Une expédition s’approche de l’épave disparue de Shackleton au pôle Sud
Ils vont devoir se frayer un chemin dans une solide mer de glace. À bord du navire Algulhas II, un brise-glace de 13 700 tonnes, des scientifiques partis le 1er janvier de Penguin Bukta, en Antarctique, ont passé ces trois dernières semaines à collecter des échantillons et à examiner la zone autour de la banquise Larsen C.
Au retour de leur expédition qui vise d’abord à étudier l’impact du réchauffement climatique sur la banquise, ils s’attellent maintenant à leur second objectif : retrouver l’Endurance, le fameux navire de l’explorateur Ernest Shackleton, qui a coulé en 1915.
L’équipage de l’Algulhas II, composé de 94 personnes, est désormais assez proche de l’endroit où doit reposer l’épave, ou du moins de la dernière position connue de l’Endurance, soigneusement notée par l’équipage à l’époque, à l’aide d’observations astronomiques.
L’épave du navire se trouverait à 2 milles nautiques (soit 3,7 km), sous la plateforme de glace Larsen C (une des trois barrières qui constituaient la Barrière de Larsen, au nord-ouest de la mer de Weddell : Larsen A s’est désintégrée en janvier 1995, Larsen B en février 2002 et Larsen C a perdu 10 % de sa surface en juillet 2017 en raison du réchauffement climatique).
« Se rendre sur le site de l’épave est un défi passionnant. Nous devons percer environ 120 km de banquise dense et épaisse, jusqu’à 2-3 mètres d’épaisseur, a expliqué John Shears, géographe polaire, chef de l’expédition. Si nous y parvenons nous devrons trouver un moyen de déployer des véhicules sous-marins autonomes. Ça risque d’être épique ! »
Dans un communiqué, Mensur Bound, archéologue marin britannique, indique que « l’ambiance au sein de l’équipe est optimiste, compte tenu des conditions favorables de la glace et des conditions météorologiques, qui devraient [lui] permettre d’atteindre la zone de recherche ».
Expédition Nimrod
En août 1914, un petit équipage d’explorateurs se lançait dans un périple fou : la traversée de l’Antarctique de part en part. Ce fut un échec mais cette expédition à bord du navire l’Endurance est devenue mythique. Comme l’homme qui l’a menée, Ernest Shackleton, un aventurier irlandais fasciné par les récits d’explorateurs depuis tout petit.
Dès ses 16 ans, il s’engage sur un voilier, y apprend la vie de marin, découvre l’art de la navigation. Il participe rapidement à des expéditions vers les pôles, d’abord comme officier, puis en chef d’expédition.
En 1909, il s’approche à moins de 200 km du pôle Sud lors de l’expédition Nimrod. C’est la première fois qu’une expédition descend aussi « bas » sur la terre australe.
Mais ça ne suffit pas au navigateur, qui se lance un autre défi : la traversée de l’Antarctique de bout en bout. Les candidats se bousculent pour faire partie de l’expédition. Sur les 5 000 à se présenter, seulement 27 seront retenus.
Piège de glace
En août 1914, l’Endurance met les voiles. Bâti en Norvège en 1912, ce trois-mâts goélette en bois est sans doute le plus solide construit à son époque. Sa quille était constituée de quatre morceaux de chêne superposés, d’une épaisseur totale de 2 mètres, ses membrures avaient une épaisseur comprise entre 45 et 75 cm. La charpente était deux fois plus épaisse que celle d’un navire classique de cette taille.
Mais la coque de l’Endurance n’avait pas été conçue pour résister à des pressions très importantes, car initialement, le bateau ne devait pas naviguer dans un pack très épais (les blocs de glace détachés de la banquise).
Après quelques semaines de navigation, le navire est bloqué dans les glaces en Géorgie du Sud, à l’entrée de l’océan Austral. Il repart plusieurs semaines après, navigue jusqu’en décembre avant d’être de nouveau prisonnier des glaces.
Malgré tout, les recherches scientifiques se poursuivent, le capitaine veille à ce que la bonne humeur demeure au sein de l’équipage. « L’optimisme, c’est le courage moral à l’état pur », écrit-il dans ses carnets.
Mais cela fait maintenant six mois que le bateau est dans son carcan de glace. Il faut se rendre à l’évidence, il sera très difficile de repartir. D’autant que la pression de la glace sur la coque de l’Endurance est forte. Le 21 novembre 1915, l’équipage et Ernest Shackleton quittent le navire, qui plonge lentement dans les eaux glacées. Ils marchent le jour sur la banquise à la dérive, se reposent la nuit.
Un campement est établi à plusieurs kilomètres du bateau. Les provisions (dont de la viande séchée de phoque en abondance) et les canots y sont progressivement amenés. Le capitaine ne se ménage pas et n’arrête jamais de motiver son équipage, qui souffre des températures glaciales. Il insiste par exemple pour que tous célèbrent Noël avec un bon repas.
Le 9 avril 1916, la banquise se fend. L’équipage abat les derniers animaux et embarque sur trois canots de sauvetage.
Les hommes affrontent une mer déchaînée, évitent comme ils le peuvent les icebergs à la dérive. Après cinq jours et cinq nuits intenses de traversée, les canots touchent terre, sur l’île de l’Éléphant, au nord-ouest de l’Antarctique. L’équipage est épuisé, tous sont affamés.
Mais ils ne sont pas au bout de leurs souffrances car ils ont accosté sur une île inhospitalière, aride, faite de roches, de glace et de neige. Le capitaine décide de reprendre la mer avec un équipage réduit (cinq hommes) pour tenter de rejoindre Stromness, un port baleinier situé à 1 200 km de là.
Ils l’atteignent après quatorze jours de navigation et la traversée d’une chaîne de montagnes. Shakleton revient chercher les hommes restés sur l’île de l’Éléphant trois mois plus tard, au terme de plusieurs échecs de sauvetage. Plus de deux ans après le début de cette terrible expédition, tous reviennent finalement sains et saufs. Un exploit.
La course à l’épave
Depuis, on n’a jamais retrouvé trace du navire. Si l’épave est découverte lors de cette nouvelle expédition, elle sera filmée, photographiée, et son état documenté, avait assuré l’année dernière le professeur Julian Dowdeswell, directeur de l’Institut Scott Polar Research de l’Université de Cambridge.
« Si des espèces sous-marines ont colonisé l’épave, les biologistes essaieront de collecter des échantillons avec les véhicules sous-marins autonomes. Mais nous ne retirerons rien de l’épave. »
D’après des scientifiques du Muséum d’Histoire naturelle de Londres, le bois du navire a dû être protégé des vers grâce au courant circumpolaire antarctique (ou Grande dérive d’Ouest, qui est le courant marin de l’océan Austral coulant d’ouest en est autour de l’Antarctique).
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