lundi 28 avril 2014

BOUGAINVILLE A TAHITI





6 avril 1768.

Bougainville est accueilli à Tahiti par une nuée de femmes nues. Partouze générale !

S'offrant à qui veut, les Tahitiennes n'oublient pas, pour autant, de réclamer aux marins un clou pour le prix de chaque étreinte.

 
6 avril 1768. Bougainville est accueilli à Tahiti par une nuée de femmes nues. Partouze générale !
 
 
 

À peine la Boudeuse et l'Étoile ont-elles jeté l'ancre devant Tahiti que les deux navires sont pris d'assaut par des centaines d'insulaires manifestant tous les signes de l'amitié. Laissons la parole à Bougainville : "Tous venaient en criant tayo, qui veut dire ami, et en nous donnant mille témoignages d'amitié ; tous demandaient des clous et des pendants d'oreilles. Les pirogues étaient remplies de femmes qui ne le cèdent pas, pour l'agrément de la figure, au plus grand nombre des Européennes et qui, pour la beauté du corps, pourraient le disputer à toutes avec avantage... La plupart de ces nymphes étaient nues, car les hommes et les vieilles qui les accompagnaient leur avaient ôté le pagne dont ordinairement elles s'enveloppent. Elles nous firent d'abord, de leurs pirogues, des agaceries où, malgré leur naïveté, on découvrit quelque embarras ; soit que la nature ait partout embelli le sexe d'une timidité ingénue, soit que, même dans les pays où règne encore la franchise de l'âge d'or, les femmes paraissent ne pas vouloir ce qu'elles désirent le plus. Les hommes, plus simples ou plus libres, s'énoncèrent bientôt clairement : ils nous pressaient de choisir une femme, de la suivre à terre, et leurs gestes non équivoques démontraient la manière dont il fallait faire connaissance avec elle."
Autant dire que l'invitation rend complètement dingos les quatre cents marins dont la libido est en hibernation depuis six mois. Un grand noir nommé Harry Roselmack gueule " Je suis en immersion ! Je suis en immersion !", devant une caméra... Craignant de voir ses navires transformés en Sofitel new-yorkais, Bougainville interdit formellement aux Tahitiennes déchaînées de monter à bord. L'une d'elles échappe à la surveillance, se hissant sur l'écoutille placée au-dessus du cabestan du gaillard arrière. Elle entreprend un strip-tease devant des hommes qui manifestent tous les syndromes du loup libidineux de Tex Avery : yeux exorbités, langue pendante. Bref, l'équipage ne boude pas son plaisir. Bougainville décrit la scène : "La jeune fille laissa tomber négligemment un pagne qui la couvrait, et parut aux yeux de tous telle que Vénus se fit voir au berger phrygien : elle en avait la forme céleste. Matelots et soldats s'empressaient pour parvenir à l'écoutille, et jamais cabestan ne fut viré avec une pareille activité. Nos soins réussirent cependant à contenir ces hommes ensorcelés ; le moins difficile n'avait pas été de parvenir à se contenir soi-même."

Frayeur

Un seul homme désobéit aux ordres du commandant pour s'éclipser en compagnie d'une Tahitienne, il s'agit du cuisinier personnel de Bougainville. Mais il le regrette vite, car la partie de plaisir se transforme en cauchemar pour lui. Une fois à terre, il se voit entouré par une foule qui lui arrache ses vêtements. Il croit sa dernière heure arrivée, mais, non, les indigènes ne veulent que se rincer l'oeil, curieux de voir comment l'étranger est bâti. Ils palpent chaque partie de son corps avec minutie, commentent, s'étonnent. Une fois satisfaits, ils invitent le cuisinier à se rhabiller en lui faisant comprendre qu'il peut maintenant user comme bon lui semble de la fille, devant eux ! Ils veulent assister aux ébats, toujours curieux. Le marin, qui n'a pas fait de stage chez Marc Dorcel
avant d'embarquer, est incapable de sacrifier à Vénus. Sa grande verge refuse désespérément de se redresser. C'est Rocco, un jour de déprime. C'est DSK..., non, réflexion faite, ce n'est jamais DSK... Le cuistot regagne bientôt la Boudeuse, complètement traumatisé.
Les jours suivants, l'hospitalité des Tahitiens reste stupéfiante, non seulement ils aident leurs visiteurs blancs à couper du bois, à soigner les malades du scorbut, mais ils les invitent à partager leurs repas et leurs épouses. "On les invitait à entrer dans les maisons, on leur y donnait à manger ; mais ce n'est pas à une collation légère que se borne ici la civilité des maîtres de maison ; ils leur offraient des jeunes filles ; la case se remplissait à l'instant d'une foule curieuse d'hommes et de femmes qui faisaient un cercle autour de l'hôte et de la jeune victime du devoir hospitalier ; la terre se jonchait de feuillage et de fleurs, et des musiciens chantaient aux accords de la flûte un hymne de jouissance. Vénus est ici la déesse de l'hospitalité, son culte n'y admet point de mystères, et chaque jouissance est une fête pour la nation. Ils étaient surpris de l'embarras qu'on témoignait ; nos moeurs ont proscrit cette publicité. Toutefois, je ne garantirais pas qu'aucun n'ait vaincu sa répugnance et ne se soit conformé aux usages du pays", poursuit Bougainville.

Jalousie ?

Événement incroyable, les Tahitiens découvrent la présence d'une femme déguisée en homme à bord de la Boudeuse. Il s'agit du domestique de M. de Commerson, le botaniste de l'expédition. Ce prétendu jeune homme nommé Barret était, en effet, très efféminé sans que l'équipage n'y prête attention. Alors qu'il descend à terre pour herboriser avec son maître, son allure attire aussitôt l'attention des naturels. Ils ont l'oeil. Ils l'entourent, se disputant l'honneur de lui faire visiter l'île, et plus si affinités... La mêlée est telle qu'il faut ramener Barret à bord sous escorte. Le malheureux se jette alors aux pieds de Bougainville en lui avouant s'appeler Jeanne Barret et être l'épouse du botaniste. La jeune femme n'avait trouvé que ce moyen pour accompagner Commerson, puisque les femmes sont interdites de navire.
Finalement, Bougainville ne reste que neuf jours dans l'île enchanteresse. Le 15 avril, les deux vaisseaux lèvent l'ancre et, après avoir failli s'empaler sur les récifs, ils s'élancent vers le large avec des marins désespérés d'avoir à quitter une île aussi charmante. Dans son Voyage autour du monde, l'explorateur français fait de Tahiti une nouvelle Cythère, patrie d'Aphrodite. Ce grand naïf ignore, ou fait semblant d'ignorer, que les Tahitiennes monnayaient leurs faveurs contre des clous. Le fer était alors inconnu des Tahitiens. Les clous leur servaient à faire des hameçons. Pour profiter d'une nuit d'amour, les marins n'hésitaient pas à arracher les clous des planches du navire. "Quoi qu'il en soit, les femmes doivent à leur mari une soumission entière : elles laveraient dans leur sang une infidélité commise sans l'aval de l'époux. Son consentement, il est vrai, n'est pas difficile à obtenir, et la jalousie est ici un sentiment si étranger que le mari est ordinairement le premier à presser sa femme de se livrer. Une fille n'éprouve à cet égard aucune gêne ; tout l'invite à suivre le penchant de son coeur ou la loi de ses sens, et les applaudissements publics honorent sa défaite. Il ne semble pas que le grand nombre d'amants passagers qu'elle peut avoir eus l'empêche de trouver ensuite un mari. Pourquoi donc résisterait-elle à l'influence du climat, à la séduction de l'exemple ? L'air qu'on respire, les chants, la danse, presque toujours accompagnée de postures lascives, tout rappelle à chaque instant les douceurs de l'amour, tout crie de s'y livrer..."

Distinction des rangs

En conversant avec le Tahitien Aotourou qu'il ramène en Europe, Bougainville comprend que derrière le tableau paradisiaque se cache une réalité plus sombre. "J'ai dit plus haut que les habitants de Tahiti nous avaient paru vivre dans un bonheur digne d'envie. Nous les avions crus presque égaux entre eux, ou du moins jouissant d'une liberté qui n'était soumise qu'aux lois établies pour le bonheur de tous. Je me trompais, la distinction des rangs est fort marquée à Tahiti, et la disproportion cruelle. Les rois et les grands ont droit de vie ou de mort sur leurs esclaves et valets ; je serais même tenté de croire qu'ils ont aussi ce droit barbare sur les gens du peuple qu'ils nomment Tata-einou, hommes vils ; toujours est-il sûr que c'est dans cette classe infortunée qu'on prend les victimes pour les sacrifices humains. La viande et le poisson sont réservés à la table des grands ; le peuple ne vit que de légumes et de fruits. Jusqu'à la manière de s'éclairer dans la nuit différencie les états, et l'espèce de bois qui brûle pour les gens considérables n'est pas la même que celle dont il est permis au peuple de se servir. Les rois seuls peuvent planter devant leurs maisons l'arbre que nous nommons le saule pleureur ou l'arbre du grand seigneur. On sait qu'en courbant les branches de cet arbre et en les plantant en terre, on donne à son ombre la direction et l'étendue qu'on désire ; à Tahiti il est la salle à manger des rois."
Un an après le passage de Bougainville, un navire anglais fait relâche à Tahiti. À son retour en Angleterre, l'équipage accuse les marins français d'avoir fait cadeau aux Tahitiennes de la chaude-pisse. Le navigateur français répondra du tac au tac en affirmant que la maladie était déjà dans l'île, probablement léguée par l'équipage du capitaine anglais Wallis qui avait été le premier à découvrir Tahiti, dix mois avant lui. Encore une histoire d'amour qui finit dans la syphilis...