dimanche 2 novembre 2014

ESCALE A SAINT PIERRE (MARTINIQUE)


Saint-Pierre, le Paris perdu




Ce matin du 8 mai 1902, à 7 h 52, les aiguilles de l’horloge de l’hôpital militaire de Saint Pierre s’arrêtent. À cet instant précis, la montagne Pelée explose. En moins de temps qu’il n'en faut pour le dire, de la ville est effacée de toute forme d’existence, ne laissant sur 28 000 âmes recensées qu’un prisonnier, un cordonnier, un fromager… et un fabuleux passé. Elle s’était habillée du nom du patron de son fondateur Pierre Belain d’Esnambuc. Le gentilhomme normand en prend possession au nom du roi de France en l’an 1626
Née entre terre et mer, sur cette belle rade veillée par la Montagne de feu (comme l’avait baptisée les Caraïbes), à l’embouchure de la Roxelane, la ville de Saint-Pierre est courtisée par les marins, négociants et flibustiers. Elle vit d’un tel éclat en cette fin XVIIIe que des navires du monde entier y accostent.. Résistant à la convoitise de ses voisins anglais, cette Babylone tropicale prospéra jusqu’à devenir la capitale des iles sous le vent.

De Petit Paris au Pompéi des Antilles

Comme saisi par un charme mystérieux, chacun rêve d’y vivre. Le jour, l’actuelle place Bertin (ancien préfet colonial), bouillonne de mille commerces, et le soir venu, à la faveur des étoiles, les bastringues s’illuminent et l’on vient de partout s’encanailler. Alors que s’élèvent les notes d’une biguine bêlé, on perçoit dans de jolies petites alcôves des ruelles pavées, comme un air de luxure. La rue monte au ciel, pourtant normande dans l’idée, se transforme en un laissez-passer pour descendre du paradis aux portes du pêché. L’allée en escalier et restaurée en 1991 et n’est pas la seule à inspirer Effe Geache dans son roman « une nuit d’orgie à Saint-Pierre ». Les étreintes se multiplient dans la touffeur de la nuit.
La ruelle Saint-Jean-de-Dieu, autre haut lieu de débauche, enferme elle aussi son butin. Elle garde en souvenir deux corps enlacés, pétrifiés par la nuée. Alors qu’ignorant les murmures, les soupirs, les matadors, en têtes calandrées et grains d’or dévalant l’écume de leur broderie, arpentent le boulevard de la comédie aux bras de leurs Pierrotins. On joue au théâtre ce soir. L’édifice, inauguré en 1786 est la réplique parfaite de la majestueuse scène de Bordeaux. Il devient l’incontournable témoin de la richesse et de la vie culturelle de la cité. Des troupes de France et de Navarre s’y produisent. Les airs d’opéras ou d’opé­rettes se font l’écho de la musique créole.
Entre le bal de clôture carnavalier et deux meetings politiques, le bâtiment est remanié, rénovés fait finalement faillite et affiche relâche dès 1901. C’est donc en berne que le volcan le surprend dans son sommeil l’année qui suit. Il ne reste aujourd’hui pour mémoire qu’un magnifique escalier, les vestiges des loges du parterre et de la scène. Alors que les premiers rayons du soleil inondent la bourse de commerce et son célèbre tramway, les excès de la nuit laissent place à la pudibonderie. Et c’est à Notre-Dame-Du-Bon-Port que l’on expie ses péchés. Tout de roches volcaniques, de pierres de taille et de briques, l’ancienne église du mouillage, est la première du quartier. Édifiée en 1654 par les dominicains, elle devient paroissiale. Elle s élève au grade de cathédrale en 1851, à l’arrivée de monseigneur le Herpeur. Les cloches de ses deux tours ne sonneront qu’une trentaine d’années plus tard avant d’être elles aussi englouties par la vorace Pelée. Pourtant, toutes ses dévotions ne suffisent pas à enrayer les prédictions de papa diable.
Il criât à qui mieux mieux que le dôme crachera des feux de corossol entrainant avec elle la vision de la désolation. Nombreux sont ceux qu’il voit périr dans la flamme de leurs prières. Ce 8 mai la grand-messe n’aura pas lieu. L’Eternel en a décidé autrement et reprend ses brebis, sauf deux. L’une serait galeuse, l’autre, égarée.

Le cordonnier, un prisonnier et un fromager

Seuls trois êtres vivants réchappèrent à la colère de la Montagne Pelée. Louis Auguste Cyparis, surnommé Sanson, est un jobbeur, pêcheur ou cultivateur au Prêcheur. Il aime l’alcool et les bagarres. Enfermé pour état d’ivresse et homicide volontaire dans la prison de Petit Paris, il sort vainqueur des foudres de l’enfer. S’il on doute toujours duquel des deux cachots (l’un dégagé depuis et l’autre encore en parti enfouit), c’est bien à cet endroit qu’eu lieu ce que l’on appelle le miracle de Saint-Pierre. Au moment du drame, il protège son visage de sa chemise mouillée d’urine, la tête enfoncée dans les genoux. Retrouvé quatre jours après la catastrophe par des hommes du Morne Rouge, il exhibe ses brulures diaboliques dans le cirque Barnum et y termine son incroyable destin au Panama en 1929. Il vole la vedette à Léon Compère Léandre (1874-1936), cordonnier de 28 ans, qui lui est sauvé par sa table dans sa maison du Morne Abel. Terré dans son sous-sol, il survit à l’éruption. Il est atteint aux bras, aux jambes et à la poitrine. Il décède anonyme et célibataire 34 ans plus tard. L’on raconte parfois qu’une petite fille Havrivra Da Ifrile, domestique, aurait également échappé à la fumée du diable. Mais rien à ce jour ne permet de corroborer ces dires. Le troisième être inattendu, témoin vivant de cette page historique, est ce fromager sous lequel Césaire aimait se reposer. Du haut de sa canopée par deux fois séculaire, garde pour nous la rade et ses secrets.