Replonger dans La Piscine
Derrière le film culte, un roman d’Alain Page
Ils sont beaux, riches et bronzés. Le quatuor infernal de La Piscine
murit sa rancœur sur les hauteurs de St-Tropez. Delon et Ronet, au
zénith de leur charme vénéneux. Romy et Jane, au sommet de leur érotisme
langoureux. Ces quatre-là, Jean-Claude et Marianne, Harry et Pénélope,
sont irrésistibles. Nous sommes à la fin des années 60, parenthèse
enchantée où les femmes enlèvent le haut, les coupés italiens filent à
200 km/h dans l’arrière-pays et où l’alcool n’est qu’un prétexte à crier
son désespoir. Les corps brûlent au soleil de Provence. Les vérités se
reflètent dans l’eau trouble. Les baisers s’échangent à l’ombre des
cyprès. Et quand la nuit surgit, sur un slow de Paul Anka, les peaux se
tendent pour s’entrechoquer dans une danse macabre.
Comme dans un roman de Sagan, ces belles personnes souffrent
de la passion, de la jalousie et d’un passé qu’on n’oublie jamais. De
toutes ces meurtrissures qu’on accumule et qui finissent par nous
achever. En 1969, Jacques Deray avait eu du nez, il avait saisi
l’essence du désir : ce parfum de soufre, d’huile solaire et de sexe
dans un polar balnéaire. 45 ans après le tournage, La Piscine
reste un merveilleux éveil des sens pour les plus jeunes cinéphiles. Le
résultat est si convaincant que le spectateur a l’impression d’un voyage
en odorama. La chaleur de cette Côte d’Azur mythifiée nous envahit.
Notre cinéma ne produit plus rien d’aussi délicat et sauvage. Nous
avions atteint-là le paroxysme d’une délicieuse descente aux enfers. La
preuve : les images du film servent à vanter une eau de toilette et
Alain, vieux Guépard, dépose sa voix d’outre-tombe à chaque fin de spot
publicitaire. Quelle femme peut résister aujourd’hui encore à ce timbre
puissant chargé de mille vies ? Cette langueur assassine n’a pas échappé
à Arnaud Le Guern qui inaugure la nouvelle collection « Un roman, un
film culte » chez Archipoche par le roman La Piscine d’Alain
Page. Excellente idée de revenir à la source première, des romans
oubliés qui ont enfanté de grands succès au box-office. Sont prévus en
septembre Nous ne vieillirons pas ensemble, l’unique roman de Maurice Pialat et en octobre, Max et les ferrailleurs, œuvre de Claude Néron adaptée par Claude Sautet. Dans La Piscine,
on (re)découvre le texte d’Alain Page revu et corrigé par rapport à
celui paru en 1969 aux éditions Raoul Solar sous le nom patronymique de
l’auteur, Jean-Emmanuel Conil. C’est sous son vrai nom qu’il avait
également signé le scénario.
Alain Page n’est pas un inconnu des écrans, il est l’auteur de Tchao Pantin réalisé par Claude Berri et également le créateur des personnages de la série télévisée Les Cordier, juge et flic.
Sa plume légère, imagée, séquencée a séduit plus d’un réalisateur. La
virtuosité de son écriture, son tempo entêtant, sa note poétique, sa
profondeur psychologique sont, à l’évidence, le meilleur des terreaux
cinématographiques. Dans une préface inédite, l’auteur explique les
différences entre l’adaptation et le roman originel. Que les férus
d’automobiles racées se rassurent, ils ne perdent pas au change. Ronet a
troqué sa Maserati Ghibli pour une Lancia Aurelia Spider de papier tout
aussi désirable. Il revient aussi sur la genèse du roman et sur une
époque insouciante en apparence mais complexe dans ses rapports humains.
Ce qui séduit à la lecture, ce sont les portraits qui claquent, les
fulgurances, ces envolées quand il assène à Marianne (Romy Schneider)
cette formule assassine : « T’es une cérébrale qui aime baiser. C’est ton drame » ou quand il perçoit chez Pénélope (Jane Birkin) : « l’air blasé des stars fatiguées qu’on les admire ». Jean-Claude (Alain Delon) en prend lui aussi pour son égo : « c’est un bel animal qu’il est flatteur d’avoir chez soi mais le jour où il mord, il faut s’en débarrasser…ou le dresser ». Quant à Harry (Maurice Ronet), cet ami qui ne vous veut pas du bien, il est exécuté par cette saillie : « même lorsqu’il est seul, il doit se créer un public et soigner ses attitudes ». Que vous alliez ou non cet été en vacances dans le Sud, n’oubliez pas La Piscine dans la poche de votre maillot de bain.
La Piscine, Alain Page, Archipoche.