A l’ombre d’un Bakoua
Né d’un arbre qui porte son nom, le chapeau bakoua coiffe les ouvriers agricoles, les pêcheurs, les volubiles marchandes ou les élégantes. Il ne manque pas une occasion de se distinguer sur l’arrivée des courses de yoles, les étapes du tour cycliste, au détour d’une barricade ou lors des plus belles manifestations. À l’ombre de ses feuilles finement tressées, se tisse l’histoire de toute une société…
Le Petit Larousse définit le mot chapeau comme : « une coiffure pouvant avoir des formes très variées avec ou sans bord ». Il précise « qu’il se porte pour sortir ou se protéger des intempéries » puis il dresse l’inventaire du chapelier auquel fait défaut le plus atypique d’entre eux : le bakoua. Emblématique de la Martinique, la coiffe prend la forme d’un cendrier d’argile, d’une tour Eiffel de paille sur les photos papiers. Il s’affiche sur le glacé d’un catalogue de voyagiste pour devenir une contrefaçon « made in china » sur l’étal d’un marché. Pourtant, plus qu’un simple folklore, ces chapeaux bakoua, confectionnés assis sur un petit tabouret, ont bien des choses à nous conter. L’arbre à chapeaux Fruit de la patience des Amérindiens, le travail du bakoua, essence au feuillage coriace, puise ses sources dans les mornes pilotins. Chaussures, paniers, petits sacs à provisions laisseront leur foin à la confection de chapeaux avec l’arrivée des premiers colons. À mille lieues des clics-clac kodak du touriste, le bakoua, parfois inspiré des modes européennes n’est pas ce simple « casse-croute pour cheval » chanté par Pierre Perret. Symbole identitaire, il parle aussi d’indépendance et de liberté. On le retrouve sur tous les fronts. Pendant la guerre du Mexique où il gonfle les armées de Maximilien (1865/1868), il est arboré par les musiciens (qu’ils aient les pieds nus ou non), couvre les grèves et s’installe dans les meetings politiques. On le voit s’agiter autour d’une table de sèbi (jeu de dé), d’un combat de coqs, ou d’une soirée bèlé. En véritable « majô » (un fier à bras en créole), le bakoua s’impose dans tous les paysages. On le rencontre au sénat (lieu de palabre), en campagne, sur le marché ou jusqu’à Miquelon.
Bakoua des villes ou bakoua des champs
Le bakoua des villes est coquet, dans les tons de beige et finement tressé. Il rappelle le célèbre Panama, chapeau de légende fabriqué avec la feuille d’un latanier et très en vogue au siècle dernier. Le couvre-chef habille celui qui, au soleil couchant, s’installe en face de la savane sur la terrasse d’un café pour regarder chalouper les premières belles de nuit. Il est souvent agrémenté d’un joli liseré coloré. Celui de l’élégante se pare de rubans, de tresses dentelées ou se métamorphose en un somptueux jardin suspendu. Le chapeau de la marchande lui est aplati et sa calotte épaisse afin de supporter les charges du marché. Alors qu’en délaissant la frénésie urbaine, il n’est pas rare d’apercevoir entre deux bananiers une coiffe d’un genre particulier. La version masculine, plus rustique, possède un fond plat. Il est parfois doté de bords moyens et est souvent garni de feuilles de corossol pour garder la fraîcheur, tandis que celui des femmes se porte sur un front ceint d’un joli carré de madras. Parfaitement adapté à la coupe de la canne grâce à la souplesse de sa calotte et de ses larges bords, le bakoua de l’amarreuse préserve des griffures du roseau sucré ou de la morsure du soleil. Puis, en regagnant la côte, voici venu un singulier chapeau pointu. Verni, ce haut de forme de la mer protège de la pluie, des embruns marins et pique le ciel de sa paille tissée serrée. Pour lier l’utile à l’agréable l’ingénieux marin pêcheur, met à l’abri ses effets sous ce drôle de cornet. Il lui arrive parfois de s’égarer au beau milieu d’un plan de dachine ou entre deux feuilles de cristophine trompant ainsi sa destinée.
« tout bakoua, pa bakoua »
Mais attention ne vous y trompez pas, car tous nos chapeaux ne sont pas confectionnés dans ce dit végétal. Le kachibou, l’endémique aroman, le kabouya de rivière pilote ou la morue du Vauclin sont également travaillées sur le giron d’une vannière au pied de laquelle repose les fibres. Ce talent le plus souvent pratiqué par les femmes entre deux travaux domestiques, pour améliorer l’ordinaire, demande la connaissance des anciens. Si la manière semble simple, l’art est pourtant difficile. Et pour exemple la cueillette des feuilles, à point nommé, ni trop jaune ni pas assez et qu’il ne faut pas laisser trop sécher une fois débarrassées de leur piquant. Cette façon de les assouplir avec le plat du couteau à la manière d’un barbier aiguisant son rasoir coupe-chou. Voyez encore cette précision dans la découpe tout en longueur, ces brassées de tresses (d’environ 1,50 mètre) de quatre à onze branches, à trou-trou, fines ou grosso- modo qui donneront tout leur charme au chapeau. Alors, comment ne pas admirer cette man qui, assise à l’ombre d’un arbre pour y cueillir quelques fraicheurs, tend à l’aide de son orteil et de ses mains habiles une feuille qui tissera l’histoire de son bakoua….