Jean-Louis Harouel réhabilite l’identité
Lorsque
Christophe Colomb, en route vers l’Amérique, démontre à son équipage
médusé qu’on peut faire tenir un œuf sur une table, qu’il suffit pour
cela d’en briser la coquille, il ignore qu’il vient d’inventer une
méthode presque aussi révolutionnaire que ce qu’il découvrira bientôt au
bout de sa longue-vue. Une méthode qui consiste à trouver à portée de
main la solution d’un problème qui semblait insoluble...
Tel l’œuf de
Colomb, l’essai de Jean-Louis Harouel, Revenir à la nation,
sera sans nul doute accusé de simplisme par ceux qu’il dérange et
feignent d’oublier que la simplicité est la marque des grands livres.
Celui-ci, de fait, ne s’embarrasse pas de circonlocutions, et il suffit
de lire le titre pour comprendre où il veut en venir. Ou en revenir.
À la nation : c’est que celle-ci, bien qu’elle paraisse
définitivement ringarde à certains, demeure la cellule fondamentale de
l’ordre politique. La nation, qui renvoie à l’idée de naissance, est en
effet le lieu de l’héritage : c’est elle qui relie le passé au présent
et à l’avenir par l’intermédiaire de la culture et de la mémoire − et
Jean-Louis Harouel de rappeler, à ce propos, que même la conception «
républicaine » d’Ernest Renan ne se borne pas à une approche
volontariste et individualiste : elle la combine à une dimension
collective et historique. Si la nation selon Renan peut être « un
plébiscite de chaque jour », c’est parce qu’elle traduit « la volonté de
continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu », le désir de
prolonger un enracinement dans une appartenance commune qui se situe
dans le temps pas moins que dans l’espace.
Dans cet ordre, Jean-Louis Harouel observe qu’une démocratie ne se
conçoit pas sans le sentiment de former un ensemble solidaire, et il
n’hésite pas à citer Rousseau, qui affirmait au début de l’Émile que «
là où il n’y a plus de patrie, il ne peut plus y avoir de citoyens ».
Mais plus généralement, la nation conditionne l’existence même du
politique, et au-delà encore, de la justice : « Le juste exige un cadre
humain et territorial à la fois délimité et le plus homogène possible,
dont la forme la plus réussie est l’État-nation. Le fait que l’amour
universel n’est pas la justice a été mis en évidence par un rabbin
italien d’origine marocaine, mort en 1900, Élie Benamozegh. Partant de
l’exemple juif, il considère que la justice ne peut se réaliser vraiment
que dans le cadre de la nation et sous le régime de la loi nationale.
Garant de la loi, l’État est responsable de la justice. Dans la mesure
où elle prétend nier la nation, la fraternité universelle refuse sa
légitime part au principe de la justice. » En somme, on ne saurait se
passer de la nation.
Or, sur le continent européen qui fut, durant deux millénaires, le lieu de son épanouissement, la nation est en train de disparaître – à l’occasion d’un retournement historique majeur à propos duquel Jean-Louis Harouel avance une hypothèse très pertinente. Selon lui, le « véritable génie du christianisme » a été d’établir une séparation du politique et du religieux fondée sur le précepte christique : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Les obligations religieuses ne concernaient que les personnes, seules appelées à faire leur salut éternel ; les personnes, pas les États, pour lesquels, selon la formule latine, « le salut du peuple est la loi suprême » et qui, même très chrétiens, n’avaient pas à rougir de leur égoïsme national ni à renoncer à la « raison d’État » lorsque le bien de la nation était en jeu. Préoccupé par le seul salut des âmes, le christianisme permet donc une séparation des genres, donc une forme de laïcité. En revanche, le « post-christianisme » qui lui a succédé en Europe depuis la seconde moitié du XXe siècle instaure une totale confusion. En effet, tandis que les personnes ont très largement abandonné leurs convictions religieuses et se complaisent dans un hédonisme décomplexé , les préceptes évangéliques – « Aime ton prochain comme toi-même », « Tends la joue gauche lorsqu’on te frappe sur la droite », etc. – sont désormais considérés comme applicables aux États. Ceux-ci doivent ainsi apprendre à subordonner leurs propres intérêts, même vitaux, à la fraternité universelle, à une non-discrimination élevée au rang de norme sacrée, à la poursuite de la paix perpétuelle et au principe de « l’amour de l’autre poussé jusqu’à la haine de soi ». Le post-christianisme repose sur l’oubli de la leçon séculaire selon laquelle les chemins de la sanctification individuelle sont suicidaires pour un État, en même temps que criminels et forcément injustes pour sa population.
Or, sur le continent européen qui fut, durant deux millénaires, le lieu de son épanouissement, la nation est en train de disparaître – à l’occasion d’un retournement historique majeur à propos duquel Jean-Louis Harouel avance une hypothèse très pertinente. Selon lui, le « véritable génie du christianisme » a été d’établir une séparation du politique et du religieux fondée sur le précepte christique : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Les obligations religieuses ne concernaient que les personnes, seules appelées à faire leur salut éternel ; les personnes, pas les États, pour lesquels, selon la formule latine, « le salut du peuple est la loi suprême » et qui, même très chrétiens, n’avaient pas à rougir de leur égoïsme national ni à renoncer à la « raison d’État » lorsque le bien de la nation était en jeu. Préoccupé par le seul salut des âmes, le christianisme permet donc une séparation des genres, donc une forme de laïcité. En revanche, le « post-christianisme » qui lui a succédé en Europe depuis la seconde moitié du XXe siècle instaure une totale confusion. En effet, tandis que les personnes ont très largement abandonné leurs convictions religieuses et se complaisent dans un hédonisme décomplexé , les préceptes évangéliques – « Aime ton prochain comme toi-même », « Tends la joue gauche lorsqu’on te frappe sur la droite », etc. – sont désormais considérés comme applicables aux États. Ceux-ci doivent ainsi apprendre à subordonner leurs propres intérêts, même vitaux, à la fraternité universelle, à une non-discrimination élevée au rang de norme sacrée, à la poursuite de la paix perpétuelle et au principe de « l’amour de l’autre poussé jusqu’à la haine de soi ». Le post-christianisme repose sur l’oubli de la leçon séculaire selon laquelle les chemins de la sanctification individuelle sont suicidaires pour un État, en même temps que criminels et forcément injustes pour sa population.
Pour sauver la nation et l’immense trésor qui s’y rattache, il faut
donc, explique Harouel, oser aller à contre-courant, répudier le «
post-christianisme », et adopter à sa place le modèle juif – autrement
dit, celui d’un État-nation « à la vigueur identitaire exemplaire ». À
ce propos, l’auteur, qui est par ailleurs l’un des maîtres contemporains
de l’histoire des institutions, rappelle que les nations de l’Europe
médiévale furent conçues sur le modèle de l’État hébreu de l’Ancien
Testament : le cas étant particulièrement net pour l’État français, qui a
su tirer très précocement de la Bible « l’armature doctrinale de son
édification » – qu’il s’agisse du sacre du roi ou du rapport très intime
entre le chef et la nation qu’il dirige, rapport impliquant notamment
que seul un prince français peut monter sur le trône.
Le modèle proposé par Harouel a donc le mérite insigne d’être indemne de ce « post-christianisme » où s’est engluée l’Europe : l’État d’Israël refuse en effet de considérer comme dépassées les notions d’indépendance et d’identité, et il admet sans restriction l’usage des moyens nécessaires pour les défendre. C’est ainsi qu’ Israël apparaît à ses yeux comme « le seul État européen à avoir conservé un contenu national précis et qui continue à se comporter en véritable État », c’est-à-dire, en État dont « la seule raison d’être » est le service de la nation.
Le modèle proposé par Harouel a donc le mérite insigne d’être indemne de ce « post-christianisme » où s’est engluée l’Europe : l’État d’Israël refuse en effet de considérer comme dépassées les notions d’indépendance et d’identité, et il admet sans restriction l’usage des moyens nécessaires pour les défendre. C’est ainsi qu’ Israël apparaît à ses yeux comme « le seul État européen à avoir conservé un contenu national précis et qui continue à se comporter en véritable État », c’est-à-dire, en État dont « la seule raison d’être » est le service de la nation.
En somme, conclut Jean-Louis Harouel, « pour revivre pleinement, les
nations européennes doivent retrouver ce qui fut jadis la part juive de
leur identité chrétienne : l’aptitude à la fierté et l’amour de soi
comme groupement humain particulier ». C’est ainsi, et pas autrement,
qu’elles pourront « reprendre place dans l’histoire, dont elles étaient
sorties ».
Revenir à la nation, Jean-Louis Harouel, éditions Jean-Cyrille Godefroy