Dans l'ambiance d'un Mardi gras à Saint-Pierre
« J'ai essayé de rendre ce que j'ai vu, entendu et éprouvé », écrit Louis Garaud, qui fut vice-recteur de la Martinique, dans son ouvrage « Trois ans à la Martinique » (1), publié en 1895. Il a vécu le carnaval de Saint-Pierre. Il nous invite à le suivre le temps d'un Mardi gras.
«Saint-Pierre, c'était la ville coquette, propre, plaisant à l'œil, par son architecture un peu capricieuse dans les rues à dos d'âne, et par l'expression enjouée de ses habitants », écrivait quelques jours seulement après l'éruption du 8 mai 1902, un officier dénommé de Kermoison, basé à Fort-de-France, dans son journal personnel (4). Il ajoutait : « Quand, las de Fort-de-France laid et triste, de sa population gourmée de fonctionnaires civils et militaires, je m'y rendais, c'était toujours pour emporter une impression agréable et y éprouver une détente bienfaisante (...) ». Et pendant le carnaval, la ville-phare des Antilles devenait un lieu incontournable pour vivre pleinement la fête. La créativité des carnavaliers y semblait sans limite.
Mais pour les familles honorables et une large couche de la population, le carnaval s'arrêtait au Mardi gras. Le mercredi des Cendres était alors réservé au bas peuple. Il était déshonorant de s'y mêler. Pour les visiteurs, comme l'était le vice-recteur Louis Garaud, il n'y avait pas lieu d'en parler.
Dans son ouvrage Trois ans à la Martinique (1), publié en 1895, il souligne les caractères originaux du carnaval de Saint-Pierre, et particulièrement du Mardi gras : « La ville de Saint-Pierre est en joie. Elle s'apprête à fêter le dernier jour du carnaval qui dure depuis plus de deux mois, écrit-il. Car ici, à partir du jour des Rois, tous les dimanches, le peuple s'amuse en plein soleil avec un entrain débordant ».
« Un flux et un reflux incessant »
« Aujourd'hui, avant de dire adieu à ces joyeuses folies, chacun veut, encore une fois, prendre sa part de la ripaille du Mardi gras. Hommes, femmes, jeunes filles, enfants, toute la ville va participer à la fête. C'est le carnaval du peuple, le carnaval d'un peuple enfant (...). Ici, la ville entière est descendue dans la rue, la ville entière a pris le masque, elle chante, elle danse, elle agite ses grelots. Jamais les saturnales à Rome, jamais à Grèce les bacchanales n'ont offert un pareil spectacle ; jamais la fête des fous, au Moyen Âge, n'a étalé cette débauche de joie. L'imagination ne peut rêver de semblables folies humaines, un délire aussi envahissant, une pareille marée de gaieté étonnante et montante. »
« Vers deux heures, écrit encore Louis Garaud, la fête s'ouvre et jusqu'à la nuit, c'est un flux et un reflux incessant. La foule des masques descend du Fort, le plus haut quartier de la ville, jusqu'au Mouillage qui est la partie basse de Saint-Pierre, puis remonte du Mouillage au Fort, à travers la rue Victor-Hugo. Mais c'est d'abord au centre de la ville, à la Batterie d'Esnotz que le rendez-vous est donné. C'est là que tous les quartiers déversent leurs masques. Là, les groupes se forment, se rangent au milieu des appels aigus et des cris de ralliement ».
« Sur cette foule bigarrée et étincelante d'oripeaux et de clinquant, le soleil flamboie, et sous les rayons qu'il darde, les têtes s'échauffent et s'allument. Des chants discordants partent deçà delà. Des trépignements d'impatience agitent les groupes frémissants des femmes (...) ».
« Cependant, la tourbe grossit. Les flots poussent les flots. La houle monte. Bientôt cette mer gonflée gronde et le débordement commence ».
« En tête roulent des vagues de gamins des rues, en guenilles, entourant une espèce de géant déguisé en diable cornu qui marche d'une allure rapide et égale. Ils le suivent en frappant leurs mains l'une contre l'autre et en répétant en chœur je ne sais quoi, sur un rythme court et heurté en réponse à un cri poussé par le diable à intervalles égaux. Cette bande se précipite en torrent du haut de la ville, emplissant les rues, les trottoirs, les ruisseaux, se heurtant, se bousculant, s'étouffant, mais sans cesser de crier et de frapper dans les mains en cadence ».
« Inouï et inénarrable »
« Puis ce sont d'interminables files de femmes de toutes les tailles et de tous les costumes, rangées l'une derrière l'autre, chantant à l'unisson (...). Mais ce qui est vraiment étrange et original, inouï et inénarrable, c'est la cohue d'hommes et de femmes, de groupes et de masques isolés, qu'entraînent à leur suite quelques nègres musiciens, tassés dans une espèce de tombereau conduit par un âne. Ces nègres jouent de la flûte en dodelinant de la tête, tandis qu'un grand gaillard crêpu frappe rageusement avec ses mains sur un tambour, formé d'un petit tonneau défoncé aux deux bouts et dont les fonds sont remplacés par des peaux tendues à l'aide d'une simple corde ».
Ces défilés dans les rues étaient suivis de bals masqués qui avaient lieu en particulier au théâtre de Saint-Pierre.
(1) Trois ans à la Martinique, études de mœurs, paysages et croquis, profils et portraits. Par Louis Garaud. Paris. Éditeur : A. Picard et Kaan (Paris). 1895
(2) La Caldeira. Par Raphaël Tardon. 1948. Ed Fasquelle. Réédité en 2002 par Ibis Rouge
(3) La destruction de Saint-Pierre en 1902. Antécédents et conséquences socio-économique et politiques sur la vie de la Martinique. Par Léo Ursulet. Thèse de doctorat. Université des Antilles-Guyane. Mai 1994.
(4) Journal d'un officier. La fin de Saint-Pierre. Annales des Antilles N°2. Bulletin de la Société d'Histoire de la Martinique. 1955
Itinéraire des « vidés » dans la ville
Le vice-recteur Louis Garaud a vécu le carnaval à Saint-Pierre avant les éruptions de 1902 de la montagne Pelée qui ont anéanti la ville. Dans son livre Trois ans à la Martinique (1), il invite le lecteur à suivre l'itinéraire des « vidés » dans la ville-phare des Antilles. « C'est d'abord au centre de la ville, à la batterie d'Esnotz que le rendez-vous est donné, écrit-il. C'est là que tous les quartiers déversent leurs masques. Là, des groupes se forment, se rangent au milieu des appels aigus et des cris de ralliement ». « Et, raconte Raphaël Tardon dans son roman La Caldeira (2), la foule surexcitée s'ébranle spontanément, obéissant à une soudaine commotion, une secousse physiologique. Une énorme chaleur s'élève de cette tourbe en mouvement » ...
...Les jours de carnaval, « dès deux heures, la ville envahit une rue, une seule : la rue Victor-Hugo qui la traverse d'une extrémité à l'autre », écrit Raphaël Tardon. « Ce n'est pas le carnaval des riches, rappelle Louis Garaud, c'est le vrai peuple chez lui, souverain dans la rue, en fête extravagante, en joie débraillée (...) Les passants sont souvent pris, enlevés et entraînés au milieu de cette sarabande en délire. (...) Pas une rixe dans toute cette foule, pas un cri de colère. Tout est à la joie. »
« La foule des masques descend du Fort, le plus haut quartier de la ville, jusqu'au Mouillage qui est la partie basse de Saint-Pierre, puis remonte du Mouillage au Fort, à travers la rue Victor-Hugo (...) », témoigne Louis Garaud. Raphaël Tardon renchérit : « Le Fort atteint, la foule rebrousse chemin, et se dirige vers le Mouillage. Il en sera ainsi jusqu'au soir - l'heure des bals et de l'amour - dans un incessant flux et reflux... » « Quand tombe la nuit, les groupes se dispersent. Le calme s'étend sur la ville », se souvient Louis Garaud.
1904 : le carnaval renaît à Fort-de-France
Avant 1902, Fort-de-France, une ville « froide, raide et un peu guindée », témoigne Louis Garaud (1). « Une petite ville calme, tranquille », écrit Léo Ursulet (3). « (...) C'était la capitale administrative ; y vivait donc un important corps de fonctionnaires avec à sa tête le gouverneur de la colonie. C'était proprement l'opposé de la cité pierrotine où la vie s'animait dès le matin pour s'arrêter seulement à la tombée du jour. C'était la ville petite-bourgeoise par excellence qui contrastait singulièrement avec la ville populeuse de Saint- Pierre (...) ».
Quand Saint-Pierre disparaît, Fort-de-France est en train de se redresser après plusieurs désastres : le séisme de 1839, l'incendie de 1890 et le cyclone de 1891. Sans autre alternative, c'est elle qui a la charge d'accueillir la grande masse des sinistrés venus du Nord.
En 1902, la population de Fort-de- France est de 22 184 habitants. En 1904, elle est de 27 019 habitants. Mais jusqu'en 1902, dans la ville calme et tranquille d'alors, loin de la liesse pierrotine, il y avait depuis quelques années quelques frémissements du carnaval. Le traumatisme causé par les éruptions de la Pelée suivies des arrivées de milliers de sinistrés sur les hauteurs de Fort-de-France et dans la ville, va mettre en berne toute manifestation carnavalesque, quelle qu'en fût la forme.
Deux ans plus tard, des Foyalais vont malgré tout rallumer la flamme carnavalesque, comme pour se moquer des mauvais coups du sort et chercher à raviver le lien social.
Ces quelques photos de 1904 en témoignent.
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