Par Henri POUILLOT |
Au Mémorial du Quai Branly à Paris, le 26 mars 2022, c’est un quasi honneur national à l’OAS qui s’est déroulé : en présence d’un détachement militaire au garde à vous et d’autorités, cette manifestation s’est terminée par le « Chant des Africains », cet hymne de l’OAS !!! |
La volonté d’Emmanuel Macron de « réconcilier les mémoires » des différentes catégories de victimes de la guerre d’Algérie quitte à faire dans certains cas l’économie d’un regard historique sur la véracité ou les mensonges des récits sur lesquels certaines mémoires se sont constituées, connait de sérieuses limites. |
Oran (Algérie).– Dans sa petite chambre d’à peine dix mètres carrés, à Aïn El-Turk, Hmida prend place sur son lit individuel, dont les draps sont défaits, puis éteint la cigarette qu’il portait à la bouche quelques secondes plus tôt. À 80 ans, cet Oranais, qui ne s’est jamais marié, vit de ce que lui ramènent la pêche et la solidarité de ses voisins.
Sur la table basse gisent encore les restes de son petit déjeuner. « Qu’est-ce que tu prépares de bon ? », l’interroge son ami, de 30 ans plus jeune, en pointant du doigt la marmite sur le feu.
Celui-ci lui rend visite régulièrement, et ce jeudi 3 mars, à deux semaines de l’anniversaire des accords d’Évian, Hmida fouille dans ses souvenirs de jeunesse. « À l’époque, j’avais 20 ans, dit-il en darija (dialecte algérien), la seule langue qu’il maîtrise, après avoir fait le calcul depuis sa date de naissance. Pour moi, les accords d’Évian, c’est d’abord “Tahtaha”. Je me souviens des morts dans la rue, de la violence de l’attentat… »
Le visage plissé de rides, il raconte comment un attentat, perpétré dans le quartier populaire de M’dine Jdida, au cœur d’Oran, par l’Organisation armée secrète (OAS, regroupant les partisans les plus virulents de l’Algérie française ), le 28 février 1962, deux semaines avant la signature des accords d’Évian, a bouleversé la vie des Oranais et Oranaises, et mis à mal leurs espoirs de paix, après huit années de guerre et de résistance.
« Ça s’est passé alors que les accords étaient censés être négociés. Ça a été l’un des pires attentats que la ville d’Oran ait connus durant la guerre d’indépendance », souligne-t-il. On recense 80 morts et une centaine de blessé·es. À Oran, l’événement a marqué la mémoire collective.
Dans le quartier populaire d’El Hamri, à l’occasion d’une rencontre improvisée entre plusieurs militants associatifs le 9 mars, Mohamed* évoque lui aussi l’attentat de la place Tahtaha. « Mon souvenir des accords d’Évian, c’est ce massacre de l’OAS. Je me souviens d’un homme mort que l’on tirait par les bras sur la route pour le mettre à l’abri. C’était l’horreur », relate-t-il.
« Et même s’il y a eu la signature des accords deux semaines plus tard, tout le monde était encore marqué par cet événement. C’est d’ailleurs ce qui a fait que les Oranais ont contenu leur joie le 19 mars, au moment de l’annonce du cessez-le-feu. Les gens avaient très peur que d’autres attentats suivent », enchaîne un autre.
Négociés secrètement plusieurs mois avant la date du 18 mars, notamment aux Rousses, près de la frontière suisse, en février 1962, les accords d’Évian prévoient que l’armée française reste présente en Algérie jusqu’au référendum menant à l’indépendance du pays. Les pieds-noirs (ou Européens d’Algérie) doivent aussi, sous trois ans, pouvoir devenir algériens ou bénéficier d’un statut de résident étranger.
Hmida évoque des scènes de liesse le 19 mars 1962, à Oran, « mais pas aussi importantes que celles du 5 juillet », date à laquelle l’indépendance de l’Algérie a été officiellement proclamée. Un avion aurait même survolé la ville pour lancer des tracts annonçant le cessez-le-feu à la population. « On était heureux, soulagés de savoir qu’il y avait enfin un cessez-le-feu. Les gens couraient dans la rue, allaient se rendre visite, s’offraient à manger », déroule-t-il.
Mais le cessez-le-feu n’a finalement pas duré. L’OAS, qui rejette « le cessez-le-feu du général de Gaulle », redouble de violence dans les mois qui suivent, notamment à Alger et Oran, faisant des dizaines de morts et de blessés dans des attentats et assassinats ciblés. « Ce fut la liesse le jour J mais celle-ci a été suivie de terribles exactions, hélas ! », témoigne une octogénaire dont les parents étaient, à l’époque, engagés dans la résistance.
Une « grande arnaque »
Pour d’autres, les accords d’Évian, censés marquer la fin de la guerre d’indépendance et acter la coopération entre la France et l’Algérie, se résument à une « grande arnaque ».
« Ça a été une mascarade. On a beaucoup parlé des accords d’Évian mais on a oublié les accords cachés, ceux dont le peuple n’a pas eu connaissance, ou alors plus tard », sourit amèrement Latifa*, la cinquantaine, membre d’une association locale et ancienne militante du « hirak », le grand mouvement de contestation sociale ayant débuté en Algérie en février 2019.
« Il y a eu par exemple les intérêts français préservés au Sahara pour le nucléaire, avec le maintien de bases militaires françaises, comme celle de Mers el-Kébir ; les dégâts occasionnés par les essais nucléaires sur les populations ou encore le redécoupage des territoires entre le Maroc et l’Algérie, qui occasionnent encore des conflits entre les deux pays aujourd’hui, et qui nous vient des pourparlers d’Évian… »
Latifa dénonce également une « appropriation des richesses algériennes », avec des droits négociés par la France au moment des accords d’Évian pour lui garantir « certains privilèges ». « Le gaz et le pétrole ont été bradés à la France, selon une clause établie lors de ces accords, avec des tarifs préférentiels grâce au paiement des hydrocarbures en francs. »
Il faudra attendre 1965 pour qu’un nouvel accord soit signé entre les deux pays. Puis, six ans plus tard, le président algérien Houari Boumédiène décidera de nationaliser l’industrie gazière et pétrolière, après avoir formé des centaines de techniciens et d’ingénieurs. L’objectif : rendre au pays son autonomie économique et se libérer des chaînes de l’ancien colon, qui avait, à l’occasion des accords d’Évian et avant l’indépendance officielle du pays, pris soin de protéger ses intérêts en Algérie.
« On ne nous a pas dit non plus que si les Français partaient, d’autres sbires étaient formés pour continuer le travail à leur place. Depuis le hirak, on se rend compte de l’implication de hauts responsables militaires dans la mainmise sur l’Algérie, surtout en ce qui concerne les matières premières. Tout est fait pour que l’Algérie ne décolle pas, comme s’il y avait un embargo sur ce que le pays aurait pu mener comme processus de développement. Quand on voit l’argent que les oligarques font sortir du pays, c’est terrible. »
Et de conclure, peu optimiste : « L’Algérie est une vache à lait, et cela perdurera tant que ce système, que la France maintient, sera en place. Les pancartes et slogans utilisés lors des marches faisaient souvent référence à la France et résumaient bien la situation. On nous a blousés, on nous a ravi notre indépendance. Les Algériens restent toujours dépendants de l’ancien colonisateur d’une manière ou d’une autre. »
la fusillade de la rue d’Isly en 1962 à Alger, en Algérie, était « impardonnable pour la République ». Le 26 mars 1962, une semaine après la signature des accords d’Évian aboutissant à l’indépendance de l’Algérie en juillet, des partisans de l’Algérie française qui tentaient de forcer le passage dans le centre d’Alger ont été mitraillés à un barrage tenu par l’armée française. Cette fusillade a fait plusieurs dizaines de morts, tous civils. |
Lire un article de TV5 Monde sur cette fusillade. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire