Fête des mères: la souffrance des femmes sans enfant
La Fête des mères apparaît ainsi comme une journée qui exalte la fécondité mais aussi qui exclut des femmes, en particulier celles qui disent « ne pas avoir eu la chance d’avoir un enfant ». Jeanne, rencontrée à l’hiver 2018 dans le cadre d’un projet de recherche intitulé « Avoir ou non des enfants au Québec », déclarait par exemple que « jusqu’à il y a deux ans, la perspective de la Fête des mères, c’était atroce ».
En recueillant des témoignages de femmes qui n’ont pas eu d’enfant, il m’a ainsi été possible aussi de mieux saisir les représentations associées à la féminité et à la maternité.
Pour les femmes involontairement sans enfant rencontrées, la maternité est apparue comme une phase importante dans la définition de soi et la construction identitaire. Plusieurs femmes ont ainsi déclaré ne pas se sentir complètement accomplies et ressentir un sentiment d’échec parce qu’elles n’ont pas eu la chance de vivre une grossesse.
Elles ont le sentiment d’être passées à côté d’une relation spéciale, comme le lien d’attachement à un enfant que décrivent certaines de leurs amies. Elles ne se sentent pas, comme l’expliquait par exemple Astride, « normale[s], comme les autres femmes, les mères ».
Pourquoi ces femmes ont-elles ces sentiments ? Quel regard portons-nous, en tant que société, sur ces femmes ? Ce qu’elles ressentent et vivent n’est en fait que le reflet d’un système socioculturel qui s’appuie sur des inégalités comme celui d’être fécond ou non, ou sur celles fondées sur le genre, autrement dit sur un modèle culturel nataliste et patriarcal.
La Fête des mères est apparue aux États-Unis à la fin de la première décennie du XXe siècle, après qu’Anna Jarvis (1864-1948) ait plaidé auprès d’hommes publics pour qu'une journée soit consacrée aux mères en hommage à la sienne. Au Canada, elle trouve sa place, bon an mal an, dans les médias et les commerces, où elle est une business florissante.
La Fête des mères est apparue aux États-Unis à la fin de la première décennie du XXe siècle, après qu’Anna Jarvis (1864-1948) ait plaidé auprès d’hommes publics pour qu'une journée soit consacrée aux mères en hommage à la sienne. Au Canada, elle trouve sa place, bon an mal an, dans les médias et les commerces, où elle est une business florissante.
Éliminer la stigmatisation
Car la maternité est aussi le moment de réinstaurer aux femmes leur fonction et leur genre, dans la mesure où l’exercice féminin de la parentalité diffère de celui des hommes, comme l'écrit Sarah Lécossais. Les mères restent ainsi par exemple toujours celles à qui incombe la majorité des tâches familiales et domestiques.
Dans le même temps, elles peuvent aussi contribuer, dans une certaine mesure, à entretenir ce modèle, en faisant de la maternité une « chasse-gardée » des mères , et/ou en adoptant des pratiques de « maternité intensive » .
Comment sortir de ces paradoxes : celui qui peut conduire des femmes involontairement sans enfant « à avoir des idées suicidaires » (comme avoué par exemple par Chloé) mais aussi celui qui peut les amener « à regretter d’avoir eu des enfants » ?
Une solution serait peut-être de repenser, de façon critique, le rôle, la place et l’importance de chacun et chacune dans la société. Il s'agit d'assurer l’acceptation complète des itinéraires personnels et contribuer ainsi à éliminer une stigmatisation dont la Fête des mères reste indubitablement le signe.
post-apostrophum
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N’avoir ni mari ni enfant, la clé du bonheur pour les femmes ?
C’est une injonction de nos sociétés patriarcales : une femme sans un homme à ses côtés et au moins un enfant ne saurait être vraiment épanouie… Cette idée insidieuse reste ancrée dans les esprits, même si elle est mise à mal depuis quelques années.
La question de la charge mentale – le fait que les femmes gèrent le foyer en plus de travailler à temps plein – et la libération de la parole sur les réalités de la maternité questionnent sérieusement le bonheur supposé des femmes « casées » et des mères de famille. Cependant, certaines études continuent à présenter le mariage et la maternité comme des facteurs d’épanouissement.
Mais à en croire Paul Dolan, professeur en science du comportement à la London School of Economics, les femmes ont tout intérêt à éviter de se plier aux normes de la société. Le week-end dernier, l’universitaire britannique participait à une conférence au Hay Festival, qui se tient à Hay on Wye, au Pays de Galles, jusqu’au 2 juin. « Le sous-groupe de la population le plus heureux et en meilleure santé sont les femmes jamais mariées et sans enfants », a-t-il déclaré lors de cet événement, rapporte les médias britanniques.
Le mythe de la vie parfaite
Paul Dolan aborde longuement la question des injonctions de la société et la quête du bonheur dans son dernier ouvrage, Happy Ever After : Escaping the Myth of the Perfect Life (Et ils vécurent heureux : le mythe de la vie parfaite, non traduit), publié en janvier 2019 au Royaume-Uni. Dans cet essai, le chercheur s’appuie sur une enquête américaine (American Time Use Survey, ou ATUS) qui compare le degré d’épanouissement des personnes jamais mariées, mariées, divorcées, séparées et veuves.
D’après cette enquête, « les personnes mariées se disent plus heureuses que les autres sous-groupes de la population, mais seulement lorsque leur époux ou leur épouse est dans la pièce. Quand leur époux ou leur épouse n’est pas là, elles se disent horriblement malheureuses », a détaillé Paul Dolan.
Selon lui, c’est pire pour les femmes. « Si vous êtes un homme, vous devriez probablement vous marier. Si vous êtes une femme, ne vous donnez pas cette peine », a affirmé l’universitaire, volontairement provocateur.
Pour le pire, mais pas pour le meilleur
Études à l’appui, Paul Dolan explique que le mariage a beaucoup plus d’effets bénéfiques sur la santé des messieurs que sur celle des dames. S’unir pour le meilleur et pour le pire ne changerait quasiment rien pour elles. Mais après avoir fait des enfants et enduré plusieurs années de mariage, les femmes auraient plus de risques de développer un problème de santé physique ou mentale que les hommes.
Toutefois, Paul Dolan reconnaît que la stigmatisation des femmes célibataires sans enfants est pesante. « Vous êtes une femme célibataire de 40 ans qui n’a jamais eu d’enfants… On va vous dire : « Quel dommage ! Peut-être qu’un jour vous rencontrerez le bon et que votre situation changera. » Non. Peut-être qu’elle fera une mauvaise rencontre et que sa situation changera. Peut-être qu’elle rencontrera un homme qui la rendra moins heureuse et qu’elle mourra plus tôt que prévu », a-t-il déploré.
Un mythe né dans les contes
Alors, comment lutter contre les idées reçues sur « la vie parfaite » ? Dans son ouvrage, dont un extrait a récemment été publié dans le journal britannique The Guardian, Paul Dolan explique que nous construisons ce mythe dès notre plus jeune âge :
« Repensez aux histoires qu’on vous lisait quand vous étiez enfant. Je suis persuadé que les mots suivants se sont nichés dans un coin de votre cerveau : « Ils sont tombés amoureux, ils se sont mariés, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Ces fins heureuses restent en tête. Une écrasante majorité d’entre nous affirment considérer le mariage comme un idéal et nous le projetons régulièrement sur les autres. »
Il rappelle qu’au Royaume-Uni, deux mariages sur cinq finissent en divorce. C’est presque un sur deux en France. De plus, les séparations, en règle générale, sont présentées comme un échec, un gâchis pour les enfants, alors qu’une rupture a aussi parfois du bon, dit-il :
« Nous avons une très bonne capacité d’adaptation et nous sommes doués pour aller de l’avant. Donc si vous avez un doute, partez. Ne laissez pas la société vous convaincre de rester plus que cela n’est raisonnable », écrit-il.
Selon Paul Dolan, les parents devraient prévenir leurs enfants que « l’amour [ne] signifie [pas] toujours qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». L’universitaire ajoute que les réseaux sociaux jouent un rôle positif dans la déconstruction de ces mythes. Des groupes se forment, la parole se libère et des personnes qui se sentent marginales se rendent compte qu’elles ne sont pas seules.
En France par exemple, des comptes comme Mother F*cking Storiessur le réseau social Twitter et bordel.de.meres sur le réseau social Instagram montrent bien que la maternité est loin d’être un long fleuve tranquille.
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