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jeudi 28 décembre 2023
Les news
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ACTUS,
BILLET D'HUMEUR
lundi 1 novembre 2021
SPÉCIAL TOUSSAINT ...
Le petit navire
Il était un
petit navire
Qui avait
beaucoup voyagé
Il était je
dois vous le dire
Par Notre
Dame protégé
Car depuis
des mois, des semaines,
De très
longs mois, de très longs ans,
Voguant
sur les mers incertaines
Il avait
bravé le gros temps.
Les marins
hâlés par la bise
Très vieux
marchaient à pas pesants
Les mousses
avaient barbe grise
Le capitaine
avait cent ans..
En dépit des
vieilles voilures
Des boutes
et des filins trop courts
Qui
pendaient le long des mâtures
Le navire
avançait toujours…
Si bien que
par un soir d’orage
Chassé par
l’ouragan fatal
Le bateau,
sans mât ni cordages
Vint
s’échouer au port natal.
Mais au pays
qui le vit naître
On
l’accueillit avec des cris
On n’eut que
rires que menaces
Pour les
pauvres marins abattus…
Les enfants,
avec des grimaces,
Lancèrent
des cailloux pointus,
Alors, sans
vivres, sans ressources,
Levant
l’ancre encore une fois,
Le navire
reprit sa course
Pour des
semaines et des mois…
Aux feux de
la naissante aurore
Là-bas dans
l’océan confus
On l’aperçut
longtemps encore
Puis, un
jour, on ne le vit plus…
Le petit
navire sans voiles
Lassé
des océans maudits
Voguait
au-dessus des étoiles :
Il avait
gagné le paradis…
lundi 10 août 2020
L'HORREUR ABSOLUE...
LA BARBARIE DES ASSAILLANTS
Voici les jeunes françaises tués au Niger
Voici les Français (ou plutôt Françaises) et leurs guides qui ont été tués par les musulmans nigériens au nom du Dieu "d'amour et de paix".
Elles étaient venues pour aider et n'ont récolté que la haine. Vous noterez deux choses :
Hormis les deux guides, les victimes sont des jeunes femmes désarmées.
Ce massacre a eu lieu juste après le Ramadan et est donc en conformité exacte avec un verset du Coran : "Après que les mois sacrés expirent, tuez les associateurs (les Chrétiens) où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade."L'islam est un système politico-religieux qui depuis des siècles a largement prouvé son goût du sang. Dans une société qui punit le meurtre, la pédophilie ou l'esclavage, tous crimes encouragés par l'islam, il ne peut être toléré.
De par leurs convictions, les Nazis ont été proclamés criminels et le nazisme a été interdit dans les démocraties . Il est temps de faire la même chose avec l'islam.
Location:
Kouré, Niger
dimanche 26 juillet 2020
MON BILLET D'HUMEUR
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#afrodite,
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AFRODITE,
BILLET D'HUMEUR,
CHAT ALORS !,
ENTRE NOUS,
ÉTÉ 2020,
LU POUR VOUS
vendredi 17 juillet 2020
COUP DE GUEULE
«Inutile» pour le grand public en mars, le masque devient «obligatoire» en juillet
GRAND RÉCIT - Cette saga du masque restera comme LE feuilleton de la crise sanitaire.
Par Soline Roy et Arthur Berdah
L’autodiscipline aura fait long feu. Le port du masque, a affirmé le premier ministre Jean Castex jeudi matin devant les sénateurs, sera désormais «obligatoire dans tous les établissements recevant du public clos, en particulier, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, les commerces». Terminée, la «recommandation chaleureuse» encore prônée quatre jours plus tôt par le ministre de la Santé Olivier Véran. Il faut dire que les Français n’y ont pas tous mis du leur: les enquêtes CoviPrev, menées par Santé publique France depuis la fin mars, montrent une baisse continue du respect des mesures barrières, ainsi que du port du masque, dont la fréquence, après une forte progression jusqu’à fin mai, a baissé avant de se stabiliser à à peine plus de 50 %.
À lire aussi : Peut-on rendre le port du masque obligatoire?
Que les Français le veuillent ou non, le masque n’attend désormais plus qu’une chose pour s’imposer sur leur nez: un décret, dont on espère au ministère de la Santé qu’il sera publié demain pour une obligation d’ici «lundi ou mardi», a précisé Olivier Véran à l’Assemblée nationale jeudi. Commerces, établissements médico-sociaux, banques, administrations, salles de spectacle, cinémas, mais aussi marchés couverts… La liste des établissements potentiellement concernés est «interminable», glisse-t-on au ministère. L’obligation s’appliquerait «à partir de 11 ans» et «sans exception prévue», ajoute l’Élysée. Qui précise cependant: «Nous devons encore travailler sur le secteur privé et les files d’attente.» La responsabilité devrait reposer sur les établissements, et non les usagers, croit-on savoir au ministère de la Santé. Sans apporter plus de précisions sur les sanctions encourues ni les personnes à même de verbaliser les contrevenants.
Il ne faut pas porter de masque quand on n’est pas professionnel de santé.Jérôme Salomon lors de son point presse quotidien
Il en aura pourtant fallu, des tribunes, des interviews et des coups de sang d’experts, dans les colonnes de journaux comme sur les plateaux de télévision, pour aboutir à ce résultat. Il faut dire que cette saga du masque restera comme LE feuilleton de la crise sanitaire… Début mars, Emmanuel Macron présentait comme «très symbolique» la réquisition des stocks et production de masques de protection. La France ne comptait encore que 4 morts, mais les pharmaciens avaient déjà observé une ruée discrète et inhabituelle des Français sur les masques. Des vols étaient signalés dans les cabinets médicaux et jusqu’au sein des blocs opératoires, tandis que les soignants (bientôt rejoints par les pompiers, policiers et autres «personnels essentiels» privés de confinement) rageaient de ne pas disposer d’assez de masques pour se protéger. «Il ne faut pas porter de masque quand on n’est pas professionnel de santé», serinait le directeur général de la Santé Jérôme Salomon lors de son point presse quotidien ; «L’utilisation d’un masque, ce sont des gestes techniques précis (…) et ça peut même être contre-productif», lançait Sibeth Ndiaye, alors porte-parole du gouvernement. «Porter un masque dans la rue ne sert à rien si on n’est pas malade», répétait Olivier Véran.
Des clients réfractaires
À la décharge des autorités, la doctrine scientifique n’a longtemps pas été claire sur la question. Protecteur, le masque? Mais pour qui? Celui qui le met, celui qui lui fait face? Ils sont conçus pour bloquer les projections de celui qui porte le masque, et l’on a longtemps pensé qu’il n’était utile que porté par les personnes présentant des symptômes. L’Organisation mondiale de la santé elle-même ne le recommandait pas au grand public. Mais on sait désormais qu’une personne infectée est contagieuse même sans symptômes, et que le virus se transmet aussi par de toutes petites gouttelettes de salive, capables de rester longtemps en suspension dans l’air et d’aller contaminer à distance de l’émetteur ; le masque semble donc bel et bien indispensable en milieu clos.
» À voir aussi - Le vrai prix des masqus pour les Français
Il ne faut pas pour autant croire que son utilité pour la population générale est une découverte. Preuve en est, le plan pandémie de 2009 l’évoquait déjà: «Pour les personnes indemnes, le port d’un masque anti-projection pourra être préconisé dans les espaces publics à titre de précaution.» Les autorités devaient aussi bien imaginer que le masque chirurgical était protecteur, puisqu’elles l’ont longtemps conseillé aux soignants, faute de pouvoir leur fournir les FFP2 conçus à cet effet…
Mais derrière cette longue dénégation de l’utilité du masque pour le grand public, il y a aussi (surtout?) une faille apparue au grand jour au beau milieu de la crise sanitaire: les stocks stratégiques d’État, notamment censés garantir des masques en quantité suffisante pour faire face à une épidémie d’ampleur, se sont avérés bien moins fournis qu’ils ne l’auraient dû. Et la France s’est trouvée bien en peine de passer des commandes: le monde entier lui faisait concurrence dans la même fièvre acheteuse alors que les usines productrices, pour une large part chinoises, ont longtemps été à l’arrêt à cause de la pandémie.
Se fabriquer son propre masque
Début avril, alors que sur internet fleurissaient les astuces plus ou moins abouties pour se fabriquer son propre masque, l’Académie de médecine se prononçait en faveur du port par tous du masque «même alternatif», «addition logique aux mesures barrières actuellement en vigueur». Jérôme Salomon se rangeait timidement à cette idée que le grand public pourrait, «s’il le souhaite», porter ce type de masques. Le déconfinement se profilant, les collectivités locales se sont mises à commander des masques en tissu, l’obligation de s’en revêtir dans les transports publics était actée et Édouard Philippe, alors premier ministre, jugeait «préférable» de le porter dans les autres lieux clos. «Un commerçant pourra subordonner l’accès de son magasin au port du masque», expliquait-il ; omettant peut-être que ces derniers, éprouvés par une longue fermeture imposée, pourraient rechigner à refuser des clients réfractaires.
Mi-juillet, une tribune de médecins dans Le Parisien, suivie d’une autre dans Libération, réclamaient le port du masque obligatoire dans les lieux clos. «La question se posait avant la une du Parisien, précise-t-on au ministère de la Santé. À partir du moment où on s’est rendu compte qu’il y avait une baisse de la vigilance, et une hausse des indicateurs épidémiologiques, la question a été sur la table.» «Le travail des médias a eu un rôle, presque de lanceur d’alerte, admet-on cependant à l’Élysée. Le gouvernement a mesuré l’impatience. On aurait peut-être dû aller plus vite, il y a peut-être eu une petite erreur de réglage de notre part. Le premier ministre a immédiatement rectifié.»
» À voir aussi - Pourquoi jeter son masque de protection par terre est dangereux et polluant
dimanche 28 juin 2020
SUR LA POLÉMIQUE DES STATUES
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Appel: décolonisons l'espace public!
- 27 JUIN 2020
- PAR LES INVITÉS DE MEDIAPART
- BLOG : LE BLOG DE LES INVITÉS DE MEDIAPART
Dans plusieurs pays, le débat sur les modalités de la suppression des monuments insultant la mémoire des peuples esclavagisés est ouvert. Mais la France refuse totalement d’envisager le moindre changement. Un collectif d'intellectuels et d'organisations appelle « à l’exigence d’une décolonisation de l’espace public » et à « cesser l’occultation des crimes esclavagistes et coloniaux. »
tienne Achille et Lydie Moudileno travaillent tous deux aux États-Unis. Le premier est professeur d’études francophones à l’université de Villanova, en Pennsylvanie. La seconde est professeure d’études françaises et francophones à l’université de Californie du Sud. Si cet exil les rend peu visibles dans le champ académique et médiatique français, il leur a sans doute permis d’avoir l’audace de réécrire, dans une perspective post-coloniale, deux monuments de l’édition française, à la fois les Mythologies de Roland Barthes et les Lieux de mémoire, ouvrage dirigé par Pierre Nora.
Dans Postcolonial Realms of Memory. Sites and Symbols in Modern France, qu’ils codirigent avec Charles Forsdick, ils s’en prennent plus frontalement à l’entreprise historique de Pierre Nora, qui passe sous silence des pans entiers de l’histoire coloniale et impériale de la France. Entretien à l’heure où certaines statues tremblent de part et d’autre de l’Atlantique, même si Emmanuel Macron a annoncé qu’elles ne seront pas déboulonnées.
Quelle lecture faites-vous du débat qui s’est engagé, de part et d’autre de l’Atlantique, sur le sort à réserver aux statues d’hommes appartenant à l’histoire coloniale et à celle de l’oppression raciale ?
Étienne Achille : La résistance institutionnelle est encore plus forte que ce à quoi je m’attendais. Les propos du président Macron sur le « séparatisme » des mobilisations antiracistes, qu’elles soient citoyennes et/ou académiques, sont d’une violence incroyable, tout comme son silence lors d’autres interventions : cette posture n’a finalement rien à envier à celle d’un Donald Trump.
La question est de savoir si les quelques semaines que durera le débat actuel à ce niveau d’intensité seront suffisantes pour poser les jalons nécessaires à une prise de conscience concernant le fait que la France se trouve à un moment charnière : soit elle continue à s’enfoncer dans son aphasie coloniale, dans sa mystique universaliste et son soi-disant exceptionnalisme, qui sont responsables du travail de sape de la République imputés au discours des « séparatistes », soit elle profite de cet élan transnational pour accepter de se regarder dans la glace. On a vu de nombreuses personnes lors des manifestations, mais la mouvance réactionnaire, avec son éternelle rengaine sur le refus de la repentance, l’anti-républicanisme et le communautarisme, a gagné beaucoup de terrain ces dernières années.
Lydie Moudileno : C’est un débat nécessaire, et les mouvements de révolte sont légitimes. Bien sûr, le vandalisme n’est pas la solution. Mais la rigidité d’Emmanuel Macron, qui proclame, sans avoir consulté les Français, que « la République n’effacera aucun nom ou aucune trace de son histoire », est déplorable aussi. Ceci d’autant plus que ladite République a effacé des traces de son histoire auparavant. Pensons aux rues Pétain débaptisées il n’y a pas si longtemps. Ce que démontrent les derniers événements et débats en France, c’est qu’il est temps de prendre au sérieux la question de la mémoire nationale, de réévaluer la légitimité de certains symboles et la place de certains « héros » dans le paysage français. Bref, il faut revoir le dossier de l’histoire coloniale en consultation avec les Français.
La première de vos « mythologies décoloniales » s’intitule « Toponymie républicaine : impasse Général Bugeaud », et vous suggérez d’ajouter des références à la dimension coloniale des rues ou institutions baptisées des noms des généraux républicains. Est-ce à dire qu’il vaut mieux contextualiser les statues, les monuments et les noms de rue que les déboulonner ?
Lydie Moudileno : L’idée de ce premier chapitre était de partir de l’existence d’une grande « avenue Bugeaud » dans le XVIe arrondissement à Paris. Dans cette avenue, les plaques portant le nom de Bugeaud soit ne mentionnent rien, soit mentionnent simplement « Maréchal de France ». Or, si l’on connaît un peu l’histoire coloniale, on sait que Bugeaud est aussi tristement célèbre pour avoir été, entre autres, orchestrateur de la « pacification de l’Algérie » dans les années 1830. Certains connaissent cette autre histoire, d’autres non. Nous avons donc voulu démontrer que tout le monde ne « lit » pas le nom de Bugeaud sur la plaque de la même manière, selon qu’on y reconnaît le nom d’un héros de la République ou d’un militaire responsable des « enfumades » en Algérie pendant la colonisation.
Portrait du maréchal Bugeaud par Charles-Philippe Larivière. © DR
Contextualiser, pour cet exemple particulier, pourrait simplement prendre la forme d’une double apposition : « Maréchal de France-gouverneur de l’Algérie, 1840 »). Ce serait au moins un premier geste, presque pédagogique, qui rendrait visible l’imbrication de l’histoire française et de l’histoire coloniale. Mais cela ne règle pas le problème, car la plaque de rue se lit toujours, même avec cette précision, comme un hommage à un grand homme, qui était aussi un bourreau.
Finalement on en revient à la solution de la « cicatrice visible » : renommer la rue et apposer une autre plaque, tout en laissant dans le paysage la trace historique du changement : on pourrait imaginer par exemple une mention « Anciennement avenue Bugeaud ».
Cela dit, il est plus facile et plus efficace de rajouter une phrase sur une plaque de rue que sur une statue. Je suis d’avis que si des gens se mobilisent pour réclamer le retrait d’une statue, il faut qu’il y ait des mécanismes pour donner suite à leurs revendications. On ne proteste pas juste pour protester, il y a derrière ces gestes un véritable besoin de changer dans le paysage national des symboles qui sont vécus comme insupportables par certains groupes.
Pour les statues, je propose de créer des cimetières pour statues déboulonnées, exposées comme dans un musée avec une fiche explicative, dont la visite sera ouverte aux touristes et au programme des écoles.
Étienne Achille : Dans Mythologies postcoloniales, nous nous concentrons sur les noms des rues car, contrairement aux statues, c’est leur relative discrétion, permettant la naturalisation de traces d’idéologie coloniale, qui nous semble aussi intéressante que problématique. Il faut aussi considérer une approche différente entre statues et plaques de rues pour des raisons d’ordre pratique : il n’est pas réaliste de débaptiser, dans l’immédiat, les centaines de rues portant le nom d’une figure liée à la colonisation. Les contextualiser permettrait en effet, dans un premier temps, de transformer ces signes en outils au service du dévoilement du passé colonial de la France. Il s’agit là d’engager un travail de démystification du quotidien français, où ce genre de signes/traces est omniprésent.
On parle souvent du rôle crucial des programmes scolaires, mais décoloniser l’imaginaire collectif passe aussi par une réflexion sur la vie quotidienne et l’ensemble des représentations collectives qui parsèment le paysage urbain, souvent de manière plus pernicieuse que les statues. Certains de ces signes peuvent et doivent disparaître immédiatement, d’autres peuvent être réappropriés et utilisés afin de produire un autre discours : ou comment enrôler Bugeaud afin de l’opposer au silence ou à la nostalgie coloniale.
Que faire avec les mythologies ou lieux de mémoire ambivalents, par exemple d’un Jules Ferry, à la fois artisan de la colonisation et de l’école obligatoire et gratuite, ou d’un Colbert, à la fois promoteur du Code noir et d’une certaine souveraineté économique de la France qui manque aujourd’hui ?
Étienne Achille : Remettre en cause les monuments glorifiant la mémoire d’un personnage historique dont l’« œuvre » ne peut être de nos jours que source de tensions, et de souffrance pour beaucoup, ne revient pas à contester l’importance de ce personnage dans une histoire de France qui serait, comme on l’entend parfois, en voie d’épuration. C’est le bien-fondé de l’acte de consécration républicaine qui est ici contesté, pas la place dans un récit national qui se doit au contraire d’inclure certains pans qui ne sont pas totalement absents mais largement négligés, tels l’esclavage et la colonisation.
Portrait de Colbert par Philippe de Champaigne (1655). © DR / Metropolitan Museum of Art
Il n’est donc pas question d’effacer Ferry et Colbert de la mémoire collective, deux figures qui permettent justement de penser l’histoire autrement que de manière hexagonale, mais bien de les mobiliser différemment et dans les cadres appropriés. Peut-on envisager d’écrire une histoire de France sans Colbert ? Non, mais on ne devrait pas non plus pouvoir envisager d’écrire une histoire de France sans le Code noir et ce à quoi il renvoie. Peut-on envisager une Assemblée nationale sans salle nommée d’après Colbert ? Il me semble que oui, et pour de multiples raisons d’ailleurs. Il y a peut-être d’autres figures plus appropriées pour la maison du peuple qu’un des grands artisans de la monarchie absolue…
Lydie Moudileno : Autant on peut se passer de Bugeaud, je crois, dans le paysage français, mais que faire de ces hommes dont les bilans historiques sont plus mitigés ? Là encore, la solution n’est pas le déni. Les Français et les touristes doivent connaître tous les aspects du « mythe » de Colbert, savoir que Jules Ferry s’est fait l’avocat de la « mission civilisatrice » et que ses arguments impliquaient l’infériorité des peuples à civiliser, etc.
Partout dans le monde, on se lève contre des statues et des rues à la gloire de figures colonialistes ou esclavagistes. En France, la mémoire de trois chefs des guerres coloniales du XIXe siècle, Gallieni, Bugeaud et Faidherbe, fait aujourd’hui débat.
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- Offrir«Déboulonnons le récit officiel. » Simple et percutant, l’appel a été tagué sur le socle de la statue du maréchal Joseph Gallieni (1849-1916) qui trône place Vauban, dans le VIIe arrondissement de Paris. Le 18 juin, des militants antiracistes se joignent pour recouvrir ce même monument au maréchal d’un ample drap noir.
À Bagnolet (Seine-Saint-Denis), une station de métro au nom du maréchal Gallieni disparaît, le temps d’une action, pour laisser place à Josette et Maurice Audin, figures de la résistance algérienne et de la lutte anticolonialiste. Maurice Audin, brillant mathématicien, militant communiste, a été assassiné par l’armée française en juin 1957 en pleine bataille d’Alger.
La France n’a reconnu sa responsabilité dans ce crime d’État qu’en septembre 2018, après plus de 60 ans de mensonge, par la voix d’Emmanuel Macron, premier président à avouer un système de torture légalement institué par la France pendant la guerre d’Algérie.
À l’autre bout de l’océan, dans les Outre-mer, en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, une action synchronisée a consisté à débaptiser les rues Gallieni, renommées « Somin marronaz » et « Lari Mawonaj ».
Ces actions s’inscrivent dans un mouvement plus large. Aux États-Unis, en Angleterre ou encore en Belgique, des statues consacrant des figures colonialistes ou esclavagistes, exclusivement masculines, ont été déboulonnées ou dégradées ces dernières semaines. Ce moment découle lui-même de la vague de manifestations contre le racisme et les violences policières déclenchée par le meurtre de George Floyd, ce citoyen noir asphyxié par un policier blanc à Minneapolis.
Ces revendications ne datent pas d’hier. En 2017, le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) réclamait que s’ouvre « une réflexion nationale sur la nécessité de remplacer ces noms et ces statues », mais aujourd’hui, ce mouvement prend une ampleur inédite dans un contexte de mobilisations mondiales et de politisation des plus jeunes.
En France, la vidéo du compte Histoires crépues dédiée à l’histoire du maréchal Gallieni frôle les 600 000 vues sur le réseau social Instagram. Une visibilité peu commune pour des débats qui restent souvent cantonnés à des cercles militants.
Gallieni et la "Politique des races" à Madagascar - Défrichage d'Histoire Coloniale © Histoires Crépues
Pourquoi le maréchal Joseph Simon Gallieni ? « C’est un personnage symptomatique du déni français. Il est dur à défendre mais c’est un héros de la République, une figure du colonialisme républicain. Pourquoi on défend ce personnage ? C’est ça la question », renvoie Seumboy, pseudonyme du créateur de la chaîne YouTube Histoires crépues.
Lui et d’autres sont à la manœuvre de l’action visant à recouvrir la statue du maréchal Gallieni d’un drap noir. Ses vidéos décryptent notamment le rôle de Joseph Gallieni dans la répression sanguinaire de la résistance malgache et son application de « la politique des races » théorisée par Joseph Arthur de Gobineau. Un travail de vulgarisation qui découle d’une « démarche citoyenne ». « Je ne suis pas historien, précise Seumboy, mais je voulais fournir des sources, des outils qui permettent de s’approprier cette histoire. »
Pour l’activiste, la reconnaissance de cette partie de l’histoire relève de l’urgence : « Il s’agit d’un besoin de dignité humaine, c’est de l’ordre de la construction personnelle, citoyenne. » Comme beaucoup d’autres Français issus de l’immigration post-coloniale, il a découvert sur le tard les crimes de la colonisation et l’a vécu comme une trahison. « Il y a d’autres figures autour desquelles on pourrait construire un discours. Gallieni, c’est quand même difficile de s’identifier », souligne-t-il.
Joseph Gallieni.
À Londres, le débat s’est ouvert et la statue d’un marchand d’esclaves du XVIIIe siècle, Robert Milligan, a été déboulonnée par la mairie et transférée au Museum of London Docklands. « Une grande partie de notre richesse provenait de la traite des esclaves, c’est une triste réalité, mais cela n’a pas à être célébré dans l’espace public », a déclaré le maire de Londres, Sadiq Khan.
En France, en revanche, le débat public s’est crispé net. Le premier ministre évoquant même « une forme d’épuration mémorielle » et une volonté « d’épuration ». « Nous devons regarder notre histoire en face. Et c’est ce que nous faisons, ce qui n’est pas toujours facile d’ailleurs. […] Dans le processus scientifique qu’est l’histoire, l’histoire s’écrit en permanence », a affirmé Édouard Philippe devant la haute assemblée, le 17 juin.
Des réactions qui ne surprennent pas vraiment sur le fond mais qui interpellent sur la forme. « Je ne m’attendais pas à ce niveau de déni. Quand on interroge ça, on n’est plus français ?, s’interroge Seumboy. C’est une violence extrême de dénier la possibilité, pour une partie de la France, de faire partie de l’histoire de France. Le récit national n’est jamais remis en cause. On nous accuse de vouloir effacer l’histoire mais la présence de cette statue est un effacement de l’histoire. »
Le premier ministre, ainsi qu’une partie de la classe politique, prête un discours aux militants largement éloigné de la réalité. Aucune association ne réclame de purges mémorielle28 JUIN 2020 ÉDITION DE LA MI-JOURNÉE
© jmaphatie
À Brest, en 1986 déjà, explique la presse locale, un collectif de riverains demandait au maire de l’époque de rebaptiser la rue Bugeaud « rue Bollardière », du nom d’un général pacifiste de la guerre d’Indochine qui s’opposa à la torture durant la guerre d’Algérie. Sans succès.
«Pour une décolonisation du quotidien»
Écrire des « mythologies » et des « lieux de mémoire » postcoloniaux. C’est à ce projet ambitieux que se sont attelés Étienne Achille et Lydie Moudileno, avec une volonté politique et historique qui résonne avec les mobilisations raciales contemporaines. Entretien.
Dans leur livre Mythologies postcoloniales (éditions Honoré Champion, 2018), Lydie Moudileno et Étienne Achille interrogent la présence de maréchaux, acteurs centraux de la colonisation, dans l’espace public. « La sphère publique est un lieu d’écriture et de lecture du roman national. […] Le Panthéon du quotidien qu’est la rue relève d’un éventail de choix imposés au citoyen lambda par la République, soulignent-ils. Tout comme l’histoire coloniale est inséparable de l’histoire de France, le Panthéon de la IIIe République est donc aussi constitué d’un panthéon colonial qui se visite et se consolide constamment dans notre environnement quotidien, et dont les Bugeaud, Gallieni, Lyautey et Joffre sont parmi les plus illustres représentants. »
« Ces gens n’aiment l’histoire qu’en surgelé, pas quand elle se réchauffe ou demande des comptes »
Le maréchal Thomas-Robert Bugeaud (1784-1849), vénéré par les Zemmour de l’Hexagone, est l’un des emblèmes de cette histoire coloniale qui transpire dans l’espace public mais qui occulte tout un pan de l’histoire réelle, empêtrée dans les non-dits d’un passé qui ne passe pas. Il donne son nom à des statues, des avenues, des écoles, des stades, mais qui sait que cet homme, l’un des grands officiers de la colonisation de l’Algérie par la France dans les années 1840, de la « pacification », organisa le massacre de milliers d’Algériens, de musulmans ?
« Il a été un adversaire absolument impitoyable de ceux que l’on appelait à l’époque “les Arabes”, explique l’historien de l’Algérie Benjamin Stora dans Les Inrockuptibles. Il a mis en place en Algérie des stratégies militaires de colonnes infernales, qui avaient été utilisées en Vendée sous la Révolution française, mais aussi des enfumades, des razzias, des regroupements de populations, etc. »
Capture d'écran de la page Facebook du groupe Déboulonnons Bugeaud.
Bugeaud était le chantre féroce de l’enfumade, qui consistait à asphyxier des familles entières réfugiées dans des grottes en allumant des feux devant l’entrée. « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Fumez-les à outrance comme des renards. » Voilà ce qu’il ordonnait aux troupes pour accélérer une conquête coloniale qui durera 30 ans (1832-1871). Bugeaud était aussi l’artisan des razzias, de la politique de la terre brûlée, détruire, piller, incendier les villages pour anéantir, affamer, les combattants, les populations.
Le 15 juin, l’éditorialiste Jean-Michel Aphatie interpellait d’un tweet le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer sur une école maternelle à Brest (Finistère) baptisée du nom de ce « général, “enfumeur” de femmes, d’enfants et de vieillards ». « Scolariser des enfants sous le parrainage d’un massacreur ? Étonnant, non ? »
À Brest, les parents et grands-parents d’élèves scolarisés dans ladite école, nommée Bugeaud à sa création en 1908, du nom de la rue dans laquelle elle se situe (baptisée elle en 1869), tombaient des nues, raconte France 3 Bretagne. Ils ignoraient tout de la barbarie coloniale de Bugeaud.
Ce n’est pourtant pas la première fois qu’une polémique éclate autour de Bugeaud et appelle à déboulonner de l’espace public « l’enfumeur », « le boucher », « le criminel de guerre ». Depuis des années, des collectifs se battent partout où son nom est glorifié comme un visionnaire, un héros qui avait pour devise « Ense et Aratro » (« Par l’épée et par la charrue »).
Bonjour @jmblanquer Une école maternelle à #Brest est baptisée du nom de Thomas #Bugeaud, général, « enfumeur » de femmes, d’enfants et de vieillards lors de la conquête de l’Algérie, en 1845. Scolariser des enfants sous le parrainage d’un massacreur? Étonnant, non?
À Paris, Bugeaud a une avenue à son nom dans le XVIe arrondissement, une statue dans le plus célèbre musée du monde, au Louvre. À Lyon, il a une rue dans le 6e, à Marseille, une rue dans le 3e. En Dordogne, il est carrément une star avec des rues, des écoles, des statues, des lieux-dits car c’est ici que son aristocratique famille prend racine, au cœur du Périgord vert. À Périgueux, il a sa statue et sa place, à Excideuil, 1 800 âmes, une statue a été dressée à son effigie en 1999, 150 ans après sa disparition. Ici, on le considère surtout comme le père de l’agriculture moderne, le créateur des comices agricoles, des futures chambres d’agriculture…
On compte plus de pro-Bugeaud que d’opposants et le journal local Sud Ouest fait un sondage auprès de ses lecteurs : « Pour ou contre le déboulonnage de Bugeaud », en laissant la possibilité de répondre « je n’ai pas d’avis ».
Thomas Robert Bugeaud.
Sur Facebook, le groupe Déboulonnons Bugeaud, la statue de la honte, 400 membres, affiche sans détour son ambition. Il rassemble depuis trois ans des historiens et des militants impliqués dans des mouvements sociaux, luttes de quartiers, de Dordogne et d’ailleurs, et cite l’historien Pierre Vidal-Naquet dans Les Assassins de la mémoire (éditions La Découverte, 1981) : « Quand vient le recul, les États n’aiment pas juger ceux qui les ont incarnés. »
Il appelle « à l’éducation et à l’action » : « Que la profession des historiens de garde déclare s’opposer aux actions de déboulonnage et n’en voie pas la dialectique ne nous étonne qu’à moitié. Ces gens-là n’aiment l’histoire qu’en surgelé, pas quand elle se réchauffe ou qu’elle demande des comptes. »
Ce n’est pas l’ambition du président Macron, qui a assuré que « la République n’effacera aucune trace » et ne « déboulonnera pas de statue ». Seule la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a osé une parole contradictoire au sein du gouvernement. Elle a estimé le 15 juin sur France Inter « qu’il faut pour certaines personnalités une discussion historiographique […], avoir la sérénité de débaptiser l’avenue [Bugeaud] » à Paris.
Des proches du président ont aussitôt répliqué préférer des « contre-monuments », comme raconte France Inter : « Il ne s’agit pas de débaptiser l’avenue Bugeaud mais pourquoi pas un monument adressé à l’émir Abdelkader – qu’a combattu Bugeaud –, qui était détenu au château d’Amboise. »
« C’est dans ce passé nié et effacé que se joue une partie de l’avenir »
Autre figure cristallisant la colère : le général Louis Faidherbe (1818-1889), qui a notamment contre lui le collectif Faidherbe doit tomber, déterminé à mettre en lumière « les non-dits et les tabous de l’histoire de France car c’est dans ce passé nié et effacé que se joue une partie de l’avenir ».
Deux ans après sa création, ce collectif a rassemblé quelques centaines de personnes à Lille, le 20 juin, pour demander le retrait d’une imposante statue du général qui domine une partie du centre-ville. La police avait été déployée en nombre pour « protéger » le monument glorifiant ce militaire et sénateur socialiste, né à Lille, qui a ensuite été tagué des mots « colon » et « assassin ».
« La préfecture nous a refusé l’autorisation de manifester sous prétexte que nous appelions à des “dégradations”. Or notre action a toujours été symbolique : nous n’allons évidemment pas déboulonner cette statue nous-mêmes ! À travers le cas Faidherbe, c’est un sujet beaucoup plus profond que nous tentons de soulever : les racines historiques du racisme structurel contemporain », explique Thomas Deltombe, membre du collectif et coauteur de Kamerun ! (éditions La Découverte, janvier 2019).
Emmanuel Macron et Macky Sall sur le pont Faidherbe, à Saint-Louis (Sénégal), le 3 février 2018. © Reuters
Au même moment, au Sénégal, des activistes interpellaient les autorités sénégalaises à propos d’une autre statue de Faidherbe érigée dans la ville de Saint-Louis. « Je suis tout à fait d’accord avec la jeunesse qui réclame le déboulonnement de la statue de Faidherbe », déclarait à cette occasion l’historien Iba Der Thiam, ancien ministre de l’enseignement supérieur, rappelant que le militaire français avait fait tuer des milliers de Sénégalais.
Le collectif Faidherbe doit tomber a aussi adressé le 22 juin une lettre ouverte aux candidats du second tour de l’élection municipale lilloise, Martine Aubry (PS), Violette Spillebout (LREM) et Stéphane Baly (EELV), expliquant que la statue de Faidherbe, « célébration anachronique du colonialisme », aurait davantage sa place dans un musée, et demandant à chacun de donner sa position sur la question.
Louis Faidherbe.
Pour l’instant, les réponses apportées au collectif sont loin de le satisfaire. « Elles sont d’une grande hypocrisie, dit même Thomas Deltombe. On nous dit qu’il faut “respecter l’histoire”, séparer le “Faidherbe colonial” du “Faidherbe militaire” qui a combattu les Prussiens en 1870-1871, etc. On nous accuse également de vouloir “réécrire l’histoire”, ce qui est amusant quand on sait que les dates gravées sur le socle de la statue sont inexactes : il y est écrit que Faidherbe a été gouverneur du Sénégal de 1863 à 1865, mais pas qu’il l’était aussi de 1854 à 1861, période pendant laquelle il a massacré et détruit en masse des villages. »
Le collectif est aussi accusé de faire des « anachronismes ». « Vraiment ?, ironise Thomas Delombe. À la date où Faidherbe étudiait le “volume cérébral” des Africains pour justifier leur “infériorité”, le scientifique haïtien Anténor Firmin publiait à Paris un ouvrage beaucoup plus solide intitulé De l’égalité des races humaines (1885). Je n’ai pas vu beaucoup de statues de Firmin dans nos rues… » Quant à l’argument selon lequel on ne peut pas techniquement déplacer un tel monument historique, il ne tient pas non plus : la mairie de Lille a déjà retiré une statue du général Négrier et déplacé une autre de Napoléon.
Interrogée par Le Figaro, Martine Aubry, maire sortante, a proposé l’ajout sur la statue d’une plaque explicative qui préciserait les actes de Faidherbe « que nous honorons » et ceux « que nous désapprouvons ». Les Verts ont émis une idée similaire. « Aller dans une telle direction signifie donc qu’on s’autorise à “juger” l’histoire », relève Thomas Deltombe.
Dans ce cas, ne peut-on pas juger qu’on veut autre chose aujourd’hui que des symboles d’oppression colonialiste et militariste ?, demande-t-il. « Que va-t-on écrire sur cette “plaque explicative” ? Que Faidherbe se gargarisait de mener, je cite, une “guerre d’extermination” en Afrique ? Ou encore que “l’infériorité des Noirs” s’expliquait, selon lui, je cite toujours, par “le volume relativement faible de leur cerveau” ? Ajouter à une statue érigée à la gloire d’un homme une “plaque” rappelant les horreurs auxquelles il a participé est pire encore que de ne rien faire : cela signifierait que les Lillois sont fiers de ce passé honteux. Et cela non plus inconsciemment comme avant, mais… explicitement ! »
Pour le collectif Faidherbe doit tomber, les réactions majoritairement négatives que suscite la mobilisation autour des statues montrent « que la société française ne souhaite pas regarder le système idéologique dans lequel elle vit ». « Cela s’inscrit dans la longue histoire de l’hypocrisie coloniale, analyse Thomas Deltombe. La propagande d’État a toujours mis en avant les prétendus “aspects lumineux” de l’entreprise coloniale, qui n’est en fait rien d’autre qu’un système d’oppression et un crime contre l’humanité. »
Que faire d’une statue? Le cas Lénine
Pourquoi déboulonner une statue et que faire du monument, une fois celui-ci retiré de l’espace public, et du vide ainsi créé ? Quelques réponses extraites du livre Looking for Lenin, qui documente le renversement en masse des statues de Lénine en Ukraine entre 2014 et 2015.
© Niels Ackermann / lundi13Reléguer la figure dans un musée. Musée de l’Occupation soviétique, Kiev, 12 septembre 2015. Cette tête d’une statue de Lénine est exposée dans un musée dédié aux atrocités du régime soviétique. Elle sert d’illustration pour dénoncer les traumatismes du passé. Les idées pour créer un musée ukrainien des monuments soviétiques, comme on peut en trouver en Hongrie ou en Lituanie, n’ont à ce jour pas encore pris corps.
© Niels Ackermann / lundi13Transformer la statue en cosaque historique… Tcherkassy, 30 mars 2016. Ce Lénine n’en est plus un. À l’entrée d’une base de loisirs dans le centre de l’Ukraine, il a été transformé en un cosaque zaporogue. Intacte, la statue est désormais affublée d’une vychyvanka (chemise brodée), d’une boulava (masse de chef) et d’une coupe de cheveux choupryna. L’autonomie des cosaques zaporogues entre le XVIe et le XVIIe siècle, ainsi que leurs relations conflictuelles avec l’empire russe, en ont fait des symboles de liberté et d’indépendance dans l’imaginaire collectif ukrainien. La transformation est donc perçue comme une revanche ironique sur l’ennemi d’hier, voire son humiliation.
© Niels Ackermann / lundi13… ou en icône de la pop culture. Odessa, 21 novembre 2015. Dans la droite ligne du légendaire sens de l’humour odéssite, l’artiste Oleksandr Milov a remodelé cette statue de Lénine pour lui donner l’apparence du protecteur de l’empire galactique de la saga Star Wars, Darth Vador. Du révolutionnaire bolchévique, on reconnaît encore le pan du manteau, les bottes et le positionnement des mains. Pour certains, cette adaptation est une manière d’ancrer Lénine clairement dans l’empire du mal. Pour d’autres, c’est une façon de ridiculiser les préoccupations actuelles liées à l’héritage soviétique, en les rejetant dans le domaine de la fiction.
© Niels Ackermann / lundi13N’en laisser que la moitié. Shabo, 21 novembre 2015. À la nuit tombée, un groupe de nationalistes de cette ville dans le sud de l’Ukraine a décapité le Lénine doré qui ornait une des places publiques. Pourquoi n’en prendre que la moitié ? Sans doute pour écorner l’image de Vladimir Ilitch et minimiser son héritage. Pour les habitants attachés à « leur » Lénine, agir de la sorte, dans la pénombre, était une preuve de lâcheté. D’autant que la statue faisait leur fierté, en ce qu’elle contribuait à l’aménagement esthétique de l’espace public. La dégradation du patrimoine local, comme ils le percevaient, ne s’était pas accompagnée d’une réflexion sur la restructuration de la place. Beaucoup regrettaient aussi Lénine pour ce qu’il représentait, plus que pour sa personnalité historique : la statue avait été érigée à l’époque de leur jeunesse, quand le système soviétique garantissait éducation et emplois à l’ensemble de la population. Ce n’est qu’en octobre 2016 que le photographe Niels Ackermann et le journaliste Sébastien Gobert, auteurs du livre Looking for Lenin, trouvent la tête, et le militant nationaliste à l’origine de la décapitation. Pour lui, la chute de Lénine n’était qu’un juste retour de bâton, après les tentatives de l’Union soviétique de minorer l’histoire et la culture ukrainienne. « Quand on tire sur l’histoire avec un pistolet, elle réplique avec un canon », assure-t-il.
© Niels Ackermann / lundi13En faire un nain de jardin. Kiev, 30 juin 2016. Ce Lénine est une victime de guerre. C’est dans le cadre des hostilités dans l’est de l’Ukraine que la statue est tombée, dans un endroit non spécifié. Diana, une volontaire venue dans la zone de conflit pour aider des soldats ukrainiens, s’est vu offrir cette tête en guise de cadeau d’anniversaire. Pour Diana, c’est « la tête du diable », raconte-t-elle, « mais [elle] ne pouvai[t] pas refuser ». Une fois la tête ramenée à Kiev, la volontaire l’a laissée dans son jardin en guise de décoration, en attendant de pouvoir la vendre. Les fonds collectés doivent servir à soutenir l’armée ukrainienne dans sa lutte contre les forces pro-russes et russes. « Vladimir Ilitch aura enfin fait quelque chose de bien dans ce monde – probablement la première et la dernière fois ! »
© Niels Ackermann / lundi13Fondre pour refondre. Rivne, 21 novembre 2016. Le 24 août 1991, l’Ukraine devenait indépendante. Le lendemain, ce Lénine de Rivne, dans l’ouest du pays, était déboulonné. Il était somme toute logique qu’il soit fondu et transformé en Taras Shevchenko, grand poète et père spirituel de la nation. Rivne a donc troqué un symbole soviétique pour une icône nationale. Même si, à bien des égards, la symbolique de cette statue emprunte à l’esthétique communiste, dans le monumentalisme, l’attitude, l’élévation autoritaire sur un piédestal, ou la sévérité du visage…
© Niels Ackermann / lundi13La laisser juste renversée. Krementchouk, 30 mars 2015. L’Ukraine a-t-elle été « décommunisée », selon le terme consacré, à travers la simple disparition de Lénine de l’espace public ? C’est la question qui se pose à travers ce monument. Soigneusement déboulonné de la place principale de Krementchouk, il a été déposé avec soin dans la cour d’un entrepôt municipal, en attendant que son sort soit décidé. Tout ici rappelle cependant l’espace post-soviétique, que ce soit l’état des lieux, la barre d’immeubles en arrière-plan ou même les tons grisâtres de la photo. La chute de ce Lénine a-t-elle amorcé un débat de fond et le début d’une transformation des pratiques et des mentalités ? Il revient aux habitants, et plus généralement aux Ukrainiens d’en décider. Il est aussi intéressant de remarquer que même déchu, Lénine est protégé avec attention par les autorités dans plusieurs endroits en Ukraine. Certains responsables le justifient par une volonté de préserver leur patrimoine et de créer des musées. D’autres, comme à Krementchouk, l’expliquent par un manque de moyens nécessaires pour travailler à l’avenir de la statue. D’autres encore font part de leur prudence : « Le pouvoir change si souvent en Ukraine, affirment-ils, qu’il vaut mieux garder la statue au cas où un prochain gouvernement voudrait les remettre en place… »
© Niels Ackermann / lundi13Récupérer pour revendre. Kharkiv, 2 février 2016. Lénine, Marx, Staline, Gagarine… Toutes les icônes soviétiques se sont donné rendez-vous dans une verrerie de Kharkiv, dans l’est du pays. Le propriétaire entretient une collection impressionnante de statues, tableaux et divers objets de l’époque communiste. En vertu des lois de « décommunisation » de 2015, il est interdit de faire la promotion d’idéologies totalitaires, communiste ou nazie, dans l’espace public (mettre communisme et nazisme sur un pied d’égalité a fait couler beaucoup d’encre dans le pays). Mais les collections privées sont autorisées. S’est donc développé un marché plus ou moins clandestin des statues de Lénine, pour des clients ukrainiens mais aussi étrangers.
© Niels Ackermann / lundi13Recycler et laisser faire. Obyrok, région de Tchernihiv, 12 Septembre 2016. L’artiste Leonid Kanter se revendique comme farouchement anti-communiste et se réjouit de la disparition des statues de Lénine de l’espace public. Les monuments déchus ont néanmoins encore un rôle à jouer, selon lui. Il a disposé une quinzaine de bustes à travers son jardin. Il les a peints, défigurés, placés dans des positions burlesques, et encourage ses enfants à jouer sur les têtes du leader bolchévique. De cette manière, il attend que Lénine disparaisse sous l’herbe et les broussailles. « En recyclant ces monuments, je veux montrer qu’un empire, aussi puissant et maléfique qu’il soit, ne dure jamais éternellement. La nature reprend toujours ses droits. »* * *
Accompagné du photographe suisse Niels Ackermann, notre correspondant en Ukraine Sébastien Gobert avait suivi de près le renversement en masse des statues de Lénine en Ukraine entre 2014 et 2015, dans les circonstances exceptionnelles de la révolution de Maïdan, de l’annexion de la Crimée et du début de la guerre du Donbass. Leur ouvrage Looking for Lenin documente le sort des monuments dédiés au leader bolchévique. Qu’elles soient brisées, conservées, abandonnées ou transformées, elles expliquent la manière dont les Ukrainiens ont vécu ce moment historique du Leninopad (traduit littéralement par « chute de Lénine », en ukrainien et en russe) et de la « décommunisation » qui a suivi. Même déboulonné, Lénine est porteur de leçons pour comprendre la place de l’iconographie politique dans nos sociétés modernes.
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