Qui n’a jamais rêvé de savoir ce qu’il se passera demain ? Une poignée de personnes a ce pouvoir… sans faire appel aux forces occultes. En regardant vers l’ouest, un lundi à 23h55, les habitants de la Petite Diomède aperçoivent les côtes de la Grande Diomède. Où nous sommes déjà… mardi soir !
Petit précis d’histoire-géographie pour comprendre cette étrangeté. Les îles Diomède sont situées dans le détroit de Béring, dans l’océan Arctique, entre Alaska et Russie. Elles sont séparées de 3,2 petits kilomètres, la Grande (ou île Ratmanov en Russie) ayant une superficie de 29 km2, la Petite (île Krusenstern) de 7,5 km2. Mais ces trois petits kilomètres sont aussi ceux où passe la fameuse ligne de changement de date ! D’où cette étonnante particularité temporelle qui fait la célébrité de ces îlots.
Si un tunnel ou un pont était construit entre la Russie et les États-Unis, les Îles Diomède constitueraient une étape idéale. (Carte : World Aeronautical Chart CC-8, Federal Aviation Administration sur Commons Wikimedias.)
Rudes conditions
Car à part ça, on n’y trouve pas grand-chose. Enfin, la vie n’y est pas particulièrement engageante. Découvertes une première fois par le Russe Simon Dejnev en 1648, puis par le Danois au service de la Russie, Vitus Bering en 1728, le jour de la Sainte-Diomède, un martyr de l’église orthodoxe, les deux îles sont caractéristiques pour leurs hautes falaises et leur végétation plutôt rare. On s’en doute, il y fait particulièrement froid, c’est également très brumeux.
Malgré ces rudes conditions, les îles sont occupées par quelques Inuits, qui peuvent chasser phoques et cétacés. Pendant longtemps, ils allaient d’une île à l’autre, en embarcation, ou à pied quand la banquise le permettait. Leur destin bascule quand la Russie, qui domine d’abord ces terres, décide de vendre l’Alaska et quelques îles environnantes aux États-Unis au dix-neuvième siècle. La Petite Diomède fait partie du lot.
Vue sur la Grande Diomède et sa station. (Photo : Ansgar Walk / Wikimedia Commons)
Les îles vues de très haut. Au milieu passe la ligne de changement de date. (Photo : Wikimedia commons)
Le village de Diomède, côté américain. (Photo : Unites States Coast Guard, Petty Officer Richard Brahm / Wikimedia Commons)
Les îles Diomède constituent donc la frontière entre États-Unis et Russie et en temps de Guerre froide, le secteur sera plutôt tendu. Côté russe, on a évacué les rares habitants il y a quelques décennies pour y bâtir une base militaire, une station polaire et un poste frontière… Côté américain, rappelait un article du Huffington Post, on compte moins de 200 habitants et quelques bâtiments, dont une école-mairie-gymnase, une église et un seul magasin un peu fourre-tout.
Un hélicoptère ravitaille l’île chaque semaine. Attention néanmoins à ne pas dépasser la frontière, glissait un habitant dans Le Figaro en 2013 : « Quand on chasse l’ours, si on passe par mégarde la frontière, les Russes nous tirent dessus. Ils visent la neige à nos pieds. Ce sont de bons soldats, on ne risque rien. » Ça ne reste cependant pas particulièrement agréable.
Un jour, par un tunnel ou un pont ?
L’île fait parfois l’actualité au-delà de son côté insolite. En 1987, l’Américaine Lynne Cox a rejoint les deux îles à la nage pour célébrer la perestroïka, le rapprochement initié entre Russie et États-Unis. Le nageur Philippe Croizon est aussi passé par là en 2012. Lorsque les projets de ponts ou tunnels entre continents asiatique et américain sont évoqués (une gageure depuis le dix-neuvième siècle), les îles Diomède sont mentionnées comme des étapes incontournables, de par leur position. Qui sait, peut-être pourra-t-on passer un jour d’aujourd’hui à hier dans un tunnel après-demain !