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Ce que l’archéologie nous apprend sur le débarquement de Normandie
Douze mètres de descente le long d’une échelle fixée à un puits d’aération creusé dans le calcaire. En bas, à la lumière des lampes frontales, on devine des éléments en briques, les restes d’une installation électrique…
Nous sommes à Fleury-sur-Orne, juste au sud de Caen (Calvados). Du 6 juin au 17 juillet 1944, cette vaste carrière souterraine, servant de lieu de stockage à la brasserie Saingt, a abrité près d’un millier de civils. La quinzaine de carrières du secteur a joué le même rôle. Mais celle-ci est particulière.
« Après la Libération, le préfet n’a pas reconnu le rôle de la famille Saingt, qui a activement aidé les réfugiés, raconte Vincent Carpentier, archéologue à l’Inrap (Institut national des recherches archéologiques préventives). Vexé, le brasseur a interdit l’entrée de la carrière. » Le long tunnel en pente douce ayant été ultérieurement bloqué par un éboulement, le puits d’aération est resté le seul accès à ce lieu préservé.
Restes de disques
Nous pataugeons dans les pas des scientifiques. Même un œil peu exercé reconnaît les nombreux restes de chaussures, têtes de poupées, les pots à feu, les pièces de monnaie perdues aux abords des points de passage. L’archéologue Cyril Marcigny indique des abords aplanis, les restes de quelques planches pourries, de modestes bijoux auparavant cachés sous la paille de ces lieux de couchage. Des lunettes sont à moitié cachées dans une anfractuosité. Tout au fond du site, des restes de disques en laque attestent d’un point de rassemblement plus « festif ».
Cyril Marcigny, à la base spécialiste de la protohistoire, a été frappé par les similarités d’organisation et de types d’objets entre les grottes habitées de l’âge du bronze et celle-ci. « Cela peut nous amener à modérer des interprétations des grottes anciennes. Trouver des objets cachés ou des amoncellements de pots peut indiquer un sanctuaire… ou non. On protège ses objets précieux, par sens pratique… » Petit étonnement, le nombre important de munitions, inertes ou non, associées aux jouets d’enfants. On s’amuse avec ce qu’on a sous la main.
Les archéologues ont mené ici cinq campagnes depuis 2014, confrontant leurs observations avec les souvenirs des survivants. Le site a été entièrement scanné en 3D et mesuré en photogrammétrie, ce qui va permettre de le visiter en réalité virtuelle immersive (avec un casque) : « Ce n’est pas un gadget, comme on le croit souvent, insiste Cyril Marcigny. Cela est vraiment utile au travail scientifique. »
La semaine dernière, l’accès à la carrière a été scellé. Les archéologues comptent y revenir dans cinq ans, pour étudier la dégradation naturelle des « mobiliers » (objets). « Quand on a commencé, on voyait encore des morceaux d’albums à colorier, beaucoup plus de tissus », souligne Vincent Carpentier. De la pure archéologie expérimentale, forcément utile à leurs confrères du futur.
La batterie côtière de Longues-sur-Mer (Calvados), élément particulièrement bien conservé du Mur de l’Atlantique, accueille, jusqu’au 20 octobre, une exposition en plein air consacrée à l’archéologie du Débarquement. Elle a été conçue par les archéologues Vincent Carpentier et Cyril Marcigny (lire ci-dessus), auteurs d’un passionnant ouvrage sur le sujet aux éditions Ouest-France (144 p. 15, 90 €). Le Mur de l’Atlantique, les épaves, la vie des civils, les camps de prisonniers, les sépultures : l’archéologie étaye scientifiquement, parfois module, les récits d’une histoire proche, et documente des vestiges amenés à disparaître.
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