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Et moi, je vis toujours - Jean d'Ormesson, à paraître en janvier chez Gallimard
Patrice ThomasLes derniers mots au feutre bleu de Jean d’Ormesson ... fin de son manuscrit « un Hosanna sans fin »
Jean d’Ormesson est mort d’une crise cardiaque dans la nuit de lundi à mardi, à l’âge de 92 ans, a annoncé sa famille à l’Agence France Presse.
Jean d'Ormesson avait eu cette belle idée : faire entrer une femme, Marguerite Yourcenar, à l'Académie Française et ce, contre l'avis de ses confrères, "pour faire tomber l'une des citadelles du machisme intellectuel", il a dû mener une bataille "rude mais victorieuse".
Ce soir dans l'Heure Bleue, deux entretiens d'Hors Champs diffusés sur France Culture les 10 et 11 décembre 2015, Jean d'Ormesson (1/2) et Jean d'Ormesson (2/2)
Hommage à l'écrivain, Académicien, journaliste Jean d'Ormesson. Pour évoquer cette figure de la littérature française, ceux qui l'ont connus, qui l'ont accompagné sous la coupole de l'Académie française : Dany Laferrière, Manuel Carcassonne, Jean-Christophe Rufin, Marc Lambron.
Jean d'Ormesson, c'est l’écrivain et académicien, normalien, agrégé de philosophie, homme de lettre et de presse. Il était attaché à son journal, Le Figaro, qu'il a dirigé pendant trois ans. Un homme d'histoire et de culture, il était un écrivain tout sauf approximatif.
Ce qui compte, c'est l'amour. Quand je mourrais, je me souviendrais de ceux que j'ai aimé et qui m'ont aimés, pas de l'Académie, ni du Figaro ! Jean d'Ormesson
Depuis quelques années, il tentait de conjurer le doute, d'apprivoiser la mort par l’écriture.
Dès 2008 avec Qu’ai-je donc fait, où il écrit « J'ignore s'il y a un Dieu ailleurs, autre chose après la mort, un sens à cette vie et à l'éternité, mais je fais comme si ces promesses étaient déjà tenues et ces espérances, réalisées » jusqu’à son prochain livre attendu l’an prochain Et moi, je vis toujours, une autobiographie intellectuelle. Un pied de nez, non pas de l’homme, mais de l’écrivain immortel à la mort ?
Son œuvre prend souvent une dimension autobiographique qui témoigne de son amour de la littérature, de la philosophie et du bonheur, comme dans son Je dirai malgré tout que cette vie fut belle , publié en janvier 2016. Suite de la conversation avec un écrivain au sourire si doux...
Jean d’Ormesson a inventé un genre littéraire : l’histoire-fiction. « Je peux faire 800 pages sur un Empire, ses guerres, sa structure, etc. Pourtant, cet Empire n’existe pas. » Il a aussi travaillé autour de personnages historiques, comme Napoléon dans La Conversation . « Je n’aime pas beaucoup Napoléon : quand il devient Empereur, il est pourri par le pouvoir, alors que le Premier Consul est intelligent et brillant. Il est un homme du 18e siècle en fait. »
Néanmoins, bien que mélangée à la réalité, l’imagination reste fondamentale dans son travail littéraire. « Je trouve que le monde est quel chose d’invraisemblable, de stupéfiant. Je pense que le sage est celui s’étonne de tout. » Les romans sont donc très en-dessous de la réalité, poursuit l’écrivain. « Qui aurait supposé une vie comme celle de Napoléon ? Imagination et réalité ont toujours été mêlées pour moi. »
Depuis dix ans, Jean d’Ormesson travaille entre six et dix heures par jour. « Quand on écrit, travailler c’est se mettre devant sa table et attendre. Si à la fin de la journée, j’ai écrit vingt lignes, je suis très content. » Ecrire un article est un peu différent car « ce qui est bon dans un article, c’est ce que soit fait d’une traite, dans un mouvement rapide. L’article c’est l’urgent, la littérature c’est l’essentiel. Le journaliste est du côté du temps qui passe et l’écrivain est du côté qui dure. »
Le temps, voilà justement une des préoccupations essentielles de Jean d’Ormesson, un questionnement qui nimbe ses écrits. « Je ne me suis jamais occupé d’autre chose que du temps. Cela m’apparaît tellement stupéfiant que je me dis qu’il ne fallait s’occuper de rien d’autre. » Pourtant nous ne savons pas ce qu’est le temps, contrairement à la lumière ou à la pensée. « Le monde, depuis qu’il est monde, a toujours été au présent. C’est extraordinaire ! Le temps, c’est la vie, c’est nous-mêmes. »
Quand on lui demande quels livres il emporterait sur une île déserte, il répond la Bible, les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, Proust et Les Mille et une nuits . « Une grande littérature doit être amusante. Rien de plus amusant que l’Iliade ou l’Odyssée, ce sont de véritables films. » Mais quand il écrit, il ne lit pas « car soit je lis des choses pas très bonnes et j’ai donc l’impression que je perds mon temps, soit je lis des choses très bonnes et je me dis que je n’arriverais jamais à faire pareil… »
C'est un grand homme de lettres qui nous avait fait le plaisir de s'installer au micro de Hors-Champs un soir. Écrivain, romancier, membre de l'Académie Française depuis 1973, Jean d'Ormesson déploie une écriture érudite, philosophique, parsemée d'humour et nimbée d'une réflexion sur le temps. Retour sur son parcours et son travail littéraire.
Jean d’Ormesson naît un 16 juin à Paris, dans une famille d’origine aristocratique. Mais ce mot d’aristocratie n’est jamais prononcé dans le cercle familial. « Mon père était un ardent républicain et démocrate, élevé dans la morale républicaine et le mérite. » Les études sont une chose sérieuse pour le père de Jean. Mais ce dernier ne peut aller à l’école : « comme mon père était diplomate, on ne savait jamais combien de temps on allait rester. On ne m’inscrivait donc dans aucune école. » C’est sa mère qui lui apprend le grec, le latin et les mathématiques, « alors qu’elle ne connaissait ni le grec, ni le latin, ni les mathématiques. J’étais premier de la classe puisque j’étais le seul. Quand je suis arrivé en hypokhâgne, je me suis retrouvé dernier. »
Etudiant, il entre à l’Ecole normale supérieure (Paris), « parce que je ne savais pas quoi faire. » Ce qu’il ne veut surtout pas, c’est faire carrière . « Quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, ça m’angoissait. » Un jour, il découvre un texte de Mauriac qui dit que le meilleur d’une carrière littéraire c’est de ne rien vouloir faire d’autre. « Le meilleur moyen de ne pas entrer dans une carrière était d’entrer dans les études. »
Il se passionne vite pour la philosophie et prépare une agrégation de philosophie qu’il obtient. « J’aimais beaucoup la philosophie mais la philosophie ne m’aimait pas beaucoup. J’aurais fait un mauvais philosophe, mais sans doute un bon professeur de philosophie. »
L’idée d’être écrivain – romancier même – ne lui effleure pas l’esprit avant l’âge de trente ans. « A Normale, on n’écrit pas de roman. Si on écrit des choses, ce sont des ouvrages savants. Ecrire un roman, c’était pitoyable. » Au début, le succès tarde à venir,« c’était dur. A trente-cinq ans, après avoir écrit plusieurs ouvrages qui n’avaient pas connu de succès, j’ai écrit Au revoir et merci, un livre d’adieu à la littérature. »
Il ne dit heureusement pas définitivement adieu à la littérature et poursuit son travail littéraire avec passion, même s’il reconnaît qu’« écrire un livre, c’est une chose affreusement difficile, c’est une tâche très lourde. » Le « style d’Ormesson », c’est un mélange des genres, des textes qui relèvent autant de la réflexion philosophique, du genre romanesques ou du souvenir autobiographique. « On m’a fait le reproche d’écrire la même chose tout le temps. C’est tout à fait vrai. Je brouille les genres. Je défie qui que ce soit de définir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans ce que j’écris. Parfois, je m’y perds moi-même. »
Dans sa Correspondance , Flaubert disait « J’aurais voulu faire une roman sur rien ». « Cette phrase m’a beaucoup travaillé. Le mauvais écrivain cherche des aventures extraordinaires, tandis que le bon écrivain écrit sur rien ou sur très peu de choses… »