À propos des rapports mère-fille
Le jour où ma fille est née, c'est en la regardant, en sentant
sa peau contre la mienne que j'ai compris que ce si joli, si petit
nouveau-né allait changer ma vie. Excepté ses premiers mois, j'étais
décidée à toujours continuer à exercer mon métier de monteuse de films.
Toutefois, en moi dominait la pensée que désormais je n'étais plus
libre. Je ne suis, je n'ai jamais été suicidaire néanmoins je savais que
j'avais perdu mon droit de vie ou de mort sur moi. À moins de situation
exceptionnelle que je n'ai pas connu, on n'a plus droit au suicide
quand on est mère.
On dit que lorsqu'on devient mère on a souvent avec sa fille des
rapports identiques à ceux qu'on a eu avec sa propre mère. J'ai eu la
chance d'avoir une mère joyeuse, aimante, courageuse aussi. Elle et mon
père m'ont donnés à moi et aussi à mes frères et sœurs une confiance en
nous, un sens de la vie. Petite je me souviens avoir eu pour maman un
amour charnel. J'aimais être contre elle, dans son odeur. Plus tard j'ai
eu pour ma fille cette même attirance physique. Ce que je préférais en
moi, c'était elle.
Quand elle devenue femme à son tour, notre intimité a encore grandi.
Elle est celle qui a tout su de moi. Nous étions pareilles. Jamais
choquée, naturellement tolérante l'une pour l'autre. À l'inverse de
jugement drastique, nous avions souvent des fous rires.
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J'ai eu la chance d'assister à la naissance de trois de ses quatre
fils. C'est une telle émotion. J'avais vu Marie émerger de mon ventre,
et je voyais ses fils émerger du sien. Le coup de poupées russes. Il y
en aura toujours une autre après.
C'est une chance aussi de travailler avec sa fille. Ça a été pour
nous deux beaucoup plus que la suite de son éducation. Au début nous
partions ensemble de la maison pour aller au travail. Sur le plateau,
d'un commun accord, elle devenait son personnage, et moi son metteur en
scène. En tournant, nous étions à égalité chacune de son côté de la
caméra. Nous nous comprenions d'un mot, d'un regard. Travailler avec ses
enfants est un bonheur inégalable. J'ai pu professionnellement la
filmer enfant, adolescente, jeune fille, jeune femme. Et puisqu'en
dehors de moi, elle allait à des cours, faisait du théâtre et d'autres
films, je l'ai vue progresser, prendre de l'assurance, faire ses choix
toujours très personnels. Parce qu'il y avait en elle des tonnes de
compassion, elle aimait interpréter les perdues, les paumées. Ma mère
qui l'adorait, l'a vue nue à quinze ans dans "série noire". Elle a été
très choquée. J'ai eu beau lui dire que pour un comédien ce qui était
important c'était que le film soit beau, elle resta sur ses positions.
Et puis avant de mourir, quand elle lui a dit adieu, elle a eu cette
intelligence, cette grandeur pour une femme qui était si près de ses
cent ans, de dire à ma fille qu'elle avait été fière de sa carrière mais
parfois triste de la voir nue, et aussi d'avoir une vie aussi
passionnelle et puis, au dernier jour de sa vie, elle trouvait qu'elle
avait eu tort et que Marie avait eu raison de tout vivre pleinement. En
toute liberté. Elle avait de tout temps pris ses responsabilités et
réussi à se consacrer à la fois à son amour pour ses enfants, à ses
passions, à son métier sans jamais rien négliger.
Marie et moi avons écrit et tourné ensemble nos six derniers films.
L'entente était totale, la complicité renforcée. Le dernier film était
sur Colette. Nous avons lu une dizaine de biographies chacune puis le ou
les livres que l'autre avait trouvée intéressante. Quand nous les avons
comparées, nous avions presque toujours souligné les mêmes passages.
Colette, a quitté son deuxième mari pour le fils de ce dernier. Nous
avions naturellement décidé ensemble que le rôle du fils serait tenu par
Roman, le fils ainé de Marie qui pouvait faire seize et vingt-cinq ans,
qui était aussi beau que l'était sa mère, et qui était très bon acteur.
Cette idée de le prendre lui, a choqué notre producteur et aussi les
patronnes de la chaîne. Je comprends. Ils ne connaissaient pas nos
rapports basés sur l'humour et la grand-mère dirigeant sa fille et son
petit-fils dans des scènes d'amour pouvait surprendre. Nous les avons
rassurés. Les scènes seraient belles et pudiques et aujourd'hui quand on
les voient, on sent bien l'amour filial très fort qui les unissaient ne
serait-ce que dans leurs regards, mais qu'importe, l'amour s'il prend
différentes formes est toujours de l'amour. Que ce soit un amour mère
fils n'ôte rien à l'intensité des sentiments.
Quand j'ai commencé, sans cesser de tourner, à écrire, ma mère m'a
demandé de faire un livre sur elle. Ainsi durant des années j'ai pris
des notes ça et là. C'est parce qu'en vieillissant, je la rejoins que
j'ai pu avec retard accéder à son vœu. Ainsi durant près de deux années,
je l'ai retrouvée davantage en écrivant mon dernier livre. Les quelques
mois où, après une longue absence : le tournage de Colette. La mort de
ma fille me paralysait et m'ôtait le courage qu'il aurait fallu pour
aller voir maman. C'est avec Hugues, ma sœur aînée que j'y suis allée.
Cela faisait des mois que je n'étais pas allée là-bas. Notre mère vivait
à la montagne et mes trois sœurs avaient réussi à ce qu'elle ne sache
pas que sa petite-fille était morte sous les coups barbares d'un
massacreur. Maman... Hugues l'embrassa avec sa fougue habituelle... Ce
fut mon tour. Elle était dans mes bras et je la sentis comme une
étrangère. Elle dit de moi "Il est gentil ce jeune homme". Comme une
vague en plein visage... Je n'existais plus. Je n'étais plus sa fille,
même pas une femme... Je la regardais muette. Au début, ma sœur voulut
le prendre comme une blague, Chantal sa femme de ménage disait "Mais
enfin madame Marquand, depuis que vous la réclamez votre Nana, elle est
là !" Ma mère haussa les épaules. J'étais un inconnu. Elle n'était pas
absente comme on peut le devenir avec l'âge. Elle reconnaissait tout le
monde... Sauf moi. Même envers deux amies proches qui m'ont accompagnée
chacune à leur tour et qu'elle n'avait pas vues depuis des années, elle
n'a pas eu l'ombre d'une hésitation ! Comment comprendre ? J'étais
désemparée. Grâce à un psychiatre, j'ai des années plus tard, un peu
compris. Elle était très animale et a du sentir en moi, une perte
irrémédiable. Son instinct de conservation, son instinct tout court la
protégeait de ce qu'elle sentait ne pas pouvoir vivre. Alors elle me
refusait. En fait si c'était pour rester vivante et solide, elle a eu
raison.
Et puis un jour, en arrivant, j'ai entendu son joyeux "Bonjour Nana".
Elle était sur son balcon et me faisait un signe joyeux... Jamais je ne
lui ai parlé de ces mois où je n'étais plus sa fille. J'avais peur de
l'ébranler. Elle, si forte depuis toujours, était fragilisée par son
âge.
En tant que fille, en tant que mère, j'ai eu beaucoup de chance. Et si ni moi, ni Marie n'ont eu d'âge difficile à vivre, peut-être est-ce parce que nous sommes entrées dans le monde des adultes, donc de la responsabilité à quinze ans.
En tant que fille, en tant que mère, j'ai eu beaucoup de chance. Et si ni moi, ni Marie n'ont eu d'âge difficile à vivre, peut-être est-ce parce que nous sommes entrées dans le monde des adultes, donc de la responsabilité à quinze ans.
Je sais que bien sûr, il y a pour certaines mères des moments
difficiles à vivre quand leurs filles traversent des crises
d'adolescence, lesquelles arrivent de plus en plus tôt. Je fais là
allusion à un milieu privilégié. Mais en cas de crise, que l'on soit
riche ou pauvre, communiquer devient impossible. Quand les adolescentes
n'ont ni passion, ni envie et ça peut être un sport, un art, un désir de
voyage : connaître le monde, avoir envie de voir comment d'autres
vivent, quelque chose qui fait qu'elles se réveillent heureuses le matin
d'aller en apprentissage ou dans une faculté ou à la découverte d'une
ville inconnue. Si leurs mères n'ont pas de temps à leur accorder, pour
chercher avec elles, ce qui pourrait les intéresser, les emmener aux
concerts, aux expositions, voir des films... Alors elles s'ennuient. Et
l'ennui peut devenir un danger, une épée de Damoclès : l'alcool, la
drogue sont les pires menaces. Boire ou même fumer du hasch n'est pas
trop grave si on est adulte. Au début c'est très gai mais on se rend
vite compte que l'on perd de l'énergie, que l'indifférence devient
envahissante, que l'on perd de vue l'essentiel, c'est-à-dire le travail,
alors on arrête. Quand on est très jeunes, donc sans défense, on se
laisse engloutir. Les drogués s'éloignent dans leurs mondes à eux. Le
contact devient difficile et les mères s'affolent et sont démunies.
Il y a aussi la jalousie et dans les deux sens qui séparent parfois
la mère de la fille. Voir sa mère belle, accomplie, brillante, ou voir
sa fille posséder cette jeunesse envolée pour toujours... Les deux cas
peuvent faire des ravages, d'autant que c'est parfois inconscient.
Dans tous ces cas l'incompréhension domine. La mère peut trouver sa fille ingrate. La fille peut mépriser sa mère, la trouver sotte, superficielle, dure.
Dans tous ces cas l'incompréhension domine. La mère peut trouver sa fille ingrate. La fille peut mépriser sa mère, la trouver sotte, superficielle, dure.
Dans les milieux pauvres que je ne connais pas en profondeur, on sait
qu'il y a deux sortes de mères. Celles qui travaillent dur et n'ont
donc pas de temps à accorder à leurs filles qui, livrées à elles-même,
si elles ne comprennent pas l'ouverture, la possibilité de s'élever, que
leur offre l'école... mais dans quel état sont-elles ces écoles et dans
une ambiance qui peut rendre la concentration impossible... Alors elles
traînent n'importe où et ne se rendent pas compte qu'elles n'évoluent
pas. Qu'elles perdent ce temps précieux où on apprend. Et là aussi la
porte de sortie de ce monde qui les déprime, c'est la drogue. C'est
l'alcool. Les rapports mère-fille deviennent alors disputes, injures,
portes qui claquent. El la mère travailleuse se retrouve souvent seule.
Il y a les autres, celles dont les pères les ont abandonnées. Dans ce cas si la mère ne travaille pas, bien souvent, elle boit. La maison est sale et les filles fuient cette atmosphère morne.
Il y a les autres, celles dont les pères les ont abandonnées. Dans ce cas si la mère ne travaille pas, bien souvent, elle boit. La maison est sale et les filles fuient cette atmosphère morne.
Il y a aussi les familles recomposées. J'ai eu la chance que mes
enfants aient un deuxième père qui les aimait profondément. Autant, même
si c'est autrement que leur père. Ce n'est pas toujours le cas. Il y a
là aussi, sournoise la jalousie d'un passé inconnu, l'incapacité d'aimer
comme le sien l'enfant de l'autre. La mesquinerie. Et les enfants
peuvent réagir avec violence.
De toutes façons, même en tâchant d'être le plus attentif possible,
il nous faut admettre que nous commettons tous des erreurs. Il est en
effet impossible de tout comprendre même de l'être qui nous est le plus
proche. Parfois dans nos vies le travail peut nous absorber complètement
et nous passons sans rien voir à côté d'une angoisse de notre enfant.
Apprendre à aimer l'autre pour lui et non pour soi est aussi un apprentissage. Il est plus naturel, plus évident avec nos enfants quand les conditions le permettent.
Nadine Trintignant, La Voilette de ma mère, éditions Fayard. 17€, sortie le 30 avril. 200 pages
Apprendre à aimer l'autre pour lui et non pour soi est aussi un apprentissage. Il est plus naturel, plus évident avec nos enfants quand les conditions le permettent.