mardi 18 mars 2014

PLEIN SOLEIL


Trois raisons de (re)voir “Plein Soleil”

Cinéma | C'est dans “Plein Soleil” que René Clément a inventé Delon. La version restaurée du film est  ressorti en salles le mercredi 10 juillet, et si on allait le (re)voir ?

    
 Alain Delon dans  Plein Soleil . © DR
Alain Delon dans Plein Soleil. © DR

Il est sorti en salles une version restaurée de Plein Soleil, de René Clément. Voici trois raisons de voir ou de revoir ce film qui a notamment donné naissance à un monstre du cinéma, Alain Delon.

Ripley au top

Patricia Highsmith n'a pas vécu assez longtemps pour voir Matt Damon incarner son héros ambigu, Tom Ripley, dans le film qu'Anthony Minghella a tiré de son roman, Le Talentueux Monsieur Ripley, en 1998. Mais elle avouait volontiers un faible prononcé pour l'adaptation réalisée en 1960 par René Clément, Full Sun, Blazing Sun ou Purple Noon en anglais, Plein Soleil pour la version originale. Pour la romancière, Alain Delon incarnait à la perfection l'élégant et troublant usurpateur de son livre et le réalisateur de Jeux interdits et de Monsieur Ripois signait la meilleur mise en scène d'une de ses œuvres, coiffant même haut la main Hitchcock et sa version de L'Inconnu du Nord-Express.
Parmi les étiquettes mal ajustées qui collèrent à la carrière de René Clément, il y a d'ailleurs celle d'« Hitchcock français », maître du thriller et de la stylisation à qui Hollywood faisait les yeux doux. Quand Martin Scorsese a orchestré la restauration et la redécouverte de Plein Soleil aux Etats-Unis en 1996, la critique s'est emballée pour la noirceur et l'ambiguïté d'une mise en scène « que n'aurait pas renié Hitchcok », relevant un goût pour la perversion qui met le spectateur au défi de ne pas s'attendrir pour le beau Delon, « placide psychopathe ».
« Un chef-d'œuvre de thriller psychologique, du genre à donner la chair de poule », écrivait le Washington Post. Les Américains s'entendaient cependant sur un point : ils regrettaient que René Clément n'ait pas eu l'aplomb de suivre Patricia Highsmith jusqu'au bout de son ambivalence morale et qu'il se soit permis d'inventer un épilogue à sa manière.



Alain Delon, dans le rôle de Mr Ripley. © DR
Alain Delon, dans le rôle de Mr Ripley. © DR

La naissance d’Alain Delon, monstre de cinéma

C'est René Clément qui a inventé Delon. L'acteur est formel sur ce point. La beauté qui irradie l'écran de Plein Soleil, les yeux clairs, la peau satinée, l'élégance désinvolte n'avaient pas d'existence reconnue avant ce film. « Les gens pensent souvent que j'ai joué dans Rocco et ses frères avant de tourner Plein Soleil. Faux ! C'est justement parce Visconti avait vu Plein Soleil qu'il m'a choisi pour le rôle de Rocco. »
Pour Delon qui n'avait que 25 ans à l'époque du tournage, René Clément, avec qui il tournera quatre films, est comme un père, un « maître absolu », celui qui lui a tout appris, avant Melville, Visconti ou Losey. « Il était à la fois le plus grand cadreur et le plus grand directeur d'acteurs que j'aie jamais connu, confia Delon à Denitza Bancheva. Je le comparais à Karajan, il dirigeait comme un vrai chef d'orchestre, avec toutes les nuances de moderato, piano, presto… Il adorait me faire bouger dans un décor. Il m'y faisait entrer et il disait : “Va où tu veux, bouge comme tu veux, sens les choses comme tu veux, mais je veux que tu occupes ton décor, que tu le remplisses…”
Dans Plein Soleil, Delon ne s'en prive pas, bougeant comme un félin sous le ciel italien, dans l'espace confiné et chancelant du bateau où se joue la tragédie. René Clément l'a inventé, mais l'acteur n'y est pas pour rien. Non sans fierté, Delon raconte qu'il n'avait pas été convoqué pour le premier rôle, mais qu'il l'a demandé lui-même face à « Monsieur » Clément, hérissant le poil des producteurs. « Il y a eu un silence, raconte Delon. Et dans ce silence, on a entendu Bella, la compagne du cinéaste, dire depuis l'autre bout du salon : “Rrrené chéri, le pétit a rraison !” C'était gagné. J'allais jouer Ripley. Jamais de ma vie, je n'oublierai cela. »

Maurice Ronet et Marie Laforêt dans Plein Soleil de Re
Maurice Ronet et Marie Laforêt dans Plein Soleil de René Clément, 1960. © DR

Un classique moderne

En 1960, René Clément divise sérieusement. Après La Bataille du rail, primé lors du premier Festival de Cannes et Jeux interdits, récompensé d'un Oscar, il a acquis une réputation de novateur, de « Rossellini français » qui n'empêche pas la génération de la nouvelle vague de le rejetter du côté des classiques et du cinéma poussiéreux qu'il faudrait déserter. Les audaces de Monsieur Ripois, tourné à la sauvette (en 1953) dans les rues de Londres, sont oubliées.
« René Clément doit être fatigué de lire à son sujet toujours la même antienne, écrit Gilles Jacob. Technicien, pas d'âme, trop parfait… » Le cinéaste fait mine de s'en moquer : « La véritable avant-garde s'ignore, dit-il, ça n'est jamais celle des manifestes. »Pour lui, un cinéaste se doit d’être un « explorateur », et il ne voit pas d’antinomie entre lui et ses jeunes confrères de la nouvelle vague. Sur Plein Soleil, il fait appel au scénariste de Chabrol, Paul Guegauff, et à son chef opérateur, Henri Decaë qui est aussi celui des Quatre Cents Coups. Celui-ci est impressionné par la rigueur et la témérité du cinéaste qui embarque tout son monde pour des scènes en pleine mer où il fait la part belle à l’improvisation.
Ce n’est rien de le dire pour la séquence qui suit l’assassinat de Philippe. La mer se déchaîne ? Clément décide d’en profiter : à toute vitesse, il descend du voilier, saute sur une chaloupe avec son chef opérateur Henri Decaë et laisse Alain Delon se débrouiller seul à la barre ! Il le filme de loin, luttant pour de vrai, et avec rage, contre les éléments. Voilà comment on boucle en quelques minutes une scène qui devait nécessiter une semaine de tournage, et que l’on en fait un sommet de tension !

Sortie en DVD et Blu-ray Studio Canal.
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Personnalités
 
Le Talentueux Mr Ripley
Affiche Le Talentueux Mr Ripley

Notes et critiques

Synopsis

 
Tom Ripley n'a jamais eu la belle vie. Ce n'est pas le cas de Dickie Greenleaf et de sa compagne Marge qui vivent de façon insouciante sur la Riviera italienne. Quand le père de Dickie demande à Tom de lui ramener au bercail son fils dépensier et frivole, le jeune homme y voit une possibilité d'entrer dans un monde qui l'a toujours fait rêver.

Bandes-annonces et photos de Le Talentueux Mr Ripley



Mis à jour le 30/07/13 16:47

Beaux ... mais dangereux, ces acteurs sexy qui ont joué les méchants Matt Damon : Tom Ripley dans "Le Talentueux M. Ripley"



matt damon dans 'le talentueux m. ripley'
Matt Damon dans "Le Talentueux M. Ripley" © Bac Films
Beau... :
Matt Damon, c'est le gendre idéal. Celui qui porte le sac des jeunes filles au retour des courses (photo), se révèle fidèle à ses amis (Will Hunting) et à sa patrie (Il faut sauver le soldat Ryan).

...mais dangereux : Tom Ripley dans Le Talentueux M. Ripley.
Derrière son petit air innocent se cache pourtant un jeune homme qui ira jusqu'au meurtre pour continuer à mener la dolce vita dans ce remake de Plein Soleil. Et l'acteur ne démérite pas dans cette reprise du rôle tenu dans la version originale par Alain Delon.

Le talentueux Mr Ripley

Un film d'Anthony Minghella


Le jeu du chat et de la souris

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Avec ce thriller chic extrêmement bien ficelé, Anthony Minghella a prouvé qu’il maîtrisait les règles du jeu du genre. Il manipule les clichés, tord et re-tord son intrigue et brouille les pistes : qui est le chat, qui est la souris ? La police, Dickie Greenleaf, Tom Ripley ou son amant ? La réponse n’est pas si évidente. Tout le monde perd au jeu : la vie parfois, l’âme surtout. Ripley compris.

Au départ, un roman, « The Talented Mr Ripley » dont le film reprend le titre original. A l’exception du générique qui fait défiler les adjectifs en foule avant de se fixer sur « Talented ». En forme de charade, ce titre ludique à rallonge donne approximativement :
« The Mysterious Yearning Secretive Sad Lonely Troubled Confused Loving Musical Gifted Intelligent Beautiful Tender Sensitive Haunted Passionate Talented Mr. Ripley ». (En traduction : Le mystérieux ardent secret triste solitaire dérangé perdu amoureux musicien doué intelligent beau tendre sensible hanté passionné talentueux Mr Ripley). Et en effet, Minghella tient cette (longue) promesse dans le film, ajoutant une certaine humanité, parfois même une conscience, au Ripley original, le Machiavel froid du roman.

La naissance de Ripley


Écrit en 1955 par Patricia Highsmith, l’intrigue joue en virtuose sur les accords majeurs les plus sombres de la psyché humaine : la cruauté, l’intelligence, le détachement, la sexualité (ici l’homosexualité, encore taboue à l’époque), l’envie, les rapports de soumission et de domination entre les classes sociales… Cette histoire de manipulation tordue ressemble d’ailleurs beaucoup à son premier roman, adapté à l’écran en 1951 par Alfred Hitchcock, « L’Inconnu du Nord Express ». Le talentueux Ripley du titre, personnage fascinant, fait du livre un best-seller et donne à Patricia Highsmith un point départ pour une collection de cinq aventures de Ripley surnommée la « Ripliade » par ses plus fervents lecteurs ! Qui est ce Ripley ?

À la fin des années 50 à New York, Tom Ripley, un jeune homme brillant mais sous-employé, est envoyé en Europe à la suite d’un hasard providentiel pour y récupérer un jeune playboy millionnaire, Dickie Greenleaf. Dickie embarque Ripley dans le tourbillon de sa vie en Italie. Mais les choses ne tournent pas comme prévu et Ripley, grâce à son don pour la contrefaçon et l’imitation rentre de plus en plus loin dans un jeu de rôle pervers qui le sauve et le damne à la fois.

« Plein Soleil » en 1999 ?


Dans la version de René Clément du roman, « Plein soleil » en 1960, Alain Delon dans toute la splendeur de sa jeunesse jouait un Ripley calculateur et génial, à la beauté du diable, un être supérieur et vil qui, comme le Lafcadio de Gide dans les « Caves du Vatican », gagne une partie serrée et immorale sur la société.
Ripley version 1999 c’est Matt Damon à peine sorti du « Good Will Hunting » de Gus Van Sant qui l’a révélé. Avant de l’engager Minghella avait d’ailleurs envisagé Tom Cruise ! Parfait dans le film, Damon a depuis prouvé son grand talent, spécialement en 2006 avec « The Good Sheperd » de Robert de Niro ou « The Departed » de Martin Scorsese. On peut imaginer que ce n’est pas un hasard si Minghella choisit Damon pour succéder à un Delon à la beauté cosmique, il joue sur le contraste entre le physique assez porcin, un jeune Américain type mal dégrossi et celle plus racée (dans tous les sens du terme) de Jude Law, qui incarne Dickie. Le physique de Ripley si doué dans l’imitation change au fil de l’intrigue : il devient plus sombre dans le crime mais aussi de plus en plus fin, distingué, paradoxalement « civilisé ». Le désir et les jeux de séduction, qu’ils soient tabous (ou non), homosexuels ou pas, nouent et dénouent l’intrigue, toujours avec cruauté.

Dickie Greenleaf : "Tout le monde devrait avoir un talent, quel est le vôtre ? "
Tom Ripley : "Mentir, imiter les signatures et imiter à la perfection à peu près n’importe qui."

Une Dolce Vita glacée


Tous les ingrédients sont réunis pour émerveiller les yeux et glacer le coeur. Ripley et Greenleaf évoluent dans une Dolce Vita proche du fantasme ultime : la nonchalance d’une jeunesse argentée au coeur des Fifties à Rome, Venise, en Toscane ou sur les îles proches de Naples, sous le soleil de Capri, la volcanique Ischia ou Procida. L’été flamboyant fournit un excellent contrepoint à la froideur de Ripley sur un air de jazz. Damon imite d’ailleurs à la perfection la voix de Chet Baker sur My Funny Valentine ! Gwyneth Paltrow et Jude Law forment un couple « de luxe », jouent à merveille deux clichés de la haute société : l’enfant gâté (pourri) un peu vain, un peu creux, une tête à claques qui utilise son charme vénéneux « pour jouer » sur tous ceux qui passent à sa portée et une débutante blonde naïve aux manières exquises prête à perdre son innocence de façon brutale. En bonus dans les rôles secondaires, deux acteurs fantastiques : Philipp Seymour Hoffman en héritier sorti de Princeton, boursouflé de suffisance, cruel à souhait et Cate Blanchett en fausse ingénue richissime trop romantique pour ne pas se faire arnaquer.

Le désir et la mort


Dix ans après la sortie de ce film, il est temps de rendre hommage à Anthony Minghella, mort prématurément en mars 2008. Ses meilleurs films sont d’ailleurs toujours ceux dont il a écrit le script : par exemple, « Truly Deeply, Madly » une douce comédie fantastique sur la mort qui défait un couple, ou le lyrique « Cold Mountain » qui a seulement souffert d’un mauvais casting. Avec ce « Talentueux Monsieur Ripley », il a réalisé un polar élégant jusqu’au bout des griffes, appliquant avec beaucoup d’intelligence les préceptes du maître, Alfred Hitchcock, puisqu’il filme les étreintes amoureuses comme des crimes et les crimes comme des étreintes amoureuses. Sa très belle scène finale, où Ripley enlace son amant, joue sur le son en surimpression et provoque un sentiment de malaise et de fascination diffus. Il montre l’espace d’un instant toute la complexité de son Ripley, amoureux, rationnel, cynique et désespéré.