on a tous en nous quelque chose de Tabarly
cette légende tellement française
Il y a vingt ans, le marin disparaissait, dans la nuit du 12 au 13 juin 1998. En mer, et comme il avait vécu. En homme libre qui ne se harnachait pas. Ou rarement. Éric Tabarly a construit sa légende de son vivant, sa mort l’a fait entrer dans la mythologie. Pas que celle des marins. Celle d’un pays tout entier.
Sa parole publique était assez rare et légèrement zozotante, l’œil frisait souvent, le sourcil fronçait, aussi… Éric Tabarly aimait la compagnie des hommes qu’il choisissait et ne se répandait pas en palabres inutiles, préférant houle à foule et compagnonnage à bavardage. La petite histoire veut qu’il n’ait pas crié quand sa poitrine a été heurtée par un élément de gréement de son bateau fétiche qui l’a balancé par-dessus bord, dans un traître coup de roulis en cette nuit du 12 au 13 juin 1998. Lui qui en était avare, aurait prononcé des mots inaudibles dans le fracas tempétueux… Elle raconte aussi qu’il aurait sans doute tonné à gorge déployée une de ses chansons préférées du répertoire de Piaf une fois à bon port et attablé en camaraderie. L’instant de partage n’est jamais venu.
Un noir d’encre, le vent qui forcit sur une mer d’Irlande qui s’énerve pendant le convoyage de Pen Duick avec quelques amis vers l’Écosse, une manœuvre mille fois répétée qui tourne mal, et voilà le plus célèbre des marins français qui fait son trou dans l’eau comme le premier plaisancier venu…
Voilà le conseil qu’il donnait à son fidèle ami, le voilier Victor Tonnerre. Vingt ans après la disparition du marin d’exception Éric Tabarly, il ouvre la boîte à souvenirs. Tant et tant à dire…
« Quand pouvons-nous nous voir pour le plan de voilure ? » Ces paroles ont beau avoir 55 ans, Victor Tonnerre s’en souvient comme si c’était hier. Éric Tabarly est alors planté là, debout, les bras croisés. Il écoute, sourit, ne dit rien : « Sa présence était énorme. » Elle marque le jeune entrepreneur de 25 ans, qui avec ses parents, tient la voilerie familiale à Lorient.
La légende en marche
« À cette époque, en 1963, nous sommes obnubilés par le nombre de farfelus aux cheveux longs qui veulent faire un tour du monde en bateau », sourit Victor Tonnerre, aujourd’hui maire de Larmor-Plage. Lui aussi observe le marin tant vanté par Gilles Costantini, des fameux chantiers trinitains, qui croient en ses chances pour la « course anglaise ».
Victor Tonnerre reste prosaïque : « Il fallait des sous, et on n’avait pas moyen d’être sponsor à l’époque. » Fil et tissus fournis, il consent l’effort nécessaire sur la main-d’œuvre. Avec Pen Duick II, Éric Tabarly va remporter la Transat anglaise. La légende est en marche.
Et, avec une économie de mots, naissent une grande fidélité et confiance entre les deux hommes. « Éric ne savait pas raconter sa vie sauf les anecdotes techniques. La forme des voiles, voilà ce dont il aimait parler. Ses idées étaient bonnes. »
« Il savait tout faire à bord »
Victor Tonnerre a compris très vite une chose : « Eric était un gagneur. Il n’avait pas peur. Il voulait de la vitesse et de la qualité, aller au bout sans problème. » Il sait l’écouter : « Il m’a dit un jour qu’il fallait toujours avoir les pieds sur terre. » Avertissement implicite à ceux qui planent au-dessus de l’eau, qui parlent au lieu de faire.Victor Tonnerre embarque à maintes reprises. « Il savait tout faire à bord. Pas besoin de parler, il suffisait de le regarder. » Naturellement, quand une voile vient à déchirer, à bord ou à quai, c’est Victor Tonnerre qui s’y colle. « Le développement de la voilerie était basé sur les résultats d’Eric. »
« Peut-être, si j’avais été là »…
La fidélité va dans les deux sens. C’est à Victor Tonnerre que le maître laisse le soin de confectionner la célèbre « chaussette à spi. À ses côtés, je n’ai pas appris sur le métier mais sur la forme des voiles. »Sur Pen Duick III, ils sont à la naissance de la misaine lattée : « On a gagné en surface et en facilité de manœuvre. » Et en plus, cela donne une belle forme. Important aux yeux des deux passionnés : « On savait que la perfection n’était pas de ce monde mais on se disait quand on avait amélioré les choses. »
Cotre légendaire
Un jour lors d’une sortie sur le cotre légendaire, au large de Saint-Malo, Éric Tabarly confie la barre à Victor Tonnerre : « Il voulait voir son bateau de l’extérieur. Il n’arrêtait pas de l’admirer. Et moi, j’ai été le premier skipper autre qu’Eric sur le Pen Duick. » Un bel honneur.
Et puis, il y a l’accident fatal de 1998, en mer d’Irlande : « J’étais à sa table, lorsqu’on a célébré les cent ans de Pen Duick, peu de temps avant qu’il appareille. Il m’avait demandé si je ne voulais vraiment pas venir avec lui, en Écosse. Mais j’avais trop de travail. Peut-être si j’avais été là, avec ma connaissance du bateau, j’aurais eu une bonne réaction de nuit et Éric serait encore là. »
En 1998, Victor Tonnerre cède les rênes de son entreprise. Drôle d’année. La fin d’un chapitre et d’une grande aventure humaine.
Dans la nuit du 12 au13 juin 1998, il disparaissait en mer d'Irlande, projeté par-dessus bord de «Pen-Duick», le bateau qui avait forgé sa passion. De nombreux marins ont gardé, depuis, en eux, quelque chose d'Éric Tabarly...
« Éric a dit quelque chose en tombant. Ce n'était pas un cri, c'était des mots... »
Minuit quinze à la bascule du 12 au 13 juin 1998 : Erwan Quéméré entend la voix d'Éric Tabarly mais ne distingue pas la teneur de ses propos. Ses derniers, à l'instant d'être projeté par-dessus bord de Pen-Duick, frappé de plein fouet à la poitrine par la corne, cette pièce de bois maintenant la grand-voile dans sa partie haute. « Il savait probablement ce qui l'attendait en tombant à l'eau. Il savait que dans ces conditions, on ne pourrait pas le récupérer », poursuit ce photographe de mer réputé et ami de Tabarly.
Une bouée de sauvetage est envoyée mais, dans cette nuit rendue plus sombre par le temps couvert, la tentative reste vaine. Les conditions de navigation ne sont guère favorables : environ 60 km/h de vent engendrant des creux de deux à trois mètres. Une météo à réduire la voilure. Ce que Tabarly s'emploie à faire justement dans une manoeuvre sans difficulté majeure pour un équipage expérimenté. Mais cette fois, le marin est accompagné d'amis, moins confirmés, exception faite de Quéméré à qui le boss a confié la barre. Sont également à bord un lieutenant de vaisseau en retraite et un couple de Chamonix, dans les environs duquel Tabarly, féru de ski, possède un appartement. Pen- Duick, monocoque de quinze mètres, croise alors à quelque soixante-dix kilomètres (40 milles) au sud-ouest de Milford Haven, au large du pays de Galles. Et c'est dans ces eaux d'une dizaine de degrés que Tabarly, à soixante-six ans, rejoint « la mer pour toujours »,
Avant de perdre la vie en mer le 13 juin 1998, Eric Tabarly a réconcilié par ses innovations, la France avec la navigation...
Eric Tabarly est la figure française de la course au large. Ingénieur, architecte, navigateur... Le Nantais a largement contribuer à réconcilier La France avec la navigation. C'est à partir de son exploit avec le Pen Duick II, à bord duquel il remportera en un temps record la course transatlantique en solitaire (Ostar) au nez et à la barbe des Britanniques, que débutera réellement sa légende.
Un avant-gardiste à l'origine de toutes les innovations
Né à Nantes le 24 juin 1931, Tabarly s'intéressera très tôt à la mer et ses mystères puisqu'il découvre la voile à l'âge de 3 ans au bord d'Annie, le bateau familial. Cette passion lui est transmise par son père Guy, qui achète un voilier ancien en 1938, construit par William Fife. C'est la révélation pour le petit Eric, qui s'engagera plus tard dans la marine nationale. Toujours officier, à 33 ans et à la tête de grandes connaissances dans le domaine de la navigation, le Nantais souhaite participer à l'Ostar (Transat Anglaise qui se déroule tout les quatre ans) en 1964, et bénéficie de l'aide des architectes Gilles et Marc Costantini, pour construire le Pen Duick II, un voilier à deux mâts (Ketch) long de 13,60 mètres, spécialement conçu pour prendre part à cette course.
Le 18 juin 1964 à 10h45, Eric Tabarly franchit en vainqueur la ligne d'arrivée à à Newport devant le grand navigateur britannique Francis Chichester notamment. Un exploit XXL qui vaudra à Tabarly d'être fait chevalier de la Légion d'honneur par Charles de Gaulle. S'il remportera la Transat une seconde fois en 1976, et de nombreuses courses avec le Pen Duick III (l'embarcation la plus titrée de la série des Pen-Duick), le génial navigateur sera surtout à l'origine de nombreuses avancées dans le domaine technique. Ainsi, il n'hésite pas à passer au multicoque après avoir navigué avec un trimaran (le Toria) à l'occasion d'un convoyage en 1966. De même, Tabarly mettra à contribution son esprit d'innovation pour concevoir des voiliers de compétition novateurs comme les Pen Duick IV, V et VI.
Sportif préféré des français
Sa popularité grandissante fera de lui le sportif préféré des Français en 1976, d'après un sondage de L'Equipe auprès des lecteurs le plaçant devant des icônes telles qu'Eddy Mercx, Johan Cruijff ou encore le pilote de F1 Nikki Lauda ! On verra même l'aventurier Eric descendre les Champs-Elysées en héros après son doublé dans la Transat réalisé la même année. En acceptant à son bord des équipiers tes qu'Alain Cloas, Michel Desjoyaux, Olivier de Kersauson ou encore Jean Le Cam, le "Sphynx de Bénodet" a véritablement créer une école française de la course au large.
Et parce que la vie d'un marin appartient à la mer, c'est presque inéluctablement qu'Eric Tabarly disparaissait en mer dans la nuit du 12 au 13 juin 98 au large de la mer d'Irlande. Projeté en mer alors qu'il effectuait une manœuvre de réduction de la voilure. Comme un symbole, le corps repêché 7 jours plus tard par des pêcheurs, était vêtu de son célèbre pantalon de coton rouge, ses bottes bleues et son pull marin Bleu marine avec l'inscription "Eric Tabarly"...
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