Résistance, j’écris ton nom
C’était il y a 70 ans…
Le 6 juin, ce fut la grande déferlante sur les plages normandes. Des
héros par milliers. De la musique militaire à gogo. Du solennel, du
hiératique, du cérémonial. De l’émotion aussi. Alors ne jouons ni les
cyniques, ni les procureurs de l’Histoire, le Débarquement a libéré les
espoirs et ravivé notre flamme nationale éteinte en 1940, notre funeste
année zéro. Gilles Perrault, écrivain, grand reporter, déçu de l’Union
de la Gauche qui le fit passer du PS au PC en un temps qui semble si
lointain, vient de publier chez Plon-Fayard son Dictionnaire amoureux de la Résistance.
Ouvrage indispensable à lire sur les plages d’Utah ou d’Omaha Beach
en ces jours de commémoration. Dictionnaire à fleur de peau, foutraque,
sensible, hors des sentiers de la gloire, courageux par certaines de ses
entrées, remonté sur d’autres, mais toujours à hauteur d’homme.
L’ex-para qui a quitté la robe d’avocat pour devenir un auteur à succès
n’a rien perdu de son capital d’indignation. On aime Perrault pour sa
pugnacité à déterrer les dossiers éprouvants et à mettre en lumière les
héros ordinaires de la Résistance. Pour ceux qui ont appris la Seconde
Guerre Mondiale en lisant Drôle de jeu de Roger Vailland (Prix Interallié 1945) et Les Combattants du petit bonheur d’Alphonse Boudard (Prix Renaudot 1977), ce dictionnaire amoureux emprunte les mêmes chemins buissonniers.
L’emphase n’est pas son rayon. Perrault n’a pas la mémoire sélective, cette terrible maladie de l’après-guerre, il n’oublie pas la diversité de la Résistance, ce grand n’importe quoi qui lui fait écrire « c’est le miracle de la Résistance, son originalité et son charme. A-t-on jamais vu dans notre histoire une aventure collective présentant une telle disparate humaine ? ». Les amateurs de ligne claire risquent d’être fortement déçus. Car la Résistance, c’est la marge, les extrêmes, les irréconciliables, les fortes têtes : les métèques et les aristos, les cocos et les camelots, les prolos et les intellos, les cathos et les bouffeurs de curés, le sang mêlé en somme. De la mauvaise graine qui poussait à l’ombre des fridolins. Perrault les aime ces moutons noirs qui ont osé braver l’impensable, juste relever la tête car l’uniforme vert-de-gris leur donnait la nausée. On sent poindre chez Perrault le regret de ne pas avoir eu 20 ans en 1940. Dans notre époque aseptisée, on désapprouverait ce bellicisme honteux. On ne comprendrait rien aux motivations profondes de ces gamins, cette extraordinaire communion de corps et d’esprit qui fait aujourd’hui encore notre fierté.
L’emphase n’est pas son rayon. Perrault n’a pas la mémoire sélective, cette terrible maladie de l’après-guerre, il n’oublie pas la diversité de la Résistance, ce grand n’importe quoi qui lui fait écrire « c’est le miracle de la Résistance, son originalité et son charme. A-t-on jamais vu dans notre histoire une aventure collective présentant une telle disparate humaine ? ». Les amateurs de ligne claire risquent d’être fortement déçus. Car la Résistance, c’est la marge, les extrêmes, les irréconciliables, les fortes têtes : les métèques et les aristos, les cocos et les camelots, les prolos et les intellos, les cathos et les bouffeurs de curés, le sang mêlé en somme. De la mauvaise graine qui poussait à l’ombre des fridolins. Perrault les aime ces moutons noirs qui ont osé braver l’impensable, juste relever la tête car l’uniforme vert-de-gris leur donnait la nausée. On sent poindre chez Perrault le regret de ne pas avoir eu 20 ans en 1940. Dans notre époque aseptisée, on désapprouverait ce bellicisme honteux. On ne comprendrait rien aux motivations profondes de ces gamins, cette extraordinaire communion de corps et d’esprit qui fait aujourd’hui encore notre fierté.
Sans eux, sans cette poignée d’hommes et de femmes, à Londres ou à
Paris, notre drapeau aurait été souillé à jamais. Ils resteront pour
toujours cette lumière durant les années noires d’Occupation. Perrault
leur rend hommage sans tirer des larmes et sans oublier personne. Son
dictionnaire n’élude rien des dangers, de la violence, des haines, des
trahisons, des ambitions, il restitue pourtant un puissant goût du
bonheur. Car il faut l’aimer la vie pour la risquer, la perdre le plus
souvent. Perrault se méfie des donneurs de leçons, il ne magnifie pas
l’héroïsme qui n’est jamais d’un seul bloc. Je me rappelle une de ces
anecdotes qu’il a racontée dans un vieux reportage télé des années 80.
Un Gi s’était planqué le D-Day dans les toilettes au fond d’un jardin de
Sainte-Marie-du-Mont, il avait attendu patiemment la fin des combats
pendant des heures. Perrault soulignait fort justement que s’il avait
manqué de courage ce jour-là, une semaine après, il avait, peut-être,
fait preuve d’une témérité exemplaire lors de cette longue et exténuante
Bataille de Normandie.
Dans son livre, Perrault s’attache à montrer cette complexité-là. Il
est parfois taquin quand il met à l’honneur les résistants de l’Ile de
Batz « la méconnue, l’oubliée, l’escamotée, la toujours occultée par sa
grande petite voisine ». « L’ile de Sein, c’est donc le quart de la
France » selon le bon mot du Général. Perrault déniche des personnages
hauts en couleur, célèbres ou moins connus comme cette Jeanne Bohec
surnommée la plastiqueuse à bicyclette. Il réhabilite avec panache la
mémoire du Colonel de La Rocque qui était loin d’être insignifiant,
comme l’avait hâtivement qualifié Paxton. Et puis il émeut quand il
rappelle le destin de Marcel Rayman, instructeur des FTP de la MOI, l’un
des dix de l’Affiche Rouge, écrivant ses derniers mots à sa mère, avant
d’être fusillé au mont Valérien : « Je ne puis te dire qu’une chose,
c’est que je t’aime plus que tout au monde et que j’aurais voulu vivre
rien que pour toi. Je t’aime, je t’embrasse, mais les mots ne peuvent
dépeindre ce que je ressens. […] Je t’adore et vive la vie ». Je me
répète, un dictionnaire indispensable.
Dictionnaire amoureux de la Résistance, Gilles Perrault, Plon-Fayard.