TÉMOIGNAGE.
« Un vrai cow-boy ! » : le skipper Mike Birch raconté par France, son épouse.
France Birch a vécu plus de 30 ans avec Mike Birch, son époux et vainqueur de la première Route du Rhum en 1978. Le skipper est décédé le 26 octobre 2022. Rencontrée dans sa petite maison de Brec’h, dans le Morbihan, elle raconte son cow-boy, si libre et si désintéressé. Un témoignage poignant qui fourmille d’anecdotes sur le Canadien, héros de toujours de la course au large.
Il faisait froid ce jour-là sur l’île Gabriola. Moins froid toutefois que souvent fin janvier en Colombie-Britannique, au large de Vancouver. France Birch était venue de Bretagne disperser dans le Pacifique Nord les cendres de Mike Birch, son mari depuis 1988 décédé à quelques jours de son 91e anniversaire le 26 octobre 2022. Une cérémonie toute simple et en petit comité. Comme le premier vainqueur de la Route du Rhum (1978) sur Olympus Photo l’aurait aimé. Un poème, France, Florence, sa fille aînée, et Gray, l’ami pêcheur et homme des bois, un Canadien qui parle aux oiseaux. Une aurore boréale s’était invitée.
Quelques jours plus tôt, France Birch nous avait reçus autour d’un feu de cheminée et de spaghettis au saumon dans sa « petite maison » discrète de Brec’h en proche banlieue d’Auray (Morbihan), son « refuge » avec vue sur un petit jardin et sur un potager. « J’y suis tranquille. On n’est pas loin de la mer, on a le train juste derrière. »
Elle voulait raconter son Mike, son héros croisé à Saint-Philibert (Morbihan) au début des années 80 dans le chantier tenu par son mari, où Mike Birch était venu construire son bateau : « Il les construisait toujours et il avait acheté la maison la plus proche du chantier. » À ses côtés, Tifenn, sa cadette, la chienne Daisy de Mike, une Jack Russel, sur les genoux, précise parfois une date, rajoute un détail. « C’est l’historienne de la famille », s’en amuse sa mère.
« Un vrai cow-boy »
France n’était pas une enfant de la mer. Née à Alger, elle avait grandi dans le désert saharien avec un père spécialiste des palmeraies : « Il n’y avait pas la mer et quand on ne l’a pas, il faut y aller. C’est peut-être pour ça que j’ai aimé la mer. » Et qu’elle a aimé un marin si différent, qui demandait « le minimum » à ses sponsors, un ancien cow-boy, qui ne jugeait jamais les autres, même ceux qui l’avaient déçu.
« Un vrai cow-boy, appuie-t-elle. Il avait 6 000 ou 7 000 vaches à driver dans l’Okanogan, derrière les Rocheuses. » Et de dérouler avec tendresse les débuts de Mike : « Ses parents voulaient qu’il étudie l’économie à l’université. Il a dit oui papa, oui maman, il y a été un an et il s’est barré. Et il a été cow-boy. On y est retourné, le ranch existait encore, j’ai vu la cabane où tous les cow-boys dormaient ensemble sur des bannettes en bois. Il se levait tous les jours à 3 h 30 du matin, il y avait parfois des ours qui attaquaient. »
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De cette existence rustique, Mike Birch en avait conservé un goût immodéré pour la nature et les grands espaces. Et pour la liberté. Un personnage que n’aurait pas décrié Jack London. La mer, il y est venu plus tard, par le convoyage de bateaux, la course au large il s’y est lancé à 44 ans seulement avec la Transat anglaise 1976. L’océan, les bateaux, sa nouvelle vie tournera beaucoup autour.
« Je crois que c’est son amour de la mer qui m’a séduit, avoue France. Et son intelligence. Il attirait les femmes, et les aventuriers ça fait rêver. Il était brillantissime. Et la liberté qu’il incarnait, ça m’a fasciné. Quand on a 30 ans, on est fasciné. Après, on commence à réfléchir et à se poser des questions (rire), surtout quand on est une femme. Vers 45 ans, j’ai commencé à me poser, je suis revenue en France, j’ai fait des petits boulots pour m’offrir cette petite maison. »
« Pas attaché dans des creux de 30 m »
Mais avec Mike, France a longtemps eu 30 ans. A traversé maintes fois l’Atlantique en bateau avec lui, a apprécié la précision et la sûreté de ses gestes, dans des creux énormes quand il sortait pas attaché
, a été frappé son calme absolu, a parfois tremblé pour son mari, qui a toujours ramené ses bateaux au port. Longtemps, elle a eu plus de valises que de meubles. « J’ai adoré cette période. »
Ce samedi-là, France Birch n’avait pas trop d’appétit. Trop de souvenirs, trop de choses à raconter. Elle avait de la colère aussi parfois pour la ville de Saint-Malo et pour les organisateurs de la Route du Rhum, qui n’ont pas rendu un hommage à Mike à la hauteur du marin dit-elle.
La discussion file à plus de 30 nœuds. Tifenn s’en mêle parfois, tempère les propos de sa mère ( sa photo a été diffusée sur les remparts de Saint-Malo, il y a eu une minute de silence
), Lucy a l’œil moins triste au fil des semaines. Tag Heuer ou Fuji, ses bateaux qu’il construisait à son image, sobres et solides et qui naviguent encore, ses sponsors Mansour et Aziz Ojjeh (Tag Heuer), les frères de pontons Eugène (Riguidel), Olivier (Moussy), Loïc (Caradec), Florence (Arthaud) ou Charlie (Capelle), les noms défilent dans la conversation et évoquent une époque révolue.
« C’était une bande formidable ». C’était un petit milieu, qui n’était pas encore dans le moule. Et ça convenait à Mike Birch : « Il a vécu d’une façon très riche mais sans argent, toujours à l’économie mais d’une belle façon », préférant à la belle saison un banc à une chambre d’hôtel. « L’argent, il s’en foutait, la vie ce n’était pas ça pour lui. Et il aimait faire les choses avec ses mains, ça c’était indispensable. »
« Il n’aimait pas rester en place »
Hiver 1998 des pluies verglaçantes avaient recouvert une zone s’étalant de New-York (États-Unis) à Montréal (Canada). Plus d’électricité, une température de moins 15 degrés, et ça a duré trois semaines. Tout le monde a acheté des groupes électrogènes mais lui a refusé. Je suis restée trois semaines au lit, on ne pouvait rien faire, encore moins rouler. Il fallait s’accrocher pour vivre avec quelqu’un comme Mike
, soupire France avec tendresse. Une anecdote qui résume aussi le personnage.
Quand la carrière de Mike Birch s’est achevée, le nomade a jeté l’ancre pas bien loin de La Trinité-sur-Mer (Morbihan), l’ancienne Mecque de la course au large. Mais il n’y a jamais complètement posé son baluchon. Il n’aimait pas rester en place, sauf s’il y avait un bateau à construire
, résume Tifenn. Alors il a écrit le dernier chapitre de son épopée entre la Bretagne, l’hiver, où la disparition des fous de bassan sur l’île Rouzic, au large de Perros-Guirec (Côtes-d’Armor), le désolait, et le Canada, la majeure partie de l’année.
Là-bas, il se plaisait à retrouver les copains, Walter Greene notamment, son vieux complice architecte d’Olympus Photo, établi dans l’état du Maine (États-Unis) à qui il avait reversé la moitié de sa prime de victoire de la Route du Rhum 1978. C’est chez lui qu’il a construit son dernier bateau, au début du siècle, une coque absolument inconfortable
qu’il a baptisé Dolly, le prénom de sa maman.
Mais jusqu’au bout son port d’attache est resté Caspé en Gaspésie (Nord ouest du Canada), à 4 000 km de Vancouver où il avait vu le jour le 1er novembre 1931, un trou de 15 000 habitants très étendu mais avec seulement deux rues
, à l’entrée du Saint-Laurent et à plus de 12 h de voiture de Montréal. Une région très belle et des gens extrêmement gentils. Mais très froide l’hiver, pour y vivre il faut une grande vie intérieure.
« Mike, il y a un truc qui va t’arriver »
Une vie qui collait aux aspirations et à la philosophie de Mike Birch. Son truc c’était d’être dans la nature avec des grands espaces. Il aimait l’espace vital.
Tifenn rappelle qu’à 88 ans il lui avait demandé de l’accompagner dans sa traversée du Canada en voiture : C’est 6 000 km et il était très content. Il avait attendu d’avoir cet âge-là pour le faire.
C’est Daisy, assise sur la banquette, qui en avait profité.
Une dernière fois, début 2020, juste avant le confinement, France l’a accompagné à Roissy. En pleurs. Mike, il y a un truc qui va t’arriver. À ton âge, en pleine période de Covid…
Mais il tenait à revenir à son point de départ afin de retrouver ses copains, pas très argentés non plus. Il avait loué un Bed and breakfast, sur l’île Gabriola
. C’est dans une maison de retraite qu’elle ira le rechercher avec Robert, son fils ainé issu d’un premier mariage dès la réouverture des frontières. D’abord hospitalisé à Nanaimo, au Canada, après des problèmes de dos et une phlébite, mal alimenté et fortement amaigri, il faisait peine à voir : Une horreur, il était tombé en plus. Je l’ai ramené vite fait ici et on s’en est occupé jusqu’au bout. Il s’est rétabli, il pouvait marcher, manger. Et puis ça s’est dégradé à nouveau.
Il était comme un oiseau blessé.
Lucy a veillé Mike jusqu’au bout. Et le 26 octobre 2022, le drôle d’oiseau s’est envolé. Et au matin, il y a eu un arc-en-ciel juste là, c’est incroyable. Un signe.
Jusque-là, France s’était habituée à ses absences et à ce qu’il revienne.
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