TO BE OR NOT TOUBIB

 Aujourd'hui, c'est dimanche. Vous êtes donc bien sur Radio Truffière, je suis le Dendrobate Doctor et nous sommes ensemble pour faire l'état de la recherche sur l'épidémie de Covid-19 et le reste.

Si elle disparait, retrouvez la chronique sur le blog (https://www.the-dendrobate-doctor.fr/)

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Bienvenue à tous sur l'Echo des Labos.

  

  

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FAKE DE LA SEMAINE

  


Je profite de cet espace où il est convenu qu’on traite du grand n’importe quoi pour vous faire le suivi d’une affaire déjà traitée (oui, parce que je suis comme ça, moi, on parle pas d’un truc pour l’oublier tout de suite après ici). Si vous vous souvenez, il y a quelques temps, on a investigué ensemble dans le point méthode pour savoir si la thérapie d’intégration d’un réflexe archaïque qui était proposée à une abonnée était un truc qui faisait sens ou pas. On en a conclu que c’était du gros bullshit, avec une légère réserve pour deux trois études très préliminaires en cours mais autant dire rien qui cassait trois pattes à un confit de canard.


Et puis voilà que l’ami To be or not toubib publie dessus (https://www.facebook.com/medecinedesnuls/posts/pfbid0aH4Df1VFWb6LgKPABGWkCAaAr2iXRCFyBG5H4cgYVrscewtjWTdLkMP1RMJicTv3l), parce que apparemment c’est populaire aussi en pédiatrie ces trucs, on essaye pas de s’adresser qu’à des adultes. Au point que le conseil national des psychomotriciens a dû publier un avis à ce sujet (https://cnp-psychomotriciens.fr/wp-content/uploads/2025/03/avis-ra_vf-4.pdf), que je vous invite à lire en même temps que l’avis de notre pédiatre préféré. Spoiler alerte, les deux avis contiennent des termes comme « retard de prise en charge », « absence de preuves scientifiques », « absence totale de fondements théoriques valides » ou « fête à la saucisse ». La Miviludes signale une augmentation des cas rapportés liés à ces pseudo-thérapies, et je pense qu’on a juste assisté, lors de notre petite démonstration dans cette chronique, à l’apparition d’une énième thérapie bullshit… Je suppose que comme les premières marchent pas, les gens se lassent et du coup il faut en inventer sans cesse des nouvelles qui cette fois c’est sûr seront la bonne, et ça tourne en rond un peu comme votre pote Lionel qui tombe amoureux tous les deux mois mais pour qui ça marche jamais parce que « c’était pas la bonne, mais la prochaine fois, tu verras » alors que c’est lui qui a plus de truc à régler dans sa vie qu’un horloger suisse après le changement d’heure.


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DECOUVERTE DE LA SEMAINE

  


Il ne faut pas croire qu’il n’y a plus d’études sur le Covid, sur les mesures de prévention ou les manières de stopper la chaine de contaminations. Il y en a. Parce que ça recommencera. Peut-être pas maintenant, peut-être pas de cette manière, peut-être pas avec ce type de pathogène, mais ça recommencera. Et rester la tête plantée dans le sable n’y changera rien. Une autre pandémie émergera, elle gagnera tous les pays un par un et des individus, de notre espèce ou d’autres, inconnus ou proches, vont mourir. Mais Homo sapiens a inventé un truc incroyable, un truc qui s’appelle la Science. Et avec ça, il répond à des questions qu’il se pose, et avec ces réponses, il peut rendre le monde moins dangereux (bon il peut aussi créer la bombe atomique, donc ça se discute) et empêcher des gens qu’il aime de mourir. Et une de ces questions qui peut, quand ça recommencera, empêcher des gens de mourir est : est-ce que confiner les gens en cas de pandémie ça les empêche de mourir ?


Et la réponse c’est « un peu mon n’veu » (c’est pas écrit comme ça dans l’étude https://academic.oup.com/eurpub/article/34/4/737/7675929?login=false, mais franchement c’est le sous-entendu). Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont comparé, des années après la pandémie et donc avec plus de recul, les taux de mortalité des pays comparables entre eux (en densité de population, en accès aux soins etc.) selon s’ils avaient confiné leur population ou non. Le fameux modèle suédois « qui confinait pas même que ça se passait trop bien » a ainsi été comparé à ses voisins finlandais, norvégiens et danois, et l’étude montre un très net excès de mortalité durant les premiers vagues côté suédois. Plus moralement problématique encore, il est pointé que ce sont les sujets les plus vulnérables de la société qui ont directement payé le prix de l’absence de mesures imposées aux autres : 90% étaient des plus de 70 ans qui ont été contaminés par des proches continuant de se rendre au travail, à l’école ou de sortir, et les établissements pour personnes âgées ont été décimés en comparaison du voisin norvégien. Cet écart disparait dans les années qui suivent, l’immunité des populations faisant le travail (mais je trouve que sacrifier 17.000 personnes pour en immuniser 10 millions c’est quand même cher payé).


D’autres pays n’ont pas confiné et semblent mieux s’en sortir, mais cette victoire est en trompe l’œil. L’Uruguay, qui avait refusé de confiner contrairement à d’autres voisins d’Amérique Latine, affiche un décompte officiel de 840 morts… mais c’est fait par des officiels qui estiment qu’on peut tout traiter aux plantes médicinales traditionnelles et qui ont rejeté les vaccins lorsqu’ils étaient disponibles. Une étude indépendante (https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02796-3/fulltext) estime en revanche que le nombre réel de morts serait 200 fois supérieur, avec entre 102.000 et 188.000 décès. Du côté du Japon, qui a aussi peu confiné, les chiffres montrent qu’en réalité il n'en a pas eu besoin et que la population s’est quasiment auto-confinée, expliquant son bon score en termes de mortalité sur les premières années… mais il a pris de plein fouet le variant Omicron lorsque les habitudes sont revenues à la normale, celui-ci ayant tué 3 fois plus de Japonais qu’il n’en était morts en 2020, 2021 et la première moitié de 2022 réunis.


Moralité de l’histoire : si dans l’avenir notre gouvernement n’écoute pas la science, il faudra qu’on l’écoute mieux que lui (ça vaut pour tous les sujets, mais là il sera un peu question de vie ou de mort, donc jouez pas aux cons).


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PISTE DE LA SEMAINE

  

  

Ebola : il y a actuellement des tests fait pour réussir à traiter Ebola avec des traitements par comprimés, bien plus facile à acheminer et à distribuer que tout ce qu’on peut avoir pour l’instant (ou globalement on essaye juste de soutenir l’organisme du patient jusqu’à ce qu’il arrive à survivre par lui-même). Il existe bien des traitements par anticorps (on estime que sur 1000 malades, ils peuvent en sauver entre 230 et 400) mais ils sont coûteux et pas pratiques du tout à transporter, distribuer et administrer dans les zones atteintes. Du coup, les chercheurs essayent de faire mieux, et l’équipe en charge des essais vient d’annoncer (https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.adw0659) que le traitement a guéri 100% des macaques rhésus sur qui elle expérimentait. L’équipe va répéter son expérimentation sur un plus grand nombre de singes (car vu la létalité d’Ebola, les premiers tests sont faits sur un petit nombre d’animaux pour ne pas buter plein de singes sans raison) et le labo qui produit la molécule va lancer un essai pour la tester sur le virus de Marburg, une autre saloperie cousine d’Ebola. La petite blague, c’est que c’est un traitement qui avait été tenté contre le Covid… et quand j’ai lu ça, pendant une seconde, je me suis dit que ça se trouve l’hydroxychloroquine allait sauver le monde et ça allait être vraiment drôle que ça arrive après que Raoult se soit discrédité aux yeux du monde entier. Mais non. Pas drôle. C’est l’obeldesivir, un médicament produit par… Gilead, la bête noire de Raoult. En fait si, c’est vraiment drôle.


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IMPASSE DE LA SEMAINE

  

  

Bibliométrie : ceux qui sont venus l’an dernier au REC savent tout le mal que je pense de la bibliométrie, cette technique censée permettre de mesure la qualité du travail des chercheurs. Et je ne la déteste pas juste parce que j’ai un tout petit h-index (mais quand même plus gros que celui d’Idriss Aberkane), mais parce que c’est une méthode absurde qui fait que, à temps de carrière équivalent, mon indice d’impact dans la recherche est plus gros que celui de Peter Higgs (le découvreur du boson du même nom), ou que mon h-index actuel est plus important que celui de « l’année miraculeuse » d’Einstein (l’année où il a pondu ses trois papiers majeurs sur la relativité). Et c’est débile, tout le monde voit que c’est débile. Mais maintenant, il y a un papier (https://direct.mit.edu/qss/article/doi/10.1162/qss_a_00351/127595/Highly-Cited-Researchers-anatomy-of-a-list) qui montre que c’est débile, en particulier en ce qui concerne la liste des chercheurs les plus cités (donc normalement les meilleurs, les plus influents, les têtes de pont de la science). Parce que quand on crée des outils de mesures comme ça, et que les institutions font comprendre aux chercheurs que c’est ces mesures qui comptent, il arrive ce qu’il doit arriver : le but ne devient plus de faire de la bonne science, mais de satisfaire les critères qui font croire qu’on en fait.


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MAUVAISE NOUVELLE DE LA SEMAINE

  

  

Indépendance scientifique : la mésaventure d’un chercheur français du CNRS fait le tour du monde. Un scientifique à nous, invité pour une conférence et avec une lettre d’invitation en bonne et due forme (j’ai déjà dû entrer aux USA pour un congrès, je sais comment ça se passe) s’est vu refouler à la frontière américaine après que les douanes aient fouillé son ordinateur et son téléphone et trouvé des messages dans lesquels il… critiquait Donald Trump et la chasse aux sorcières de son gouvernement envers les scientifiques. Les mêmes qui derrière envoient leur vice-président chez nous nous faire une leçon sur la liberté d’expression qui serait en danger en Europe. Cet incident qui rappelle les heures les plus sombres du Maccartisme inquiète outre Atlantique, le délit d’opinion semblant revenir au menu. A ce stade, je propose qu’on monte une cagnotte pour affréter un paquebot et rapatrier la statue de la Liberté à la maison.


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BONNE NOUVELLE DE LA SEMAINE

  

  

REC : bonnes gens, j’ai le plaisir de vous annoncer que je serai, une fois de plus, au REC cette année, à Toulouse-Labège, les 12 et 13 avril (vous pourrez me croiser et m’écouter causer les deux jours). Au programme, on parlera interdisciplinarité, pourquoi c’est cool et pourquoi c’est compliqué, avec d’autres collègues, je donnerai une conférence sur la fraude scientifique, un approfondissement de celle que j’avais donné l’an dernier, et une autre sur un certain Agent Orange qui commence doucement à nous empoisonner la Science. Viendez nombreux !


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« QU’EST-CE QUE PUTAIN DE QUOI ? »

  


Toutes les interventions médicales peuvent avoir des complications. Toutes. Mais elles ne peuvent pas avoir, normalement, n’importe quoi comme complications.

Sauf que la nature s’en fout, elle fait que ce qu’elle veut, et si elle décide qu’un mec va être opéré du genou et va se réveiller en sachant parler que anglais avec un fort accent flamand, et puis elle peut.


Le cas incroyable a été rapporté (https://jmedicalcasereports.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13256-021-03236-z) par les équipes médicales qui ont dû opérer du genou un ado de 17 ans qui avait fait n’imp au football (mais sans aucun choc à la tête, c’est important). Mais au réveil de l’anesthésie générale, celui-ci est incapable de comprendre ni parler sa langue maternelle (en même temps, c’est du néerlandais, est-ce que c’est une grosse perte…). Il parle en revanche fort bien anglais (quoi qu’avec un accent), alors qu’il ne l’a jamais pratiqué en dehors de l’école. Il est alerte, concentré, orienté et parle avec entrain aux soignants… mais uniquement en anglais. Si juste après son réveil il ne reconnait pas ses parents et se croit aux USA, cet aspect se dissipe vite et est mis par les équipes sur le compte de la confusion post-anesthésie. Mais le lendemain de l’opération, alors que les examens neurologiques ne trouvent rien d’anormal, il est toujours incapable de comprendre le néerlandais. Le déclic viendra quelques heures plus tard, lors de la visite d’amis inquiets, où il se met à nouveau à parler spontanément en néerlandais. De manière intéressante, le patient est conscient de son état et a le souvenir de ces quelques heures où il ne comprenait effectivement pas sa langue maternelle. Il entre ensuite en rémission complète de sa condition.


Ce syndrome, rarissime (quelques cas répertoriés uniquement au monde), est appelé « syndrome de la langue étrangère » ou « syndrome compulsif de la langue étrangère » et est inexpliqué à ce jour. Il ne doit pas être confondu avec le « syndrome de l’accent étranger », où la personne parle sa langue maternelle mais avec un accent qu’elle n’a jamais eu, et qui est généralement corrélé à un AVC, ni avec la xénoglossie (ou xénolalie), où la personne parle une langue sans jamais l’avoir apprise, qui relève plutôt du mysticisme (les personnes parlent en général une langue à laquelle elles ont été fortement exposées).


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POINT METHODE DE LA SEMAINE – et quand ça recommencera ?

  


Cette semaine, j’ai envie, encore, de vous partager les pensées (https://www.facebook.com/medecinedesnuls/posts/pfbid0PCTsEWdLz2aupzghMDftuGcTnd7rrmSXZxhBJYEkRMYZ1wDTvutaBmdGiFGwvsYRl) de To be or not toubib sur la pandémie, son après et son futur.

Si je vous partage ses pensées, c’est parce qu’il a mis le doigt je pense sur le principal danger. Bien sûr le virus (ou le futur pathogène), bien sûr la surcharge du système de santé (il est mal en point mais même s’il allait bien, il ne pourrait jamais absorber une pandémie complète), mais surtout, surtout, le terreau dans lequel la désinformation, sur tous les sujets (la pandémie, le changement climatique, la chute de la biodiversité, la montée du fascisme, tous), prend racine : la volonté complète et acharnée qu’ont les gens que « ça » ne soit pas réel. Une épidémie mondiale, les mers qui montent, le désert qui avance, la guerre, le totalitarisme, tout ça est trop grand pour les individus que nous sommes. Certains vont fixer la vague, pétrifiés. Pour d’autres, le mode de défense consiste à s’accrocher à l’idée qu’elle n’existe pas, et certains vont surfer (haha) sur ça : « Des abrutis et ordures de tout poils ont tenté de prendre du pouvoir par la désinformation sur des gens qui avaient peur et qui ne voulaient pas que ce soit réel. » Et ça recommencera.

La vague arrive. Et elle arrive pour tout le monde. Ceux qui n’y croient pas seront broyés et emportés de la même façon que les autres. Alors, que faire ? Puisqu’elle arrive et qu’il est trop tard pour l’arrêter. Car nous ne pourrons pas l’arrêter. Mais nous pouvons crier pour sonner l’alerte chez ceux qui acceptent d’écouter. Nous pouvons guider vers les hauteurs ceux qui ne savent pas où courir. Nous pouvons ouvrir notre maison en bord de mer à ceux qui sont dehors en danger. Nous pouvons nous mettre à plein pour tenir la porte dans l’espoir d’empêcher l’eau d’entrer. Nous pouvons nous tenir tous ensemble, accrochés autour des arbres pour ne pas être emportés. Nous pouvons attraper les enfants qui ne savent pas nager en nous disant que peut-être, si nous parvenons à remonter à la surface, on les remontera avec nous. Nous pouvons nous préparer à retenir notre respiration jusqu’à ce que la vague soit passée. Car elle va passer. Elle va arriver mais elle va aussi passer. Mieux on s’y prépare avant, plus on a des chances d’être là après. Et après, il faudra reconstruire.


« En fin de compte, elle ne fait que passer cette ombre, même les ténèbres ne font que passer. »


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En espérant avoir pu apporter un peu de lumière dans le chaos ambiant, je rends l'antenne, et on y retourne pas la semaine prochaine, car je serai en vadrouille, possiblement sur un toit, possiblement en forêt, possiblement sous des combles, allez savoir, la vie est pleine de mystères. En attendant, prenez soin de vous et des chercheurs qui bossent dur, et, aimez la science, la vraie, et ceux qui la font. Bisous.

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