Analyse
Réactivation du virus dans le corps
Quand le Covid-19 débarque, Ziyad Al-Aly met la force de frappe de la cohorte des vétérans américains au service de la recherche. «Au début, nous étions vraiment concentrés sur les effets immédiats. Ce sont les patients qui ont commencé à parler d’effets de long terme, à s’appeler eux-mêmes de Covid longs», retrace-t-il. Pourtant, le fait qu’un virus ait des conséquences bien après l’infection initiale n’est pas un fait nouveau. Le zona est une maladie issue de la réactivation dans le corps du virus de la varicelle contracté dans l’enfance. La mononucléose peut entraîner une fatigue de plusieurs semaines. «Sur le moment, nous étions dans le brouillard de guerre. On ne pensait pas à ce qui allait se passer dans cinq mois. Maintenant, avec le recul, je me dis que nous aurions dû penser au risque de maladie chronique», reconnaît d’ailleurs le médecin.
Selon l’estimation de Ziyad Al-Aly, publiée par Nature, 400 millions de personnes dans le monde ont souffert de séquelles du Covid. On parle de symptômes, parfois handicapants, conservés pendant des mois mais aussi d’AVC, d’infarctus, ou de diabète consécutifs à la maladie. Pour démontrer les liens entre ces pathologies et le coronavirus, Ziyad Al-Aly a un atout de taille : les vétérans de l’armée américaine. La gestion de leur santé est centralisée par le département des anciens combattants, une administration gouvernementale. «Il y a trente ans, le gouvernement a pris la décision avant-gardiste à l’époque de complètement numériser cette plateforme. Ensuite, ils se sont dit que cette base de données pourrait servir à mieux comprendre la santé des vétérans et ils ont donc donné l’accès aux chercheurs», contextualise le médecin. Au total, la santé de neuf millions de personnes est suivie. Depuis dix-huit ans, il interroge cette base de données pour voir des effets sur la santé de la pollution de l’air, par exemple. «C’est vraiment un super outil de travail», s’enthousiasme Olivier Robineau, infectiologue à l’hôpital de Tourcoing (Nord).
En analysant les données des patients après un test de Covid positif, Ziyad Al-Aly a pu objectiver le fait que des patients avaient du mal à se remettre, continuaient à prendre des médicaments, ou à consulter régulièrement leur médecin. Il a donc contribué à donner une base scientifique à ce que les associations de patient appelaient le Covid long. Et sa définition du phénomène est plus large que celle utilisée en France. «La définition américaine prend en compte l’intégralité des états de santé dégradés par le Covid», commente Olivier Robineau. L’Hexagone s’est rangé derrière la définition de l’OMS, qui considère comme Covid long la continuation de symptômes plus de trois mois après l’infection. Mais Ziyad Al-Aly ajoute à cette définition le risque augmenté de déclencher d’autres pathologies comme un AVC, ou le diabète.
Surrisque
Pour autant, ces résultats ne sont pas parfaits. Cette cohorte est composée principalement d’hommes, blancs, un peu âgés. Heureusement, d’autres équipes trouvent des résultats similaires et les phénomènes décrits sur cette population se retrouvent ailleurs, mais pas forcément dans les mêmes proportions. En France, on peut citer deux études de cohortes, mais exclusivement sur des personnes hospitalisées pour Covid. «On a des données, on manque cruellement de bras pour les analyser», regrette Olivier Robineau. «Notre pays n’est pas réputé pour ses études de cohorte. C’est un investissement de long terme très coûteux», pointe Arnaud Fontanet.
Analyse
Jade Ghosn, infectiologue à l’hôpital Bichat, a suivi 4 000 personnes pendant plusieurs mois dans le cadre du projet French Cohort de l’Inserm. Les données publiées portent sur 700 cas, un an après leur infection. Un quart d’entre eux présentaient toujours au moins trois symptômes. «Parmi ceux qui avaient une activité professionnelle, un quart était toujours en arrêt de travail un an après l’infection», précise la chercheuse pour illustrer le fardeau du Covid long.
Sarah Tubiana, pharmacologue à l’hôpital Bichat, a une démarche plus proche de celle de Ziyad Al-Aly. Elle a analysé les données de 64 000 patients hospitalisés pour Covid qu’elle a comparées à celles de 320 000 sujets non hospitalisés. Jusqu’à trente mois après l’infection, les patients touchés par le Sars-Cov-2 avaient 1,35 fois plus de risque d’être hospitalisés que les autres. Un surrisque particulièrement visible pour les problèmes neurologiques (1,5), respiratoires (1,99), rénaux (1,79), et pour le diabète (1,89).
Meilleure compréhension des maladies infectieuses
En 2020, Ziyad Al-Aly estimait que 9 % des personnes infectées étaient à risque d’une forme ou une autre de Covid long. Bonne nouvelle, ce chiffre n’a cessé de baisser, grâce aux vaccins, et à l’évolution du virus. Quand le variant omicron a commencé à prendre le dessus, fin 2021, Ziyad Al-Aly estimait ce risque autour de 3,5 %. Et il a probablement encore diminué selon lui, mais sans atteindre zéro. La fréquence des symptômes est toujours «stratifiée en fonction de la gravité de l’épisode initial», nuance aussi Arnaud Fontanet. Comprendre : plus l’infection est violente, plus le risque de Covid long est grand.
Aujourd’hui, il devient très compliqué de monter de nouvelles études sur la fréquence de ce type de Covid. Le réflexe du test au premier symptôme s’est perdu. Pourtant, les travaux sur ces séquelles permettent «des progrès énormes sur la compréhension des formes persistantes ou retardées des maladies infectieuses», souligne Antoine Flahault, épidémiologiste et enseignant de santé publique à l’université de Genève. Pour beaucoup de pathologies comme Alzheimer, le diabète, ou encore les AVC, les facteurs de risque connus n’expliquent qu’une partie des cas observés. «Il n’est pas impossible qu’une partie du pourcentage non expliqué soit due à des infections virales antérieures», pointe-t-il. En ce cas, la recherche sur le Covid long permettra de mieux comprendre et prévenir ces phénomènes. Une manière de tirer du positif de cette crise planétaire.
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