C’est une injonction de nos sociétés patriarcales : une femme sans un homme à ses côtés et au moins un enfant ne saurait être vraiment épanouie… Cette idée insidieuse reste ancrée dans les esprits, même si elle est mise à mal depuis quelques années.
La question de la charge mentale – le fait que les femmes gèrent le foyer en plus de travailler à temps plein – et la libération de la parole sur les réalités de la maternité questionnent sérieusement le bonheur supposé des femmes « casées » et des mères de famille. Cependant, certaines études continuent à présenter le mariage et la maternité comme des facteurs d’épanouissement.
Mais à en croire Paul Dolan, professeur en science du comportement à la London School of Economics, les femmes ont tout intérêt à éviter de se plier aux normes de la société. Le week-end dernier, l’universitaire britannique participait à une conférence au Hay Festival, qui se tient à Hay on Wye, au Pays de Galles, jusqu’au 2 juin. « Le sous-groupe de la population le plus heureux et en meilleure santé sont les femmes jamais mariées et sans enfants », a-t-il déclaré lors de cet événement, rapporte les médias britanniques.
Certaines études présentent encore le mariage comme un facteur d’épanouissement. (Photo d’illustration : Pxhere)
Le mythe de la vie parfaite
Paul Dolan aborde longuement la question des injonctions de la société et la quête du bonheur dans son dernier ouvrage, Happy Ever After : Escaping the Myth of the Perfect Life (Et ils vécurent heureux : le mythe de la vie parfaite, non traduit), publié en janvier 2019 au Royaume-Uni. Dans cet essai, le chercheur s’appuie sur une enquête américaine (American Time Use Survey, ou ATUS) qui compare le degré d’épanouissement des personnes jamais mariées, mariées, divorcées, séparées et veuves.
D’après cette enquête, « les personnes mariées se disent plus heureuses que les autres sous-groupes de la population, mais seulement lorsque leur époux ou leur épouse est dans la pièce. Quand leur époux ou leur épouse n’est pas là, elles se disent horriblement malheureuses », a détaillé Paul Dolan.
Selon lui, c’est pire pour les femmes. « Si vous êtes un homme, vous devriez probablement vous marier. Si vous êtes une femme, ne vous donnez pas cette peine », a affirmé l’universitaire, volontairement provocateur.
Une femme célibataire et sans enfant de plus de 40 ans est, encore aujourd’hui, regardée de travers. (Photo d’illustration : Pixabay)
Pour le pire, mais pas pour le meilleur
Études à l’appui, Paul Dolan explique que le mariage a beaucoup plus d’effets bénéfiques sur la santé des messieurs que sur celle des dames. S’unir pour le meilleur et pour le pire ne changerait quasiment rien pour elles. Mais après avoir fait des enfants et enduré plusieurs années de mariage, les femmes auraient plus de risques de développer un problème de santé physique ou mentale que les hommes.
Toutefois, Paul Dolan reconnaît que la stigmatisation des femmes célibataires sans enfants est pesante. « Vous êtes une femme célibataire de 40 ans qui n’a jamais eu d’enfants On va vous dire : « Quel dommage ! Peut-être qu’un jour vous rencontrerez le bon et que votre situation changera. » Non. Peut-être qu’elle fera une mauvaise rencontre et que sa situation changera. Peut-être qu’elle rencontrera un homme qui la rendra moins heureuse et qu’elle mourra plus tôt que prévu »a-t-il déploré.
Selon Paul Dolan, nous intégrons le « mythe de la vie parfaite » dès l’enfance. (Photo d’illustration : Losevsky Pavel / Fotolia)
Un mythe né dans les contes
Alors, comment lutter contre les idées reçues sur « la vie parfaite » ? Dans son ouvrage, dont un extrait a récemment été publié dans le journal britannique The Guardian, Paul Dolan explique que nous construisons ce mythe dès notre plus jeune âge :
« Repensez aux histoires qu’on vous lisait quand vous étiez enfant. Je suis persuadé que les mots suivants se sont nichés dans un coin de votre cerveau : « Ils sont tombés amoureux, ils se sont mariés, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Ces fins heureuses restent en tête. Une écrasante majorité d’entre nous affirment considérer le mariage comme un idéal et nous le projetons régulièrement sur les autres. »
Il rappelle qu’au Royaume-Uni, deux mariages sur cinq finissent en divorce. C’est presque un sur deux en France. De plus, les séparations, en règle générale, sont présentées comme un échec, un gâchis pour les enfants, alors qu’une rupture a aussi parfois du bon, dit-il :
« Nous avons une très bonne capacité d’adaptation et nous sommes doués pour aller de l’avant. Donc si vous avez un doute, partez. Ne laissez pas la société vous convaincre de rester plus que cela n’est raisonnable », écrit-il.
Les réseaux sociaux aident à lutter contre les idées reçues sur le célibat et la maternité. (Photo d’illustration : Radomir Jordanovic / Pexels)
Selon Paul Dolan, les parents devraient prévenir leurs enfants que « l’amour [ne] signifie [pas] toujours qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». L’universitaire ajoute que les réseaux sociaux jouent un rôle positif dans la déconstruction de ces mythes. Des groupes se forment, la parole se libère et des personnes qui se sentent marginales se rendent compte qu’elles ne sont pas seules.
En France par exemple, des comptes comme Mother F*cking Storiessur le réseau social Twitter et bordel.de.meres sur le réseau social Instagram montrent bien que la maternité est loin d’être un long fleuve tranquille.