La Bretagne de Patrick Poivre d'Arvor
La
Bretagne des grèves et des landes n'a plus de secret pour cet amoureux
du Trégor et de ses environs. Selon l'écrivain journaliste, qui aime
s'éloigner du tumulte médiatique parisien pour retrouver les Côtes
d'Armor, la terre de ses ancêtres est également un phare culturel et
artistique qui éclaire toute la France.
Le 1er mai 1847, Gustave Flaubert quitta
Paris avec son ami Maxime Du Camp pour entreprendre un voyage en
Bretagne, se promettant d'écrire un journal de bord qu'ils intitulèrent
Par les champs et par les grèves. Quand ils arrivèrent dans le Trégor, Du Camp écarquilla les yeux:
« Sauf
la route stratégique, on ne trouvait guère que les chemins creux
surplombés par les haies dont les ronces et les clématites
s'entrelaçaient autour des houx, pur langage celtique ; maigre bétail, culture enfantine, bourgades délabrées, insouciance, superstition, misère... »
Quel tableau ! Merci pour l'inculture, le délabrement et la misère !
Cent soixante-trois ans plus tard, j'aurais bien organisé un nouveau
voyage pour nos deux amis qui, entre-temps d'ailleurs, se brouillèrent
après un périple en Orient. Ils y verraient que dans cette avancée
extrême de l'Occident européen, on a beaucoup bougé. Le bétail s'est
remplumé, un peu trop d'ailleurs au goût des écologistes qui lui
reprochent de déverser son lisier dans les rivières et donc dans la mer,
d'où les algues vertes... Ils y découvriraient également que les
chemins creux sont devenus autoroutes, routes à quatre voies ou lignes
de TGV. Ils y apprendraient surtout que la culture bretonne, loin d'être
enfantine, ou bécassine, y est aujourd'hui très riche.
PPDA à Concarneau.(Stephan Gladieu/Le Figaro Magazine)
On ne peut en revanche reprocher à l'auteur du
Dictionnaire des idées reçues d'avoir été saisi par
« le pur langage celtique ».
En ce début du XXIe siècle, il est toujours inscrit dans la mémoire de
mon Trégor, un paysage à nul autre pareil, où galopent légendes et
onirisme au milieu des bruyères, des fougères, des ajoncs et des genêts.
C'est là, entre Trégastel et Ploumanac'h, qu'un peu avant la
Révolution des marins pêcheurs y bâtirent une petite maison dans
laquelle j'ai élu domicile depuis une trentaine d'années. Je l'ai
baptisée Crech Maneger Noz. Crech, parce qu'elle est située sur un chaos
de rochers roses issus d'une des nombreuses secousses telluriques que
connut la Bretagne. Et Maneger Noz parce que cela évoque
« le lutin qui brouille le crin des chevaux la nuit ».
Un lutin qui court les landes et les grèves, à la nuit tombée, comme
les korrigans, les célèbres feux follets de chez nous. Ils sont partout,
seuls ou en groupe, serviables ou facétieux, mais toujours présents.
Ces gnomes espiègles ou vifs ont une allure humaine, mais ils sont de
toute petite taille. On ne les repère pas facilement entre menhirs et
dolmens ou dans les sous-bois. Peu actifs en hiver, les korrigans se
calfeutrent sous terre ou au creux des arbres. Aux beaux jours, ils
deviennent plus familiers, effrontés, sans cesse disposés à taquiner
l'incrédule. Certains se glissent même dans les maisons pour y faire des
farces à leurs occupants, voire les effrayer. A mon avis, ils ont dû
bien se moquer de Flaubert et Du Camp...
Soumise au grand flux d'ouest comme aux forces cosmiques, la Bretagne
est un pays de légendes, entre rêve et réalité. Au fond, le roi Arthur
et ses chevaliers de la Table ronde sont toujours parmi nous. Que
recherchaient-ils? Le Graal, cette coupe d'émeraude sans âge qui servit à
la Cène et dans laquelle Joseph d'Arimathie recueillit le sang du
Christ expirant sur la Croix. Le conseiller et ami du jeune roi, Merlin
l'Enchanteur, magicien bienveillant des légendes celtes, fut à ce point
aimé de la fée Viviane qu'elle en perdit la tête. Forte des sortilèges
appris de la bouche même de Merlin, elle l'envoûta à la fontaine de
Jouvence, après avoir rajeuni ses traits. Puis elle l'emprisonna pour
l'éternité dans neuf cercles magiques durs comme le roc. Et voilà
pourquoi la Bretagne est éternelle...
La Bretagne, et singulièrement le Trégor, au nord des Côtes-d'Armor -
naguère Côtes-du-Nord -, envoûte le voyageur (sauf s'il est atteint de
bovarysme) par le spectacle de ces furieuses épousailles de la mer, en
général agitée, et de la côte, en général déchiquetée. Tout au long des
grèves trégoroises, entre Plestin et Paimpol, on raconte encore que le
chant mélodieux et le long corps dévêtu des sirènes, à la blonde
chevelure entremêlée d'algues, captivent toujours pêcheurs et matelots.
Elles les entraînent sous la mer, vers leur palais de corail et de
diamants où ils se noient. D'où la multiplicité de calvaires qui, sur
nos côtes et nos chemins, tendent leurs bras vers le ciel en implorant
son pardon. Les Bretons entretiennent un rapport très étrange avec la
mort, fait de respect mais aussi de proximité. Dans le Trégor, un grand
nombre de rites sont liés à l'idée du passage. L'Ankou, ce funèbre
personnage représenté par un squelette armé d'une faux, est souvent
sculpté sur les ossuaires. La tradition veut qu'il erre la nuit sur un
chariot grinçant. Si l'on en perçoit le bruit ou, pire, si on le
rencontre, c'est signe que la mort est prochaine.
La plage de Trégastel est célèbre pour son sable fin et ses rochers fantasmagoriques. (Stephan Gladieu/Le Figaro Magazine)
Cet Ankou si diabolique rôde tout autour de l'une des plus belles
cathédrales bretonnes, Saint-Tugdual, à Tréguier, la capitale historique
du Trégor. C'est là que reposent Jean V de Bretagne et saint Yves, le
saint patron des Bretons... et des avocats. Yves, comme
Mon frère Yves,
de Pierre Loti qui a si bien raconté la ville voisine de Paimpol. Juste
à côté de Saint-Tugdual se dresse la maison natale d'un autre écrivain
majeur, Ernest Renan.
Aujourd'hui, la capitale économique du Trégor se nomme Lannion, avec
ses superbes maisons à colombages, mais aussi son technopôle
particulièrement inventif en matière de nouvelles technologies. Tout
près de là, à Pleumeur-Bodou, le radôme a permis la première liaison par
satellite entre la France et les Etats-Unis. Le général de Gaulle y
avait fait pour l'occasion le déplacement. En étoile tout au long de
cette immense localité qu'est Pleumeur, on retrouve les joyaux du Trégor
: Trébeurden, L'Ile-Grande, Trégastel, Ploumanac'h, Perros-Guirec,
Port-Blanc, Penvénan et Plougrescant. Et, au large, les Sept-Iles qui
protègent la côte de leur bienveillance. J'aimais rendre visite aux
gardiens du phare de l'île aux Moines, comme à ceux des Triagoz, du
temps où ils n'étaient pas encore automatisés. C'est de cette
hauteur-là, à une altitude d'albatros, qu'il faut contempler au loin
grèves et landes, lutins et korrigans. Et s'il vous plaît, ne restez pas
incrédules. On est en Bretagne, le pays de la mer. Et celui de la fin
de la terre.
Vient de publier La Bretagne vue par Patrick Poivre d'Arvor (Hugo et Compagnie, 320 p., 200 photos, 25 €).
LES BONNES ADRESSES DE PATRICK POIVRE D'ARVOR
Boire un verre
Au bar de l'hôtel Le Beauséjour, qui surplombe la plage de Trégastel.
Des hôtes accueillants dans un décor soigné qui fait la part belle aux
choses de la mer (maquettes de bateaux et de phares, scaphandrier,
filets, bouées...).5, plage du Coz-Pors, Trégastel 02.96.23.88.02).
Se promener
Le sentier des douaniers, inaccessible en voiture, permet de
découvrir, aux environs de Ploumanac'h, entre Trégastel et
Perros-Guirec, des panoramas à couper le souffle... et la maison de
Gustave Eiffel, encore habitée par sa famille aujourd'hui.
Ecouter de la musique
A l'entrée de Trégastel, le café-concert Toucouleur est un bar qui
accueille presque tous les soirs (à l'heure de l'apéritif, puis tard
dans la soirée) des groupes ou orchestres de musique celtique
(irlandaise et bretonne en particulier). Magnifique ambiance on peut
aussi danser.118, rue Poul-Palud, Tourony, Trégastel (02.96.23.46.26).
Déjeuner ou dîner
La Suite, à la pointe ouest de la plage de Trestraou, à
Perros-Guirec. Dans un cadre chic mais décontracté, un restaurant
raffiné avec une terrasse protégée des embruns et une salle à manger
bénéficiant d'une magnifique vue sur la baie et les Sept-Iles.Plage de
Trestraou, Perros-Guirec 02.96.49.09.34).
Dormir
Manoir de Lan Kerellec, vieille demeure familiale, lieu magique et
authentique avec la charpente de sa salle à manger en forme de carène de
bateau et des chambres qui s'ouvrent sur une vue unique: les îles
faisant face à Trébeurden. Allée centrale de Lan Kerellec, Trébeurden
(02.96.15.00.00).
SERVICE
» La Bretagne vue par Patrick Poivre d'Arvor, de Patrick Poivre d'Arvor, Hugo Image, 23,75€ sur Fnac.com