Des plongeurs amateurs découvrent un bombardier au large de Saint-Malo
« C’est l’aboutissement de recherches démarrées il y a vingt ans ! » Olivier Brichet, 56 ans, n’est pas peu fier de sa découverte hors du commun qu’il a tenu secrète jusqu’à maintenant.
Avec Thierry Trotin, son habituel binôme de plongée sous-marine, ce professeur de technologie au collège des Ormeaux de Rennes (Ille-et-Vilaine), a retrouvé la trace d’un bombardier canadien au large de Saint-Malo. Abattu par les Allemands le 31 août 1944, cet Handley Page Halifax gisait, là, à environ un kilomètre au large de la pointe de la Varde.
Fasciné par les mystères
Depuis un peu plus de vingt ans maintenant, sur son temps de loisirs, lorsque la météo le permet, ce passionné de la Seconde Guerre mondiale a donc sondé les fonds marins de la zone avec son ami. « Je suis fasciné par l’aspect mystérieux de l’exploration sous-marine en terre vierge, encore sauvage, en quête de ce qu’on n’a pas encore retrouvé. »
Il s’est beaucoup documenté sur cet appareil et sur l’époque. « À partir de 1942, les Allemands fortifient l’île de Cézembre, des canons de gros calibre interdisent l’accès de baie de Saint-Malo aux navires alliés, elle est également dotée d’une puissante défense antiaérienne, rappelle-t-il. L’île commandée par l’Oberleutnant Richard Seuss est occupée par près de 400 hommes : des marins allemands, des soldats russes, italiens et polonais. »
Le 6 août 1944, l’armée américaine arrive à Saint-Malo par la route nationale 137. Le 17 août, après plusieurs jours de combats meurtriers et de nombreuses destructions, les Allemands qui occupent la cité corsaire capitulent. L’île de Cézembre est le dernier bastion qui résiste. Pour les Américains, la destruction de cette position est primordiale afin qu’ils puissent utiliser les ports de Granville, Cancale et Saint-Malo pour l’acheminement du matériel et des provisions qui sont vitaux pour eux.
« L’idée d’un débarquement est très vite écartée : il serait très coûteux en vies humaines. On lui préfère un pilonnage systématique par l’artillerie terrestre, soutenu par l’aviation qui largue des bombes explosives, incendiaires au phosphore ou au napalm. Cézembre reçoit ses ordres de Jersey, commandée par le vice-amiral Hüffmeier, un fervent nazi qui applique avec zèle les consignes du Führer : résister aux alliés afin de retarder leur progression vers l’Allemagne. Richard Seuss refuse donc de capituler… »
L’enseignant poursuit : « Puisqu’il en est ainsi, le commandement américain décide d’anéantir la garnison avec les obus de 380 mm des cuirassés britanniques HMS Warspite et Malaya.Malgré ce « déluge de fer », aucun drapeau blanc n’apparaît… »
Le jeudi 31 août marque l’apogée de cet enfer. « En fin de matinée, 165 Halifax de 6 groupes attaquent l’île, poursuit-il. Il fait beau et le ciel est dégagé, cinq Mosquito marquent les cibles. Les quadrimoteurs larguent leurs bombes. Les Malouins libérés depuis peu, se sont massés sur le Sillon pour assister au spectacle ! Après quatre longues années passées sous le joug des Allemands, ils ne sont pas mécontents de voir l’occupant subir les bombardements. »
Quinze appareils canadiens du Squadron 433 participent à ce raid. Le Halifax If any, piloté par James Ralph Beveridge vient de larguer ses bombes lorsqu’il est touché par la défense antiaérienne allemande.
« Il perd rapidement de l’altitude, raconte Olivier Brichet. Il se dirige vers la pointe de la Varde, sous le regard anxieux des Malouins. L’appareil est trop bas pour que l’équipage puisse sauter en parachute, Beveridge et son copilote décident de tenter un amerrissage en s’approchant au maximum de la pointe de la Varde. Mais l’avion percute brutalement la surface de l’eau, se brise et coule rapidement. »
Il ajoute : « La mer est basse et les nombreux témoins affluent sur la plage pour recueillir les éventuels survivants. En vain. L’appareil a disparu, aucun des sept membres d’équipage n’a pu quitter son bord, leurs corps ne seront jamais retrouvés. Le mécanicien, Charles William Garrett, était le seul Anglais de l’équipage, âgé de 36 ans, il avait dépassé l’âge légal pour voler. Il a probablement été obligé d’insister pour contourner le règlement de la Royal Air Force. Le plus jeune, James Reid Hawkins, le mitrailleur dorsal n’avait que 20 ans. George William Pharis, le mitrailleur arrière, avait déjà perdu son frère en novembre 1943, dont l’appareil s’était écrasé. Deux jours plus tard, l’île de Cézembre finira par capituler… »
Des Malouins témoins du crash
Tous ces détails de l’histoire, il les a appris en se documentant, mais également grâce à un appel à témoins lancé, en 1998, via la presse locale. « J’espérais recueillir le témoignage éventuel de Malouins ayant vécu, enfants, les derniers instants de l’appareil. » Bingo ! Huit personnes répondent à son appel. « C’est très émouvant de lire ces lettres écrites par des personnes âgées qui étaient adolescentes à l’époque. Toutes ont vu le bombardier tomber en mer, en revanche les versions divergent… La longitude n’était pas mal, mais la latitude, vue de terre… »
Thierry Trotin et Olivier Brichet décident donc d’établir une zone de recherche assez vaste : un rectangle d’un kilomètre sur deux. Ils ratissent d’abord sans succès la zone au sondeur. Mais se doutent que, comme d’autres épaves d’avions de la région, le bombardier s’est certainement disloqué. Ils optent alors pour une méthode beaucoup plus aléatoire : des plongées en dérive… « Pendant vingt ans nous avons dû effectuer plus de 40 plongées, portés par les courants… »
Une précieuse coordonnée GPS
Le 30 juin 2018, Yann Ecolan, un plongeur malouin, leur confie un nouveau précieux indice : la position GPS d’une hélice tripale. « En plongeant, nous identifions une hélice Hamilton standard qui était montée sur les Halifax, se souvient Olivier. Elle gît seule, sur un tombant rocheux, elle a probablement été déposée par des pêcheurs professionnels, afin d’éliminer cette croche. La position de cette hélice nous indique une latitude, en la recoupant avec les témoignages de l’époque, nous orientons alors nos recherches à l’est de ce point. Le 11 juillet, nous effectuons plusieurs plongées en dérive, lors de la dernière, nous découvrons un morceau d’aile isolé. »
Thierry Trotin retourne sur les lieux en poussant la sensibilité du sondeur. Il obtient plusieurs petits échos. Sous l’eau, les deux hommes découvrent les quatre moteurs du bombardier et de nombreux débris qui reposent sur un fond vaseux, recouvert de crépidules (des mollusques, NdlR.). L’avion a beaucoup souffert des tempêtes et des dragues de pêcheurs. « Il semblerait que les pêcheurs connaissaient cette épave ainsi que les pompiers de Saint-Malo qui auraient remonté une hélice dans les années 1980… », estime l’enseignant rennais. De son côté, Thierry Trotin réussi à formellement identifier l’appareil en trouvant une « chemise louvoyante », caractéristique des moteurs Bristol Hercules qui équipaient les Halifax.
Les deux hommes ont fait part de leur découverte à la Direction des recherches archéologiques sous-marines. Ils ont également prévenu Rolland Mazurié de Garenne, le président du Souvenir Français de Saint-Malo. Lequel a déjà prévu d’organiser une commémoration en mer qui aura lieu le 31 août prochain. En attendant, les deux plongeurs amateurs ont noué des contacts avec l’ambassade du Canada afin de retrouver les familles des disparus.
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