mardi 26 novembre 2024

DOUBLE PEINE ET PERTE DE CHANCE

Plus de 60% des consultations en oncologie 

annulées à cause des barrages

Hanna Roseau h.roseau@agmedias.fr

Le retard pris dans les soins, en raison des barrages, sera
difficilement rattrapable.
Le retard pris dans les soins, en raison des barrages, sera difficilement rattrapable. • PHOTO J-M.M./FRANCE-ANTILLES

Si les Martiniquais peuvent à nouveau circuler librement sur les routes de l'île, les barrages érigés plusieurs semaines durant, ont des conséquences dramatiques sur la continuité des soins des patients atteints de maladie longue durée en général et de cancers en particulier.

Christine*, 60 ans, se bat depuis 2016 contre un cancer du sein. Deux récidives plus tard, elle poursuit son traitement avec l'espoir d'une guérison. Si le moral reste au beau fixe, elle reconnait que ces mois de grande tension sociale ont été particulièrement éprouvants. Pas seulement pour elle mais aussi pour les autres patientes qu'elle côtoie. " Vous savez, les gens tout ce qu'ils veulent c'est suivre leur traitement, c'est ça la priorité, c'est ça la crainte ! C'est déjà tellement difficile de trouver des rendez-vous en hôpital de jour ", se désole-t-elle. Or, les nombreux barrages érigés sur le territoire ont rendu l'accès aux lieux de rendez-vous impossibles à certains patients. D'autres comme Christine y sont parvenus tant bien que mal mais ont dû trouver des solutions de secours pour effectuer leurs analyses médicales, les laboratoires étant restés fermés quelques temps faute de personnels. Or, ces analyses sont indispensables.


" Psychologiquement, c'est dur "

" Nous devons venir aux rendez-vous avec les résultats pour que le médecin valide le traitement. Sans ces résultats, il n'y a pas de traitement. Moi je suis allée au CHU, mais beaucoup n'étaient même pas au courant de cette possibilité", précise Christine. "Un traitement est supposé améliorer votre vie, prolonger votre espérance de vie. Rater un rendez-vous, repousser la chimiothérapie d'une semaine, psychologiquement c'est dur !", insiste-t-elle. Pour la Martiniquaise, elle aussi victime des blocages lors d'un déplacement avec des amis, il est primordial de retrouver le sens de la raison. " Une fois, je suis allée à Rivière-Salée. Au retour, on m'a dit que je ne pouvais pas passer, que seuls les personnels soignants étaient autorisés à le faire. J'ai expliqué que j'étais malade mais un jeune cagoulé m'a dit : " Non, c'est la consigne "", raconte-t-elle. " Il y a des vies derrière ! On ajoute des difficultés à des vies déjà compliquées du fait de la maladie ", poursuit la sexagénaire.

Et si, aujourd'hui, la situation semble plus apaisée sur l'île, pour Christine comme pour une partie de la population, une inquiétude et une question demeurent. Jusqu'à quand ? Jusqu'à quand ces patients pourront-ils se rendre librement à leurs rendez-vous, jusqu'à quand pourront-ils librement effectuer leurs analyses ? Sans réponse, Christine commence à envisager une autre option, celle de partir se faire soigner dans l'Hexagone. " J'ai une intervention à faire bientôt, il y a très peu de chances que je la fasse ici alors que j'ai toute confiance en mon chirurgien. D'ailleurs, je pense que les gens vont continuer à se faire soigner ailleurs ", explique-t-elle.

Une double peine pour les patients

Cette lassitude, cette colère, ces inquiétudes, Guy-Albert Rufin-Duhamel, directeur de la plateforme régionale d'oncologie de la Martinique, les entend parfaitement. S'il insiste sur la légitimité de la lutte contre la vie chère en Martinique, lui qui est au contact de patients parfois en grande précarité, pointe toutefois du doigt les conséquences dramatiques des barrages sur le système de santé et la continuité des soins des patients. Des patients en poursuite ou en fin de traitement pour qui chaque barrage représentait un danger tel qu'ils ont préféré renoncer plutôt que prendre le risque de les franchir. " Il y avait des difficultés à circuler, des incendies, des personnes cagoulées. Tout cela a des conséquences sur l'état psychologique de patients, déjà vulnérables", rappelle Guy-Albert Rufin-Duhamel. " Faut-il justifier, entre des flammes, son statut de possible malade du cancer ? Ou bien montrer son papier de chimio ? Montrer sa cicatrice ? Vous voyez jusqu'où peut aller l'absurde quand même ! ", dénonce le directeur de la plateforme régionale d'oncologie de la Martinique.

Mais au milieu de tous les habitants confinés contre leur volonté, il y avait aussi des personnes dont le diagnostic allait être communiqué, c'est ce que l'on appelle les consultations d'annonce.

" Vous imaginez ? Là, il ne s'agit pas de rendez-vous de traitement de l'après-cancer, c'est-à-dire que vous avez été suivi, vous allez mieux, vous êtes en rémission, et vous avez deux, trois rendez-vous de suivi. Ce n'est pas la même étape psychologique que quelqu'un qui doit commencer un traitement. Donc vous allez commencer un traitement pour la première fois, c'est déjà difficile mais en plus vous vous retrouvez empêché parce-qu'il y a des blocages ", s'offusque Guy-Albert Rufin-Duhamel.

Et puis il y a, avant même cette étape, celle du dépistage. Cheval de bataille des professionnels de santé et associations, notamment en ces périodes de campagnes de dépistages organisés.

Cette information, ces actions largement médiatisées persuadent chaque année certains Martiniquais de faire le premier pas or, là encore, beaucoup d'entre eux ont renoncé au grand désarroi de Guy-Albert Rufin-Duhamel.

" On répétait aux femmes de penser au dépistage du cancer du sein et beaucoup d'entre elles ont dû malheureusement abandonner ce geste de dépistage alors qu'elles étaient dans la dynamique. Est-ce qu'on va les retrouver ? "

Mais l'inquiétude de Guy-Albert Rufin-Duhamel ne s'arrête pas là. " On avait également des rendez-vous de personnes qui faisaient des investigations, c'est-à-dire qu'elles présentaient des symptômes possiblement évocateurs de cancer. Il fallait effectuer des prélèvements sanguins, mais les laboratoires étaient fermés. Il fallait aussi se rendre dans des centres de radiologie. Quand on sait les délais d'accès à l'IRM, s'il faut déjà pousser des murs, des portes, des fenêtres pour pouvoir trouver des créneaux... Ce sont des rendez-vous d'accès au diagnostic qu'on n'a pas pu honorer. Là aussi, quand va-t-on les retrouver ? On ne sait pas parce qu'on ne les connaît pas encore ", précise avec désarroi le directeur de la plateforme régionale d'oncologie de la Martinique.

Un effet entonnoir

Une situation d'autant plus problématique qu'elle n'a pas contraint uniquement les patients mais aussi le personnel médical. " Si le Samu, qui pourtant est étiqueté Samu, n'arrivait pas à circuler convenablement, vous imaginez ce à quoi ont pu être confrontés les professionnels qui ne sont pas forcément étiquetés. SOS Médecins a aussi rencontré des difficultés ", précise-t-il. Là encore c'est le patient qui en fait les frais.

Le bilan établi au lendemain des barrages met en lumière des conséquences préoccupantes. Au pic des manifestations, 66% des consultations d'oncologie médicales n'ont pas eu lieu et 62% pour les consultations d'oncologie radiothérapie. 90% des rendez-vous n'ont pas pu se tenir en médecine de ville. Le programme des blocs opératoires a, quant a lui, été fortement perturbé. Des perturbations ont également été enregistrées au niveau de l'imagerie : rendez-vous scanner, IRM et Tep Scan. " Nous avons dû déprogrammer beaucoup de nos activités qu'on essaye de reprogrammer. La plupart de ces rendez-vous aujourd'hui sont reprogrammés ", explique Guy-Albert Rufin-Duhamel.

Reste que le retard pris dans les soins du fait des barrages sera difficilement rattrapé.

*nom d'emprunt

Pour Guy-Albert Rufin-Duhamel, directeur de la plateforme régionale d'oncologie de la Martinique, il y a des conséquences à court et long terme de ces barrages notamment sur l'état psychologique des patients.
Pour Guy-Albert Rufin-Duhamel, directeur de la plateforme régionale d'oncologie de la Martinique, il y a des conséquences à court et long terme de ces barrages notamment sur l'état psychologique des patients. • Ericka Morjon
Pour les patients suivis à l'hôpital de jour, obtenir un rendez-vous est devenu encore plus compliqué.
Pour les patients suivis à l'hôpital de jour, obtenir un rendez-vous est devenu encore plus compliqué. • Karine Saint-Louis-Augustin

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