Un seul homme était en vie alors en Europe ; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l'air qu'il avait respiré ». Quinze ans après la mort de Napoléon, Alfred de Musset exprimait ainsi la grandeur du mythe qu'il avait incarné. Celui d'un génie stratégique porté par un irrésistible élan, une épopée flamboyante, dont l'éclat et le panache demeurent. Pour commémorer le bicentenaire de sa mort, le 5 Mai 1821, le Figaro Hors-Série s'associe aux deux grandes expositions organisées au Musée de l'Armée (la Mort de l'empereur) et à la Grande Halle de la Villette (Napoléon), et retrace, avec le concours des meilleurs spécialistes de Napoléon, l'incroyable itinéraire du jeune corse mélancolique devenu empereur de tous les Français. Récit de sa vie en douze journées, dictionnaire illustré des personnages (épouses, famille, généraux, ministres), décryptage du mythe passé au crible de l'histoire : sauveur de la Révolution, génie civil et militaire, conquérant de l'Europe… Découvrez le destin incomparable de Napoléon.
Napoléon, un empire d'éditions
Rarement une figure de légende aura inspiré un tel nombre d'ouvrages. Les ventes ne sont plus si florissantes, mais la fascination demeure en cette année de bicentenaire. Et une nouvelle génération d'historiens s'empare du sujet.
déclaré celui qui fut le premier empereur des Français, du 18 mai 1804 au 6 avril 1814. "Une vie littéralement extraordinaire, insiste l'historien Benoît Yvert, directeur des éditions Perrin. Avec de l'exotisme, de l'amour, des batailles, des chutes, une crucifixion à Sainte-Hélène, une mort quasi christique. Que demande le peuple?" Toujours plus, semble-t-il, tant cette épopée fait couler d'encre. "Seul Jésus fait mieux!" s'amuse Jean Tulard, 80 ans, bon pied bon oeil. Et cet éminent spécialiste de Napoléon, qui a lui-même contribué à une cinquantaine d'ouvrages, d'assurer qu'il se publie en moyenne un article ou un livre quotidiennement sur le grand homme. "Soit plus d'écrits que de jours depuis sa mort", a calculé le professeur émérite à la Sorbonne et membre de l'Institut. Napoléon, combien d'éditions? On dénombre quelque 80000 titres consacrés à l'Empereur, décédé le 5 mai 1821 à l'âge de 51 ans, autrement dit voilà près de 70 500 jours... Le compte est bon.
Et le compteur tourne encore en cette année du bicentenaire de la campagne de France et de l'abdication, à commencer par le tout récent Napoléon et 40 millions de sujets. La centralisation et le premier Empire(Taillandier), du prolifique Jean Tulard- lequel cosignera également une bande dessinée, à paraître chez Glénat en septembre.
Si la palette s'étend au très léger Napoléon a toujours raison, de Franck Layre-Cassou(L'Opportun), ainsi qu'au roman graphique et loufoque de l'Allemand Henning Wagenbreth, Le Secret de Sainte-Hélène(Le Nouvel Attila), depuis peu à l'affiche, le sérieux domine: avec notamment Les Vingt Jours de Fontainebleau. La première abdication de Napoléon, 31 mars-20 avril 1814, de Thierry Lentz, paru en janvier chez Perrin, Napoléon, la dernière bataille. Témoignages 1814-1815, dirigé par Christophe Bourachot(Omnibus), La Guerre secrète de Napoléon. Ile d'Elbe 1814-1815, de Pierre Branda(Perrin), sorti en février, ou encore le tout récent Napoléon et les Français, de Jean-Paul Bertaud(Armand Colin). "Mes clients ont déjà lu beaucoup sur le sujet, mais ils veulent toujours en savoir davantage", constate Philippe Aubier, cogérant de la librairie parisienne Fontaine Haussmann, au rayon "Histoire" bien fourni. Quant au Mal napoléonien, l'essai de Lionel Jospin(Seuil, voir L'Express du 12 mars 2014), il a fait sensation et un joli score de 15 000 exemplaires en deux mois.
"Nos hommes politiques aiment se confronter à Napoléon, rappelle Jean Tulard. Pour ou contre lui: c'est très commode." D'aucuns saluent ainsi l'homme providentiel, comme Dominique de Villepin avec son best-seller Les Cent-Jours ou l'esprit de sacrifice(Perrin, 2001), plus de 100000 exemplaires et un seyant costume d'historien à la clef; tandis que Lionel Jospin se livre à une réflexion sur l'échec en politique. "C'est bien la dernière personnalité que j'aurais imaginée s'intéresser à cette figure, s'étonne Jacques-Olivier Boudon, président de l'Institut Napoléon et auteur de Napoléon et la campagne de France. 1814(Armand Colin). Premier ministre, il n'a pas prononcé la moindre parole lors des grandes célébrations du bicentenaire du Consulat..."
"On sait tout de lui: l'acuité de sa vue, ses difficultés à uriner..."
A quelques exceptions près, l'admiration l'emporte : "Ses institutions et son Code civil fascinent autant que le conquérant et celui qui incarne la grande France, poursuit Jacques-Olivier Boudon. Sa dimension mythologique et chevaleresque est encore très présente." A croire que le magnétisme du Corse persiste contre vents et marées.
Même ses défaites- la campagne de Russie, Waterloo, l'exil à Sainte-Hélène- le rendent plus humain. "En outre, il compte dans son entourage les deux plus beaux traîtres de l'histoire de France, Talleyrand et Fouché, signale Tulard. On sait tout de lui: l'acuité de sa vue, ses difficultés à uriner, son estomac délabré et même la consistance de son sperme, d'après le témoignage de l'une de ses maîtresses! Pourtant, il tient de la légende, il fait rêver."
Mais il fait moins vendre, crise du livre oblige. D'autant que la concurrence est rude avec les commémorations de 1914-1918. Résultat, le livre "napoléonien" sérieux dépassant aujourd'hui les 10000exemplaires est considéré comme un immense succès, ainsi du très applaudi Bonaparte (1769-1802), de Patrice Gueniffey(Gallimard). Il est loin le temps du Napoléon d'André Castelot(Perrin, 1968), vendu à plus de 1 million d'exemplaires; lointaine, la prouesse de Napoléon ou le mythe du sauveur, de Jean Tulard(Fayard, 1977), et ses centaines de milliers d'exemplaires.
"Malgré la baisse des ventes, la période napoléonienne reste la plus riche en publications avec la Seconde Guerre mondiale", indique Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon. Le sujet fédère un noyau dur de deux types de lecteurs, précise-t-il: ceux qui sont intéressés par la chose militaire et ceux qui préfèrent la dimension politique et diplomatique. Les livres anecdotiques, eux, touchent une autre sorte de public. "Mais leur attrait prouve l'intérêt des Français pour l'Histoire, souligne Thierry Lentz. Métronome, de Lorànt Deutsch, ne me gêne pas, même si j'y ai relevé quelques erreurs dans ma partie."
"Auparavant, les hagiographies prédominaient"
Enfin, une nouvelle génération d'étudiants s'enthousiasme pour la geste napoléonienne, victime jusque dans les années 1980 du désintérêt de l'université, qui ne jurait que par la Révolution. Jean Tulard a été l'un des principaux artisans de cette renaissance, par sa rigueur et sa formidable présence médiatique. La prestation télévisuelle du professeur à Apostrophes, en 1988, pour la parution du Dictionnaire Napoléon, est en effet restée dans les mémoires. Ainsi, la Fondation Napoléon a accordé plus d'une centaine de bourses de recherche depuis 1990, pour le double de candidatures. "Un travail de fond a cours actuellement, se félicite son directeur. A l'instar de Louis XIV, Napoléon fait désormais l'objet d'un traitement dépassionné."
Benoît Yvert le confirme: "Auparavant, les hagiographies prédominaient. Aujourd'hui, Napoléon est abordé avec plus de recul critique." Exemple: dans Les Vingt Jours de Fontainebleau, Thierry Lentz prouve que la fameuse scène des maréchaux n'a pas eu lieu et que les adieux de Fontainebleau ne sont pas ceux que l'on croit.
Les grognards de Napoléon décimés par les poux vecteurs de maladies
C’est à Vilnius, au printemps 2001, qu’un charnier de milliers de squelettes a été découvert. Il s’agissait des restes des grognards de Napoléon, tombés quelques jours après le passage de la Berezina, pendant la retraite de Russie.
Olivier Sutour, professeur d’Anthropologie, à l’Université de Marseille a étudié ces squelettes :
« Il y avait 3 260 squelettes enterrés dans le fossé d’une fortification. En décembre 1812, la température est descendue à – 38°C. Le passage de Vilnius s’est soldé par la mort de 40 000 soldats.
Sur le terrain, il ne restait que des os, des bouts de tissus et quelques bottes. Pas d’armes, très peu d’argent, et des boucles d’oreilles, classiques chez les grognards.
J’ai surtout rapporté des mâchoires ainsi que des bouts d’uniforme avec de la terre autour. C’était à la demande du Pr Didier Raoult, spécialiste des maladies infectieuses.
On espérait en effet y trouver des poux. »
Les experts savaient déjà que les grognards véhiculaient des poux dans leurs vêtements. A l’époque, on ne savait pas que les poux transmettaient des maladies.
Le lien entre cet insecte et le typhus ne sera établi qu’en 1909.
Dans les restes ramenés de Vilnius, les chercheurs ont découverts cinq « squelettes » de poux dont trois ont la trace du germe de la fièvre des tranchées de la Première Guerre mondiale.
Grâce aux analyses effectuées, sept soldats avaient conservé la trace de la fièvre des tranchées et trois autres avaient le typhus.
Selon les spécialistes, au moins 30% de ces soldats sont morts d’une maladie transmise par les poux.