sur «une sorte de régression vers les origines ethniques» des jeunes émeutiers, au printemps 2023.
S’il mime l’extrême droite, le Vendéen n’a pas franchi pas le pas, contrairement à Ciotti. S’il ne vient pas du RPR gaulliste, l’ancien villiériste revendique une étanchéité avec l’extrême droite. «Il est convaincu qu’il y a une histoire et un positionnement de la droite en France qui n’est pas l’extrême droite, sans être pour autant une droite molle», appuie la sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie. Désormais rallié au RN, Ciotti prend, lui, plaisir à pointer une divergence tactique : «Idéologiquement, il aurait pu rejoindre l’alliance. Il est plus à droite que moi ou Marine Le Pen.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire