Le 26 juin 1963, il y a 60 ans jour pour jour, John F. Kennedy prononçait à Berlin son fameux «Ich bin ein Berliner» (je suis un Berlinois). Berlin-Ouest était alors un îlot de liberté perdu au beau milieu de la dictature communiste d'ex-RDA, pris en tenaille entre l'Occident et le Bloc de l'Est alors plongés en pleine Guerre froide.
RÉCIT - Tête-brulée, le Californien s'était lancé le défi dantesque de rendre accessible aux touristes les grands fonds marins via des submersibles privés.
La pression aura donc eu raison du Titan. Le petit submersible, descendu à la rencontre l'épave du Titanic, s'est abimé au fond de l'Atlantique Nord, entrainant la mort des cinq membres de son équipage. Parmi eux, Stockton Rush, co-fondateur et PDG d'OceanGate, la société organisatrice de l'expédition. Ingénieur, pilote et entrepreneur aventureux, cet américain de 61 ans s'était lancé bille en tête dans un projet dantesque : rendre accessible au public l'exploration sous-marine. En véritable passionné, Stockton Rush ne reculait devant rien pour développer ce tourisme de niche, au point d'être à l'origine d'avancées technologiques remarquables, via la construction de sous-marins privés révolutionnaires. Mais il n'y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne.
La tragique histoire du Titan commence en 2009. À cette époque, OceanGate n'existe pas encore mais tous les éléments sont déjà réunis. Diplômes d'ingénierie aérospatiale et d'administration des affaires en poche, Stockton Rush s'est déjà essayé à de nombreux métiers. Touche-à-tout, le Californien s'est frotté au pilotage, à l'ingénierie aéronautique et la gestion d'entreprise, avant de revenir à une de ses passions d'adolescent : l'exploration des fonds marins. Diplômé de plongée depuis l'âge de douze ans, il préfère toutefois le confort des submersibles. «Je voulais m'asseoir dans un sous-marin et regarder les crabes se battre au son de Mozart pendant deux heures», expliquait-il au journal Independent.
Submersible fait-maison
Désolé de voir l'humanité délaisser l'océan pour l'espace, l'insatiable Stockton Rush convainc son ami entrepreneur Guillermo Söhnlein d'investir dans le tourisme sous-marin. «Nous nous sommes dit : «eh bien, il y a des gens qui veulent faire du tourisme d'aventure haut de gamme et des gens qui dépensent 100.000 $ pour gravir l'Everest ou aller en Antarctique». Peut-être pourrions-nous fusionner les deux...», a-t-il déclaré lors d'une conférence organisée par le site d'actualités technologiques GeekWire. Les deux entrepreneurs s'associent alors et fondent OceanGate en 2009. Le but : «changer le paradigme de l'exploration sous-marine humaine», en proposant des expéditions avec équipages privés, comme l'écrit Guillermo Söhnlein sur son site internet.
Pour ce faire, la société doit rapidement se constituer une flotte. Alors sans attendre, Stockton Rush achète un submersible touristique néo-zélandais, l'Antipodes. Équipé de deux hublots, l'engin capable de descendre à 300 mètres de profondeur sert dans des expéditions dans le golfe du Mexique et au large de la côte côté californienne. L'aventure OceanGate commence pour de bon. L'entreprise propose ses expéditions sous-marines avec équipage à des amateurs, chercheurs, scientifiques et cinéastes. Mais Stockton Rush voit plus grand. Il s'entoure d'une véritable équipe d'ingénieurs afin de développer ses propres submersibles. En 2015, la société présente Cyclope 1, première version du Titan. Ce prototype, capable de descendre à 500 mètres de profondeur, présente un large hublot qui lui donna son nom. Le laboratoire de physique appliquée de l'Université de Washington a notamment participé au développement du système de contrôle automatisé dernier cri de ce submersible cinq places.
Son petit frère Titan voit le jour trois ans plus tard. «Un défi technique difficile», se vantait Stockton Rush sur une radio américaine. Système de surveillance intégré, coque révolutionnaire en titane et carbone, plate-forme de lancement et de récupération ultra-pratique… Tout porte à croire que le Titan, bijou de technologie, était sans danger d'utilisation.
Un submersible «ni approuvé, ni certifié»
Pourtant, le nouveau-né d'OceanGate a essuyé de nombreuses critiques de la part des professionnels de l'industrie submersible. La société refusait de soumettre son protégé à une certification. Le Wall Street Journal rapporte d'ailleurs le repoussement de Stockton Rush pour cette procédure qui limitait l'innovation. En 2018, le comité de la Marine Technology Society sur les véhicules sous-marins habités avait pourtant signalé que la décision d'OceanGate de ne pas soumettre le Titan à une vérification de sécurité laissait planer le risque d'une défaillance potentiellement catastrophique.
Un avis partagé par le journaliste David Pogue. Pour un reportage pour la chaîne américaine CBS, il avait pris part à une exploration du Titanic organisée par OceanGate. Sur Twitter, il décrit l'aspect «Macgyveresque» du submersible, dirigé avec une manette de PlayStation. Avant l'expédition, il avait dû signer une décharge de responsabilité précisant que le Titan est un «navire submersible expérimental qui n'a été ni approuvé, ni certifié par aucun organisme de régulation et pourrait entraîner des blessures physiques, des traumatismes émotionnels ou la mort ». Lors de la plongée, le sous-marin a justement perdu la communication pendant deux heures et demie avec le navire de surface qui le guidait via SMS.
Stockton Rush a d'ailleurs souligné le caractère désordonné du mode d'innovation de son entreprise. «Si vous ne cassez pas des choses, vous n'innovez pas», a-t-il déclaré lors d'une conférence en 2022. Si la sécurité du sous-marin semblait hasardeuse, les comptes d'OceanGate pourraient l'être tout autant. Son fondateur a reconnu ne faire aucun bénéfice avec les expéditions vers le Titanic. «Certains diraient que 250.000 dollars [pour un voyage dans le Titan, NDLR] sont une grosse somme d'argent, mais nos frais dépassent le million de dollars», a-t-il précisé. Pourtant, ni les contraintes financières, ni l'absence de certification ne semblaient pouvoir arrêter Stockton Rush. Sa société travaillait en effet sur la troisième version du Cyclope.