Déjà inquiets de la hausse du taux de mortalité chez les lions de mer, du changement de comportement des requins ou de l’apparition d’espèces de poissons évoluant habituellement en haute mer, les biologistes de l’Ouest des États-Unis déplorent aujourd’hui la disparition presque totale de l’étoile de mer tournesol ou soleil de mer (Pycnopodia helianthoides).
Six ans après avoir été touchée par une maladie débilitante, cette espèce ne se trouve plus qu’en nombre réduit et cette diminution menace par ricochets de détruire l’écosystème marin.
Réchauffement de l’océan
Selon Drew Harvell, professeur de biologie et d’écologie au sein de l’université de Cornell, les changements climatiques sont en partie responsables : « La cause de la disparition de l’étoile de mer est un mystère, mais cela a coïncidé avec un réchauffement de l’océan Pacifique, explique-t-il. Ces changements sont liés à la sécheresse extrême sur la côte Ouest, qui a duré deux ans et s’est achevée en 2015. Les eaux se sont nettement réchauffées, faisant proliférer les maladies fatales aux invertébrés. »
Auteur d’une étude sur la population des étoiles de mer, le scientifique se montre inquiet. « Je n’ai jamais vu un déclin de cette ampleur au sein d’une espèce. Il est urgent de mettre en place un programme de protection et de repeuplement. »

Auparavant présente par milliers dans les eaux du Pacifique, l’étoile de mer tournesol a quasiment disparu. (Photo : Neil McDaniel)


Plus aucun plongeur n’a aperçu d’étoile de mer tournesol dans les eaux de l’Oregon et de Californie récemment. (Photo : Ed Bowlby / Olympic Coast NMS / OAR / Office of Ocean Exploration, NOAA Photo Library / domaine public / Wikimédia)

Les travaux de recherche de Harvell et de son équipe ont permis de retracer ce déclin de l’étoile de mer, à partir de données obtenues par les plongeurs. Entre 2006 et 2014, ceux-ci observaient en moyenne « environ 100 étoiles au cours de leurs plongées ».
Mais tout a changé très rapidement. « Depuis trois ans, dans 60 % des observations réalisées dans l’État de Washington et au Canada, aucune étoile de mer de tournesol n’a été aperçue. Pire, en Californie et en Oregon, dans 100 % des enquêtes : zéro observation. »
L’oursin pourpre est devenu roi
Paradoxalement, les étoiles de mer tournesol ont commencé à mourir alors que la population de leur proie préférée progressait. « L’épidémie chez les étoiles de mer a entraîné la prolifération de l’oursin pourpre, puisque ce dernier n’a plus de prédateur, explique Mark Carr, professeur d’écologie et de biologie évolutive à l’Université de Californie à Santa Cruz. Les étoiles de mer maintenaient en effet l’équilibre écologique. Mais pratiquement anihilées, elles laissent les oursins pourpres se multiplier sur des milliers de kilomètres. »

L’oursin pourpre (Strongylocentrotus purpuratus) prolifère dans les eaux du Pacifique. (Photo : Laura Francis / NOAA Central Library / domaine public / Wikimédia)

Cette variété d’oursin (Strongylocentrotus purpuratus) se nourrit d’algues et de plantes aquatiques, avec une prédilection pour les algues brunes (le « kelp »). Une végétation essentielle à l’écosystème de cette région du Pacifique, puisque ces « forêts d’algues » abritent de jeunes poissons, des crabes, des escargots et de nombreux autres animaux.
Débarrassé de toute menace, l’oursin pourpre en profite pour ravager les forêts d’algues. À tel point que les biologistes ont surnommé certaines zones « le désert perdu des oursins ».
« Déforestation » sous-marine
Privée de végétation, affaiblie par les épidémies, l’étoile de mer tournesol ne parvient pas à repeupler ces régions. Et si les plongeurs en aperçoivent parfois, il ne s’agit en fait que de cadavres, « semblables à une sorte de gelée ».

Les eaux bleues du Pacifique le long de la côte américaine sont un signe de mauvaise santé des fonds marins : « Lorsque l’eau est claire, cela signifie qu’il n’y a plus de végétaux », soulignent les scientifiques. (Photo : Stéphane Cugnier)


Les grandes algues brunes (kelp) de la côte Pacifique américaine servent à la fois d’abri, de nurserie, de garde-manger à une multitude d’espèces… (Photo : capture d’écran YouTube / ThankYouOcean.org)

L’étoile de mer n’est pas la seule victime. Récolté en masse pour les sushis, l’oursin rouge décline aussi. Les algues constituaient en effet leur seul refuge et le lieu où ils relâchaient leurs gamètes pour se reproduire. Même chose pour les ormeaux.
Face à cette « déforestation sous-marine » les scientifiques tirent la sonnette d’alarme : « Perdre des algues, c’est perdre un régime et des éléments nutritifs, la pierre angulaire de la chaîne alimentaire,explique Mark Carr. Les hérons peuvent plonger dans une forêt d’algues épaisse et saine, et chasser les jeunes poissons. Les loutres s’y enveloppent pour faire la sieste. Toute la faune en profite. »
Et si les touristes s’enthousiasment devant les eaux bleues du Pacifique, Drew Harvell y voit, lui, un mauvais signe. « Lorsque l’eau est claire, cela signifie qu’il n’y a plus de végétation sous-marine. Il ne reste qu’un nombre incalculable d’oursins pourpres, attendant de la dévorer à nouveau lorsqu’elle tentera de se rétablir… »