mercredi 28 mai 2014

LE BONHEUR EST DANS LE PRé







Hubert Reeves : ces petits bonheurs qui font une grande vie

Notre chroniqueur livre ses clés pour avoir une belle vie : être en adéquation avec la nature et savoir apprécier les oeuvres des grands compositeurs.

Apprécier et connaître la nature : l'une des clés du bonheur, selon Hubert Reeves.
Apprécier et connaître la nature : l'une des clés du bonheur, selon Hubert Reeves. 
Il m'arrive quelquefois de sentir monter en moi un grand sentiment de reconnaissance envers la vie qui m'a si bien traité, qui m'a épargné tant des malheurs dont sont accablés beaucoup d'êtres humains, un peu partout sur la planète. Je n'ai connu ni la misère, ni la guerre, ni les camps de concentration. J'ai une famille et des amis que j'aime et qui m'aiment.
Pourquoi moi ? Pourquoi ai-je été comblé par le destin ? Il n'y a, bien sûr, nulle réponse à ces questions..., mais un impératif s'impose : celui de profiter au mieux de cette chance aussi longtemps qu'elle sera présente. Aussi me suis-je souvent demandé comment je pourrais faire profiter à d'autres des bienfaits dont j'ai moi-même bénéficié. Dans ce but, je me propose de livrer certains des éléments qui m'ont été si bienfaisants, avec l'espoir que ces propos pourraient se révéler bénéfiques à ceux qui en sont aux premières étapes de leur existence terrestre.
Une première recommandation porte sur ce qu'on pourrait appeler des projets d'investissement dans des sources de plaisir. Comment se préparer à goûter des joies qui embelliront tout le cours de l'existence ? Certaines de ces préparations sont simples et faciles, d'autres exigent du temps et des efforts que les futures gratifications qui en découleront compenseront mille fois.

Un énorme "retour sur investissement"

Les plus précieuses, à mon avis, sont en rapport avec l'appropriation des phénomènes de la nature : apprendre à reconnaître les fleurs sauvages, les arbres fleuris, les chants des oiseaux, à identifier les planètes, les étoiles et les constellations... Ces connaissances acquises enchantent le passage des saisons et enrichissent la vie tout entière. Le printemps s'illumine des anémones sylvie dans les sous-bois, des merisiers blancs le long des chemins de campagne, des teintes roses si délicates des arbres de Judée dans les presbytères. Et l'on se réjouit des premiers chants mélodieux des merles noirs en février, des ritournelles susurrantes des rouges-gorges puis, en avril, du "je suis là" du coucou gris, et du chant flûté de la fauvette à tête noire, du retour joyeux des loriots dans les grands arbres des jardins. Il y a des CD et des livres pour s'initier à ces savoirs. Il faut la volonté de s'y mettre. Le "retour sur investissement", comme on dit en langage économique, est énorme. Tous les efforts consentis sont abondamment récompensés tout au long de la vie et particulièrement, je peux en témoigner par ma propre expérience, au temps des loisirs accrus qu'amène le grand âge.

Sous le charme


La musique est un autre domaine privilégié pour l'apprentissage des bonheurs de la vie. Une de mes grandes frustrations est de ne pas avoir appris à jouer d'un instrument de musique, le violoncelle, par exemple. Je me sens pris d'un grand sentiment d'envie quand je vois les doigts de mes petits-enfants courir avec agilité sur le clavier du piano de leur salon familial. Si j'ai une autre vie - qui sait ? -, j'irai rapidement m'inscrire au conservatoire... Heureusement, il me reste l'option d'écouter la musique et de reconnaître mes pièces favorites quand je les entends ici ou là. Au fil des auditions répétées des oeuvres d'un auteur, Mozart ou Wagner, ou tout autre, selon les goûts de chacun, on arrive à composer intérieurement une représentation intime de la personne du compositeur. Ainsi se crée un lien affectif qui va en s'enrichissant au cours des années. Ainsi, Beethoven, bien que mort depuis longtemps, m'est un ami familier que je retrouve toujours avec plaisir quand mon oreille perçoit les mesures chéries de ses oeuvres. Mon coeur est en alerte. Je suis sous le charme.

"Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait"... C'est dans le but de contrer ces mots mélancoliques que j'ai rédigé ce texte et pour faire en sorte que ce vieux dicton soit périmé !




 

Hubert Reeves : "Rien n'est plus merveilleux que l'homme"

Le Point.fr - Publié le

La faculté d'adaptation rend l'esprit humain unique dans l'ensemble des espèces vivantes, rappelle Hubert Reeves.

Photo d'illustration.
Photo d'illustration. 
C'est la phrase de Sophocle que répétait le choeur d'Antigone, il y a deux millénaires, en déclinant les prouesses des êtres humains. Cette admiration sans borne est reprise au XXe siècle par plusieurs physiciens, dont Einstein et John Wheeler, devant l'extraordinaire aptitude de l'intelligence humaine à déchiffrer le comportement de la nature. La physique quantique et la théorie de la relativité reproduisent, en effet, par calcul, certains résultats d'expériences de laboratoire avec des précisions supérieures à une partie dans un milliard ! Cette faculté rend l'esprit humain unique dans l'ensemble des espèces vivantes. Ses seuls compétiteurs connus sont le singe qui, rapporte-t-on, peut compter jusqu'à neuf et le corbeau qui peut compter jusqu'à sept.
Rappelons que, dans le contexte de l'évolution darwinienne, les facultés des êtres vivants se développent pour rencontrer les besoins d'adaptations aux conditions environnementales. Dans ce but, une certaine agilité à manipuler des images mentales est certes utile. Mais le même cadre explicatif peut-il rendre compte de l'apparition des prouesses fantastiques de l'esprit humain ? Question jusqu'ici sans réponse...

Le génie humain est impliqué dans sa propre précarité

La discussion s'enrichit à faire remarquer que les mêmes fabuleuses facultés mentales étaient nécessaires pour déchiffrer le comportement intime de la nature et élaborer des bombes atomiques, sachant que celles-ci pourraient éliminer l'espèce humaine. Cette mise en rapport des mots de Sophocle avec ceux d'Einstein peut au moins nous faire constater que le génie humain est impliqué dans sa propre précarité. Il peut mener à sa propre élimination. Cela, Sophocle l'ignorait, et c'est le XXe siècle qui nous l'apprit.
Dans le monde vivant, un des critères de longévité est la capacité à s'adapter à des situations naturelles changeantes. Les espèces qui n'y arrivent pas périssent. Celles qui y arrivent, par des mutations génétiques ou autrement, survivent et perdurent.
Aujourd'hui s'ajoute à cela la nécessité de s'adapter également aux situations nouvelles créées par les humains eux-mêmes. La crise écologique contemporaine en est la manifestation la plus spectaculaire. Le génie humain est-il assez "merveilleux" pour résoudre cette crise ? C'est la question qui se pose aujourd'hui à nous avec insistance, provoquant notre inquiétude. Il ne s'agit de rien moins que de la survie de notre espèce...

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Billet de bonne humeur