Vous l'avez compris : j'étais fan !
L’hommage populaire rendu au chanteur et comédien Johnny Hallyday, le 9 décembre dernier à Paris, s’est présenté d’une façon totalement inédite avec l’organisation d’une cérémonie unique dans les annales de notre Histoire.
Alors que la veille, l’écrivain Jean d’Ormesson bénéficiait, essentiellement en raison de son statut d’académicien, d’un hommage national dans la cour des Invalides après une messe privée dans la cathédrale Saint-Louis, un tel hommage apparaissait inapproprié pour un artiste de variété. En temps normal, les artistes, qui furent pendant longtemps interdits d’obsèques religieuses, doivent se contenter d’une cérémonie privée, même si des personnalités publiques y participent. Dans le cas présent, l’immense émotion suscitée par la disparition de la vedette, entretenue par une intense médiatisation, a commandé d’innover en instituant, par un accord entre la famille et les pouvoirs publics, un hommage populaire, pas totalement national mais pas totalement privé non plus, conforme à la hauteur de l’événement et aux attentes du public.
De fait, dès que l’émotion s’empare d’une situation, ce qui est de plus en plus souvent le cas dans notre monde médiatique avide d’images, s’installe une part d’irrationalité à laquelle les autorités ne peuvent échapper et qui les oblige à adopter, dans l’urgence, une posture qu’ils n’auraient certainement pas prise naturellement. On se souvient comment la Cour d’Angleterre a dû rapidement réviser sa position face à l’émoi suscité par la disparition brutale de Diana, soudainement érigée en princesse du peuple.
A dire vrai, le pouvoir politique n’a guère tergiversé dans le cas présent, trop heureux d’apparaître en phase avec la société. D’où cette cérémonie, entre la place de l’Étoile et l’église de la Madeleine, avec un grand concours de foule et la prise de parole du Président de la République. Ce choix a été justifié par la personnalité hors du commun du défunt présenté comme la personne la plus rassembleuse de notre pays. En effet, Johnny Halliday a eu une carrière d’une exceptionnelle longévité et a su, tout au long de ses presque soixante années de vie publique, évoluer et s’adapter, séduisant ainsi de nouvelles tranches d’âges.
Pour autant, est-il aussi représentatif de notre nation, telle qu’elle se présente aujourd’hui ? Certes, comme il a été dit à satiété, Johnny plaisait à la France d’en bas comme à la France d’en haut (« des friches abandonnées aux tours de l’establishment » pour reprendre la formule de l’écrivain Daniel Rondeau dans son discours), au peuple de droite comme au peuple de gauche même si ses idées penchaient plutôt du premier côté. Néanmoins, à bien regarder la foule massée le long du cortège, on pouvait se rendre compte que les cheveux blancs et gris l’emportaient sur les têtes blondes : les fameux bykers, en dépit de leurs tenues extravagantes et de leurs motocyclettes pétaradantes, n’appartiennent pas, majoritairement, à la jeune génération. Quant à la non moins fameuse France « black blanc beur » qui semble la figure imposée de notre pays depuis la Coupe du monde de football de 1998, elle n’était guère davantage visible : pourtant, d’après un classement très officiel, la personnalité préférée des Français, plutôt que Johnny Halliday, n’est-elle pas Omar Sy, comédien d’origine africaine et de confession musulmane ? En fait, à l’heure de la mondialisation et en dépit de ses références anglo-saxonnes, Johnny Halliday fut « un destin français » pour reprendre la formule d’Emmanuel Macron.
Mais le décalage le plus important, qui en même temps a constitué une formidable surprise, est apparu dans la partie religieuse de la cérémonie. Alors qu’en d’autres circonstances, comme après des attentats, la religion n’a droit de cité qu’à travers de mornes et froids rituels inter-religieux, l’Église catholique, en cette journée de la laïcité, s’est offerte une audience (15 millions de téléspectateurs) que Le Jour du Seigneur n’a jamais eu et n’aura sans doute jamais. On aurait pu, pourtant, s’attendre au pire, avec le portrait géant de Johnny Hallyday sur la façade de la Madeleine comme un jour de canonisation sur les murs du Vatican et par le mélange annoncé entre Gabriel Fauré et le rock’n’roll, même si ce dernier n’est plus considéré, en soi et depuis longtemps, comme une musique satanique. Sans doute grâce à l’épouse du défunt, dont on dit qu’elle est sincèrement croyante, la cérémonie religieuse, qui n’était pas une messe, en l’absence d’eucharistie, a été de haute tenue où la foi catholique a semblé réapparaître comme la religion naturelle des Français. Devant un parterre d’hommes politiques plutôt franc-maçons, de représentants du show-business majoritairement juifs et de la foule généralement indifférente, le célébrant, Mgr Benoist de Sinety, a su trouver les mots justes en centrant son homélie sur l’Amour, tandis que l’épître de Saint-Paul lu par Marion Cotillard et la prière universelle dite par Carole Bouquet étaient prononcés et entendus comme une évidence.
D’où cette interrogation : l’enterrement de Johnny Hallyday a-t-il été aussi celui d’une certaine France appelée à disparaître avec lui ou la manifestation d’une France éternelle, habituellement refoulée, mais prête à renaître au premier signe favorable ?
Le célèbre « Allumez le feu » du chanteur disparu a fait ainsi retentir soudainement à nos oreilles l’appel de Jésus-Christ (Luc 12, 49-53) : « Je suis venu apporter le feu sur la Terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! ».